Séminaire des Eudistes de Caen

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Séminaire des Eudistes
La place de la République vers 1890
La place de la République vers 1890
Présentation
Culte Catholique
Type Séminaire
Rattachement la Congrégation de Jésus et Marie
Début de la construction 1664
Fin des travaux 1860
Autres campagnes de travaux Détruit en 1944
Style dominant Classicisme
Géographie
Pays France
Région Normandie
Département Calvados
Ville Caen
Coordonnées 49° 10′ 51″ nord, 0° 21′ 53″ ouest

Carte

Le séminaire des Eudistes de Caen est l'un des premiers séminaires fondés à Caen par Jean Eudes. Le bâtiment, construit dans la deuxième partie du XVIIe siècle sur la place Royale (actuelle place de la République), a été transformé en hôtel de ville pendant la Révolution française. À partir du XIXe siècle, il a abrité également le musée des Beaux-Arts de Caen et la bibliothèque municipale. Il a été totalement détruit en 1944 pendant la bataille de Caen et n'a pas été reconstruit.

Avant la Révolution[modifier | modifier le code]

En 1643, Jean Eudes quitte la Congrégation de l'Oratoire et s'installe dans une maison de la rue des Jésuites en face de l'abreuvoir Saint-Laurent. Il y fonde avec quelques frères qui l'ont suivi la Congrégation de Jésus et Marie et ouvre un séminaire. Ils aménagent les locaux en construisant notamment une chapelle. L'institution est fermée par l'évêque de Bayeux, Mgr Molé, avant d'être rétablie en 1652 par son successeur, Mgr Servient[1]. Mais la « vieille Mission » est devenue trop exiguë. L'évêque de Bayeux fait alors l'acquisition en 1658 du lot de terrains à l'ouest de la place Royale en cours d'aménagement[2] pour que Jean Eudes fasse construire un nouveau séminaire.

L'église depuis la cour d'honneur

La première pierre de l'église est posée le [3]. Jean Eudes décide de dédier l'édifice aux Très Saints Cœurs de Jésus et Marie[4], cette dédicace étant confirmée en 1674 par le pape Clément X[5]. Menés par Guillaume Brodon[6], les travaux sont interrompus au moins à quatre reprises faute de moyens financiers suffisants. Trois jours après la mort de Jean Eudes, survenue le , son corps est inhumé dans le chœur de l'église encore en construction. Il est déposé dans un cercueil en plomb recouvert par une dalle de marbre blanc sur laquelle est gravée cette épitaphe [7] :

HIC JACET VENERABILIS SACERDOS,
JOANNES EUDES,
SEMINATORIUM CONGREGATIONIS JESU ET MARIÆ INSTITUTOR ET RECTOR
OBIIT DIE 20 AUGUSTI 1680 ÆTATIS SUÆ 79.

L'église est finalement consacrée le .

La construction du séminaire proprement dit ne commence que le , plus de dix ans après la mort de Jean Eudes, et se termine en . Mgr François de Nesmond contribue financièrement à son érection et ses armoiries sont gravées sur la porte d'entrée du séminaire[1]. À gauche de l'église, s'élève le grand séminaire, destiné à la formation des jeunes gens qui se destinent à la prêtrise ; à droite, le bâtiment accueille le petit séminaire, internat fréquenté par de jeunes garçons dont certains deviennent ensuite les élèves du grand séminaire. En 1731, une nouvelle aile est construite à la place de bâtiments utilitaires couverts de chaume ; la première pierre, posée le , a été retrouvée en 1953[8] lorsque le tracé de la rue Jean Eudes a été modifié. À cette époque, le plan du séminaire prend la forme d'un E[9].

La façade fermant la place Royale reprend l'ordonnancement caractéristique du classicisme français. Cette harmonie d'ensemble est rompue par la façade de la chapelle ; comme l'église Sainte-Catherine-des-Arts (actuelle Notre-Dame-de-la-Gloriette) construite à proximité entre 1684 et 1689, l'église des Très-Saints-Cœurs-de-Jésus-et-Marie s'inspire de l'église du Gesù et la croisée du transept est surmontée d'un lanternon.

Quand Jean Eudes meurt en 1680, le séminaire de Caen contrôle quatre autres séminaires en Normandie et un à Rennes. La congrégation continue ensuite sa progression et, au moment où la Révolution française éclate, le séminaire de Caen est à la tête d'un réseau de seize séminaires disséminés dans le nord-ouest de la France.

Gravure extraite de l'ouvrage de Guillaume-Stanislas Trébutien

Après la Révolution[modifier | modifier le code]

Le , les ordres religieux sont supprimés et, le mois suivant, leurs biens sont mis en vente. Les autorités municipales, installées depuis les années 1750 dans l'hôtel d'Escoville[10], soumissionnent pour l'acquisition du séminaire et de ses dépendances afin d'y installer l’administration de la Ville, du district et du Département[11]. L'affaire traine en longueur du fait de l’ambiguïté du statut des eudistes et de leur séminaire[12]. Les locaux sont finalement adjugés à la Ville le [13]. La salle du conseil est aménagée dans une pièce du premier étage du petit séminaire ; dans les cartouches et les médaillons du plafond, Luchet peint les portraits de Normands célèbres ou de personnes ayant marqué la ville par leur bienfait[14] : François de Malherbe, Jean Regnault de Segrais, Jacques Clinchamps de Malfilâtre, Michel Lasne, Graindorge[N 1], Charles de Bourgueville, Pierre-Daniel Huet, Samuel Bochart, Charles Mathieu Isidore Decaen... Pendant un temps, l'église sert de lieu de réunion pour la société populaire, de salle des mariages et de remise pour le matériel municipal. La société La Redoute, créé en 1800, donne dans la grande salle de l'hôtel de ville des représentations bimensuelles consacrées alternativement à la musique et à la danse[15]. En 1810, les ossements de Jean Eudes sont transférés dans l'église Notre-Dame-de-la-Gloriette[16]. Ensuite un plancher est construit dans l'église.

En 1829, la municipalité offre à la Société philharmonique du Calvados des locaux dans l'ancien séminaire afin d'y établir une école de musique privée. En 1833, la municipalité reprend ses locaux et l'école déménage dans le quartier Saint-Jean avant de fermer deux ans plus tard. Dans les années 1850, une nouvelle école, municipale cette fois-ci, est ouverte dans la partie sud-ouest de l'hôtel de ville sur la rue Saint-Laurent (ancêtre de l'actuel conservatoire à rayonnement régional de Caen). Les lieux sont exigus et la promiscuité entre les différentes classes instrumentales rend le lieu mal approprié aux besoins de l'enseignement musical. Au premier étage, le conservatoire possède également une bibliothèque[17].

Le rez-de-chaussée de l'ancienne église est transformé en salle de réception. La salle est occupée notamment par la Société philharmonique de Caen qui y tient régulièrement des concerts[14]. En 1858, la salle est redécorée à l'occasion de la venue de Napoléon III en route pour Cherbourg[18]. Selon Guillaume-Stanislas Trébutien, « ses voûtes ornées de moulures en cuivre doré, ses colonnes et ses portes dorées, ses glaces, ses lustres et ses girandoles en font une belle salle de concert ou de bal. »[19].

Le premier étage de l'ancienne chapelle est divisé en trois salles dans lesquelles sont transférés en 1809 les fonds de la bibliothèque municipale[20]. La bibliothèque prend donc la forme d'une croix latine longue d'environ 48 m sur 26 m (149 pieds de long sur 80 de large[21]). L'entrée de la bibliothèque est éclairée par un vitrail représentant Charles de Bourgueville. Dans la grande salle, sont suspendus 39 portraits représentants des hommes illustres de Caen, comme Malherbe, de Bras, Segrais, Samuel Bochart, Pierre-Daniel Huet, l'abbé De la Rue ou Jacques Crevel[22].

Le , le musée des beaux-arts de Caen est officiellement ouvert dans l'aile gauche de l’hôtel de ville[23], parallèle à l'ancienne chapelle. En 1861, une nouvelle aile est construite par Gustave Auvray[N 2] en collaboration avec l'architecte de la ville, Émile Guy[N 3], afin d'agrandir les locaux destinés à la bibliothèque, au musée et à l'école des Beaux-Arts de Caen[24]. Le groupe sculpté, Centaure et Bacchante d'Arthur Le Duc, médaillé au salon de 1879, est acheté par la ville pour le musée des beaux-arts[25] et installé dans la cour du musée[N 4].

Dans les années 1920, un monument en l'honneur du compositeur Gabriel Dupont, né à Caen, est installé en face du Centaure et Bacchante dans la cour du musée[26].

Après la Seconde Guerre mondiale[modifier | modifier le code]

Le , l'ancien séminaire est en grande partie détruit et le dernier bombardement aérien des Alliés, le 7 juillet, détruit ce qui était encore resté debout[27]. En 1950, Marc Brillaud de Laujardière présente un projet visant à reconstruire sur le site l'hôtel de ville, la bibliothèque municipale et le musée des Beaux-Arts. Le projet, modifié plusieurs fois, est rejeté par le conseil municipal et, en 1954, il est définitivement abandonné[28]. Un parking arboré a été aménagé à l'emplacement de l'ancien séminaire.

Seules quelques pierres des fondations de l'église témoignent de la présence du bâtiment. Toutefois le site de l'ancien séminaire est toujours réservé dans le plan local d'urbanisme actuellement en vigueur pour un équipement public qui permettrait de retrouver les volumes et les perspectives de la place de la République et ainsi restituer le niveau de centralité que pouvait connaître la place de la République avant guerre. La construction de la future médiathèque régionale d'agglomération sur le site est envisagée dans les années 2000[29], mais elle est finalement construite sur la presqu'ile portuaire[30]. Lors de la campagne pour les élections municipales de 2014, Joël Bruneau, candidat finalement élu, désigne le site pour accueillir une halle de produits frais et régionaux[31].

Dans le cadre d'un projet de maquette virtuelle représentant la ville de Caen à la fin des années 1930, une application a été produite pour visualiser le séminaire des Eudistes de Caen dans son état avant-guerre[32].

En janvier 2016, la Ville dévoile les grandes lignes d'un projet de centre commercial, comprenant une halle dite gourmande, sur le site de l'ancien séminaire[33]. De premiers sondages archéologiques sont effectués en juin 2016[34]. Le 8 juillet 2016, les deux lauréats pour la construction du centre commercial sont désignés[35]. La partie du site en bordure de la place de la République fait l'objet d'une fouille préventive en avant le creusement d'un bassin de rétention des eaux[36]. Du au , le reste du site fait également l'objet d'une fouille préventive préalable aux travaux du nouveau centre commercial[37]. Ce projet est mis en pause en mars 2022[38].

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Premier fabricant de toiles de haute lice.
  2. Architecte né à Laize-la-Ville en 1823. Il succède à Émile Guy au poste d'architecte de la ville.
  3. Architecte né à Paris en 1795 et décédé en 1866.
  4. Cette statue, endommagée lors des bombardements de 1944, est désormais située dans les jardins du Mémorial de Caen.

Références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Jacques Laffetay, Histoire du diocèse de Bayeux, Bayeux, Imprimerie de A. Delarue, 1855, p. 15
  2. Gervais de La Rue, Essais historiques sur la ville de Caen et son arrondissement, Caen, Poisson, 1820, p. 180
  3. Père Julien Martine, tome II, p. 102-105
  4. Guillaume-Stanislas Trébutien, p. 182
  5. Dom Guéranger, Introduction à l'année liturgique, (ISBN 2-85652-205-X), Bouère, Éditions Dominique Martin Morin, 1995
  6. Gabriel Vanel, « Remarques de Nicolas le Hot, avocat au bailliage de Caen en 1680, publiées d’après le manuscrit inédit » dans le Bulletin de la Société des antiquaires de Normandie, Caen, 1906, tome 25, p. 23
  7. Père Julien Martine, tome II, p. 364-365
  8. « Saura-t-on jamais d'où vient la mystérieuse première pierre trouvée place de la République ? », Paris-Normandie,‎
  9. Christophe Collet, Pascal Leroux, Jean-Yves Marin, Caen cité médiévale : bilan d'archéologie et d'histoire, Calvados, Service Département d'archéologie du Calvados, 1996 (ISBN 2-9510175-0-2)
  10. Fernand Enguerrand, « Histoire du musée de Caen » dans Bulletin de la Société des beaux-arts de Caen, Caen, Imprimerie Charles Valin, 1897, 10e volume, 1er cahier, p. 80
  11. Guillaume de Bertier, « Le dossier d'une spoliation : Le séminaire des Eudistes de Caen (1790-1792) », Annales de Normandie, 1994, vol. 44, no 3-4, p. 311
  12. Ibid., pp. 317–318
  13. Ibid., p. 314
  14. a et b Gaston Lavalley, Caen; son histoire et ses monuments, guide du touriste a Caen et les environs, Caen, E. Brunet, [S.d.]
  15. Étienne Jardin (dir.), L'éducation musicale et l'enseignement de la musique à Caen de 1792 à 1914., Mémoire de maitrise d'histoire contemporaine, Université de Caen, (lire en ligne), p. 29.
  16. Ministère de la Culture (base Palissy - Référence PM14000170)
  17. Étienne Jardin (dir.), Le conservatoire et la ville. Les écoles de musique de Besançon, Caen, Rennes, Roubaix et Saint-Étienne au XIXe siècle., Doctorat, École des hautes études en sciences sociales, (lire en ligne), p. 540-542.
  18. Émile Tessier, Guide du touriste en Normandie, Paris, Cournol : Lanée, 1864, 3e édition, p. 132
  19. Guillaume-Stanislas Trébutien, p. 197
  20. Guillaume-Stanislas Trébutien, p. 290
  21. F. Vaultier, Histoire de la Ville de Caen depuis son origine jusqu'à nos jours, B. Mancel, 1843, p. 348
  22. Guides Joanne, Caen et les bains de mer de Lion à Port-en-Bessin, Paris, Hachette, 1893, p. 24
  23. Fernand Enguerrand, op. cit., p. 88
  24. Philippe Lenglart, Le nouveau siècle à Caen, 1870-1914, Condé-sur-Noireau, Corlet, 1989, p. 203
  25. Fernand Enguerrand, « Histoire du musée de Caen » dans Bulletin de la Société des beaux-arts de Caen, Caen, Imprimerie Charles Valin, 1897, 10e volume, 1er cahier, p. 138 [lire en ligne]
  26. « Monument à Gabriel Dupont », sur À nos grands hommes (consulté le ).
  27. Caen et la Seconde Guerre mondiale
  28. Dossier pédagogique du Musée de Normandie, réalisé par l’Association des Amis du Musée de Normandie : Caen et la Reconstruction, [lire en ligne (page consultée le 3 octobre 2008)]
  29. « Bibliothèque sur la presqu'île, pas de hausse d'impôts, avec Martine Aubry au congrès du PS... », Ouest-France, .
  30. La future Bibliothèque Multimédia à Vocation Régionale de Caen la mer sur la presqu'île de Caen (ouverture premier semestre 2016) sur le site de Caen la Mer
  31. Réussir Caen, vraiment !, programme de Joël Bruneau, p. 12
  32. « Cadomus présente l'ancien Hôtel-de-Ville de Caen en 3D » dans Côté Caen, 16 septembre 2014
  33. « Projet République : cinq ans de feuilleton et de rebondissements », Ouest-France,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  34. « Caen : les archéologues sondent la place de la République », France 3 Normandie,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  35. « Deux lauréats retenus pour l'appel à projets République », Ouest-France,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  36. « Place de la République à Caen : des fondations de l’ancienne mairie définitivement détruites », Liberté - Le bonhomme libre,‎ (lire en ligne)
  37. « La fouille archéologique se termine place de la République à Caen », Ouest-France,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  38. « La Ville abandonne le projet initial de halles gourmandes, place de la République, à Caen », Ouest-France,‎ (lire en ligne, consulté le ).

Sources bibliographiques[modifier | modifier le code]

  • Christophe Marcheteau de Quinçay, Un fantôme dans la ville, l'ancien hôtel de ville de Caen disparu en 1944, séminaire des eudistes de 1664 à 1792, Caen, Société des antiquaires de Normandie, coll. « Monuments et sites de Normandie », , 96 p. (ISBN 978-2-919026-14-2)
  • Guillaume de Bertier, « Le dossier d'une spoliation : le séminaire des Eudistes de Caen (1790-1792) », Annales de Normandie, vol. 44, nos 3-4,‎ (ISSN 0003-4134, lire en ligne)
  • Christophe Collet, Caen, cité médiévale : bilan d'histoire et d'archéologie, Caen,
  • Père Julien Martine, Vie du R.P. Jean Eudes, manuscrit inédit publié et annoté par l'abbé Le Cointe, Caen, Imprimerie le Blanc-Hardel,
  • Guillaume-Stanislas Trébutien, Caen, son histoire, ses monuments, son commerce et ses environs, Caen, A. Hardel, {
  • [PDF] Association des Amis du Musée de Normandie, « Caen à l'époque classique », sur crdp.ac-caen.fr, Musée de Normandie (consulté le )

Articles connexes[modifier | modifier le code]

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