Quand passent les cigognes

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Quand passent les cigognes

Titre original Летят журавли
Réalisation Mikhaïl Kalatozov
Scénario Viktor Rozov
Acteurs principaux
Sociétés de production Mosfilm
Pays de production Drapeau de l'URSS Union soviétique
Genre Drame
Durée 98 minutes
Sortie 1957

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution.

Quand passent les cigognes (titre original russe : Летят журавли, Letiat jouravli[1]) est un film soviétique de Mikhaïl Kalatozov sorti en 1957. Il s'agit de l'adaptation cinématographique de la pièce de Rozov, Éternellement vivants[2]. En 1958, le film reçoit la Palme d'or au festival de Cannes.

Ce film symbolise le dégel, c’est-à-dire l'assouplissement du régime soviétique sous Nikita Khrouchtchev.

Synopsis[modifier | modifier le code]

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Veronika attend le retour de son fiancé Boris, parti sur le front. Elle finit par succomber aux avances du cousin de celui-ci, Mark, un planqué peu glorieux, égoïste et distant. Délaissée, Veronika s’implique à sa manière dans le conflit en investissant son énergie dans l’aide et le réconfort aux soldats blessés rapatriés. Elle prend conscience de l’horreur de la guerre.

Commentaires[modifier | modifier le code]

Avec ce film, le cinéma soviétique se démarque de tout l’élan patriotique de sa production précédente en montrant une histoire d’amour filmée dans un esprit neuf.

Certaines scènes sont marquantes et novatrices :

  • Le préambule calme de l’avant-guerre permettant à Veronika et Boris d'envisager leur amour, tournés vers l'avenir. Un vol de grues traverse le ciel.
  • La scène tourbillonnante de l’escalier gravi par Boris (une première technique pour l’époque).
  • Le moment où Veronika, terrorisée par le bombardement et à bout de forces, cède à Mark en répétant à l’infini sa négation qu’elle ne peut plus contrôler.
  • La scène à l'hôpital où un blessé apprend que sa fiancée l'a trompé ; le docteur, Fiodor Ivanovitch, le père de Boris, le console en s'adressant à toute la salle pour fustiger le comportement de certaines filles qui ne font pas preuve de courage : elles ne méritent pas l'estime d'héroïques combattants. Veronika, qui se trouve dans la salle, culpabilise en l'écoutant, car elle n'a pas attendu Boris qui était au front, et a épousé Mark. (Cette scène peut être comparée à la scène finale du film, La Femme du boulanger, où Aimable Castanier s'adresse à sa chatte Pomponette, revenue après une escapade amoureuse, devant son épouse Aurélie qui l'avait quitté pour son amant et qui est de retour. Fiodr Ivanovitch tout comme Aimable Castanier s'adressent à un tiers, le blessé pour Fiodor Ivanovitch et la chatte Pomponette pour Aimable Castanier, pour délivrer un message de reproches, adressé en réalité à Veronika ou Aurélie.)
  • La mort de Boris, qui voit défiler devant ses yeux l'avenir rêvé avec Veronika.
  • La scène qui montre certains « planqués », à l'arrière, passant du bon temps et se livrant à des trafics pour satisfaire leurs caprices frivoles alors que tout manque.
  • La scène finale : à la gare, Veronika, un bouquet de fleurs à la main, traverse la foule en liesse (autre prouesse technique) qui acclame les soldats de retour au pays. Elle arrive à Stepan, l'ami de Boris, qui lui apprend la mort de ce dernier et veut lui remettre la photo d'elle qu'il gardait sur lui. Le film se conclut pourtant sur une note d'espoir : Stepan, debout sur la locomotive, fait un discours énergique sur le retour de la paix et la nécessaire reconstruction, et Veronika, en larmes, se réconforte dans la solidarité collective en distribuant ses fleurs aux gens présents, tandis qu'un vol de grues passe dans le ciel.

Prouesses techniques[modifier | modifier le code]

Ce film est réputé pour ses somptueux mouvements d'appareil, qui restent de vrais exploits techniques. On se souviendra notamment de la montée d'escalier de Boris, citée ci-dessus ; il est suivi du début à la fin par la caméra, qui reste à sa hauteur et en panoramique à 360 degrés tout en montant. (On notera que le point nodal effectue donc un vissage, ce qui n'est pas si fréquent.) L'opérateur portait vraisemblablement la caméra en étant pendu à un câble... qui montait tout en tournant. En fait, les studios Mosfilm avaient construit une tour en acier sur laquelle était arrimée une nacelle qui montait ou descendait comme un ascenseur et l'ensemble tournait. La nacelle accueillait l'opérateur et quelques projecteurs. Claude Lelouch a filmé le tournage de cette scène en 1957 pour son reportage Quand le rideau se lève, puis a utilisé cette technique dans son film Les Uns et les autres (1981).

Ensuite, un plan très réputé (minutes 23:46 à 24:21) suit Veronika depuis un tramway en circulation, dans lequel elle est assise. Elle se lève pour descendre, suivie par la caméra, court dans la foule pour voir le défilé, tandis que la caméra effectue pour la suivre un travelling latéral assez rapide. Arrivée à une barrière, Veronika s'arrête tandis que la caméra s'élève jusqu'au très grand ensemble. Ce plan séquence commence en caméra portée ; à la descente du tramway, l'opérateur suspend sa caméra, à l'aide d'un électro-aimant, à un travelling sur câble. Au bout de celui-ci, un opérateur récupère l'appareil, pour l'accrocher à une grue qui l'élève jusqu'au très grand ensemble.

Le film doit au chef opérateur Sergueï Ouroussevski son originalité photographique et sa richesse formelle.

Fiche technique[modifier | modifier le code]

Distribution[modifier | modifier le code]

Récompenses[modifier | modifier le code]

  • 1958 : Palme d'or au festival de Cannes 1958 « pour son humanisme, pour son unité et sa haute qualité artistique »[3],[4].
  • Prix spécial du Ier festival cinématographique de l'URSS à Moscou
  • Diplôme du IXe festival international du film de travailleurs (Tchécoslovaquie)
  • Mention du Ier festival annuel à Vancouver
  • Diplôme d'honneur au festival des festivals à Mexico
  • Prix Selznick du meilleur film étranger de l'année aux États-Unis

Critiques[modifier | modifier le code]

  • À la sortie du film, le cinéaste Éric Rohmer a écrit : « Nous trouvons tout ici : la profondeur du champ et les plafonds d'Orson Welles, les travellings acrobatiques d'Ophuls, le goût viscontien de l'ornement, le style de jeu de l'Actors Studio. » Rohmer, encore critique à cette époque-là, tempérait toutefois son jugement en ajoutant : « Pour moi, j'ai été tour à tour : remué par la nouveauté du ton, irrité par la volonté systématique et un peu anarchique de briller, ébloui tout de même par l'éclat des ornements dans la scène des adieux manqués, celle du bombardement ou celle de la mort de Boris [...] »[5]
  • Jacques Doniol-Valcroze, autre critique devenu réalisateur, émettait, quant à lui, ce point de vue : « La clef du pouvoir émotionnel et de la fascination de Quand passent les cigognes réside dans la forme, plus que dans le fond. C'est le romantisme, le lyrisme, parfois délirant, du style et de l'agencement des images, qui confère sa puissance au contenu. L'extraordinaire virtuosité d'Ouroussevski donne vie à des séquences qui devaient, sur le papier, relever de la démence. [...] Kalatozov et Ouroussevski, en plus des moyens considérables et de circonstances favorables, ont eu cette chance supplémentaire : Tatiana Samoïlova, l'extraordinaire écureuil de ce film, pleine de grâce et d'intériorité, grande héroïne romanesque, petite fille logique et passionnée des aînées tumultueuses d'une grande tradition littéraire. »[6]
  • « Certains morceaux de bravoure (comme le viol de Veronika/T. Samoïlova) furent contestables, mais le film, sorte de Guerre et Paix 1941-1945, valut par sa passion et son authenticité. Ses personnages n'étaient pas taillés d'un bloc mais complexes, et certaines grandes prosopopées (le discours dans l'hôpital) ne tombaient jamais dans la propagande », estimait, plus tard, Georges Sadoul[7].

Box-office[modifier | modifier le code]

En URSS, 28 000 000 de soviétiques voient le film pendant l'hiver 1957[8]. En France, le film est un des plus gros succès de l'année 1958 avec 5 414 915 d'entrées. Il se classe troisième au box-office français de 1958, derrière le péplum américain Les Dix Commandements de Cecil B. DeMille et Les Misérables de Jean-Paul Le Chanois, une adaptation du roman de Victor Hugo avec Jean Gabin dans le rôle de Jean Valjean [9].

Autour du film[modifier | modifier le code]

  • Un rapprochement peut être effectué entre le film et Un long dimanche de fiançailles de Jean-Pierre Jeunet. Plus que le thème, les deux films ont certains passages en commun : les deux héroïnes attendent la lettre de leurs fiancés et se lancent des paris étranges et superstitieux, dont l'issue serait, selon elles, décisive quant à l'accomplissement de leurs espoirs.
  • À la même époque (début des années 1950), rares sont les réalisateurs à se montrer aussi inventifs ; en France par exemple, Max Ophuls dans Madame de... crée des mouvements de caméra et des raccords éblouissants d'une perfection très en avance sur son temps.
  • Il est à noter qu'en 1980 dans Les Uns et les Autres, Claude Lelouch, peut-être en hommage à Kalatozov, filme exactement de la même manière en un plan séquence, la montée en vrille d'un personnage dans une cage d'escalier mais au ratio 2,35:1. Dans un supplément on voit Lelouch caméra à l'épaule, assis sur une plate-forme suspendue à un treuil élévateur, tandis qu'un technicien hors-champ monte rapidement les marches en poussant une barre fixée à l'ensemble qui tournoie ainsi jusqu'en haut à la même vitesse que le comédien[10].

Édition vidéo[modifier | modifier le code]

Le film sort en France en combo DVD + Blu-ray le , édité par Potemkine. Le disque comprend une restauration 4K du film.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Littéralement « Les grues volent ». Pour éviter cette traduction fâcheusement ambiguë pour une oreille française, ainsi que le double sens des mots « grue » et « voler », les grues sont devenues cigognes.
  2. (en) Josephine Woll, Cranes are Flying: The Film Companion, vol. 7, I.B.Tauris, coll. « KINOfiles film companions », (ISBN 9780857711694, lire en ligne)
  3. « Le premier film soviétique important à Cannes 'Quand passent les cigognes' de Grigori Chukhrai, réalisé en 1957 », sur russie.net (consulté le )
  4. Marcel Martin, Le cinéma soviétique : de Khrouchtchev à Gorbatchev, 1955-1992, Éditions L'Âge d'Homme, , 223 p. (ISBN 978-2-8251-0441-5, lire en ligne)
  5. cité dans Le cinéma russe soviétique, sous la direction de Jean-Loup Passek, Éditions du Centre Georges-Pompidou, Paris, 1981.
  6. in : Cahiers du cinéma, juillet 1958.
  7. in : Dictionnaire des films, Microcome/Seuil, 1965.
  8. Joël Chapron, Le Monde du 10 mai 2014, p. 14
  9. Quand passent les cigognes sur encinematheque.net
  10. DVD TF1 Vidéo/1981 Les films 13 (2000) EDV 1035

Liens externes[modifier | modifier le code]