Programme nucléaire de l'Argentine

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Le programme nucléaire de l'Argentine date du premier mandat du général Perón ( - ). Membre du Groupe des fournisseurs nucléaires, qui compte 45 États, l'Argentine est aujourd'hui dotée de trois[1] réacteurs en marche, deux à Atucha et un à Embalse, qui fournissent environ 8 % du réseau électrique national[2]. Signataire du traité de Tlatelolco de , visant à créer une zone exempte d'armes nucléaires en Amérique latine, l'Argentine a ratifié en le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP).

En , le président Nestor Kirchner a annoncé un plan de réactivation du nucléaire visant notamment à augmenter jusqu'à 15 % la consommation d'énergie nucléaire en Argentine[2], et prévoyant des retombées sur l'industrie nationale et la santé, comprenant en outre un volet d'enrichissement d'uranium. Un accord de coopération a été signé avec le Brésil en . Buenos Aires s'est félicité en de la nomination du diplomate argentin Rafael Mariano Grossi comme chef de cabinet de l'AIEA, qui rend compte, selon le chancelier Jorge Taiana, de la reconnaissance du rôle positif de l'Argentine dans le développement de l'énergie nucléaire pacifique[3].

Voir l’image vierge
Localisation des centrales nucléaires en Amérique latine

1950 : création de la CNEA[modifier | modifier le code]

Le , conscient de l'importance que l'énergie nucléaire allait avoir, le président argentin Juan Domingo Perón, crée la Commission nationale de l'énergie atomique (es) (CNEA)

Perón annonça en que l'Argentine allait être le premier État à produire de la fusion nucléaire, grâce au Projet Huemul. Le projet, qui devait aussi servir à un usage pacifique, lui avait été proposé en par un savant autrichien, Ronald Richter (es). Richter, qui s'avéra plus tard être un escroc, avait été introduit auprès de Perón par le célèbre concepteur d'avions allemand, Kurt Tank.

En , des installations de recherche furent construites sur l'île Huemul (es), sur le lac Nahuel Huapi. Richter ayant des problèmes à passer du stade technique au stade industriel, Perón nomma une commission d'enquête en , dirigée par José Antonio Balseiro, Mario Báncora, Manuel Beninson, Pedro Bussolini et Otto Gamba. Celle-ci conclut à une imposture de la part de Richter. Une deuxième commission, dirigée par Richard Gans et Antonio Rodríguez, confirma les allégations de la première, menant à l'abandon du Projet Huemul.

L'équipement fut transféré à des anciennes casernes de l'armée où Péron lui-même avait séjourné comme jeune officier de troupes de montagne, donnant naissance au Centre atomique de Bariloche (es) (CAB) de la CNEA et à l'Institut de physique de l'Université nationale de Cuyo, rebaptisée plus tard Institut Balseiro (IB).

1958 : le premier réacteur nucléaire sud-américain[modifier | modifier le code]

Dans le cadre du programme « Atomes pour la Paix », l'Argentine reçoit en les plans d'un réacteur américain de recherche de type Argonaut, ainsi que le combustible à l'uranium hautement enrichi que l'Argentine ne pouvait pas produire. En huit mois, le réacteur appelé RA-1 a été construit et il a divergé le à six heures du matin, devançant de quelques mois le réacteur nucléaire brésilien.

Les Argentins ne se limitent pas à faire fonctionner le réacteur. Ils augmentent la puissance d'un facteur dix et trouvent des solutions, avec des méthodes simples et à leur portée, à des problèmes d'ingénierie très ardus, arrivant même à construire leurs propres rectificateurs pour des équipements électroniques, avec du sélénium produit localement[4].

La CNEA commence à produire des radioisotopes pour l'usage médical et industriel, et à acquérir l'expérience nécessaire pour l'étape suivante : un réacteur complètement conçu et fabriqué en Argentine, le RA-3.

1967 : le premier réacteur nucléaire en Argentine[modifier | modifier le code]

Pendant les années 1960, la CNEA ressentit le besoin de maîtriser la technologie et non pas de l'acheter clé en main. « Apprendre en faisant » était le credo du plan nucléaire argentin. En , le cœur du premier réacteur totalement conçu et construit en Argentine entre en divergence et la CNEA commence à envisager la construction d'une centrale nucléaire.

1968 : Début de la construction de la première centrale nucléaire[modifier | modifier le code]

L'un des derniers décrets signés par le gouvernement civil d'Arturo Illia, a été celui de la construction d'un réacteur nucléaire commercial à Atucha, près de la ville de Lima, au nord-ouest de Buenos aires. La junte militaire ayant renversé Illia a continué le projet, et Kraftwerk Union, la filiale de la firme allemande Siemens, commença le le chantier de construction de la centrale nucléaire d'Atucha, première centrale nucléaire d'Amérique du Sud. Équipé d'un réacteur à eau lourde pressurisée ou PHWR, elle entra en service en 1974, commençant la production d'énergie nucléaire en . Ce réacteur a fourni environ 2,5 % des besoins de la production du pays en 2005.

En à peine dix ans, l'Argentine était passée du stade de pays sans réacteur nucléaire à celui de constructeur d'une centrale nucléaire.

1974 : la deuxième centrale nucléaire[modifier | modifier le code]

Lors du troisième et dernier mandat de Perón, le décret du valide un contrat avec un consortium comprenant des sociétés canadienne AECL et italienne Italimpianti, afin de construire la centrale d'Embalse, équipé d'un réacteur CANDU (de conception canadienne) et construite par un consortium comprenant des sociétés canadienne AECL et italienne Italimpianti. Celle-ci a été mise en service en 1983. Deux ans plus tard, des propriétaires de technologie CANDU, situés en Argentine et en Corée du Sud, se sont joints au Groupe de propriétaires de CANDU (GPC). Embalse fournit aujourd'hui près de 4,5 % de l'électricité en Argentine.

Dans les années 1970, l'Argentine met en place avec le Brésil un programme de surveillance mutuelle[2].

1977 : le programme nucléaire[modifier | modifier le code]

La junte militaire qui prend le pouvoir en continue le programme nucléaire. Un docteur en physique et contre-amiral de la marine argentine, Carlos Castro Madero, est nommé à la tête de la CNEA. Sous sa direction, la CNEA entreprend un ambitieux plan nucléaire, dit Programme nucléaire de 1977, qui comprenait la construction de plusieurs réacteurs de puissance, en plus du réacteur déjà en service en 1974 (Atucha I, un réacteur à eau lourde pressurisée, technologie Siemens). Sous son mandat, la deuxième centrale nucléaire, Embalse (technologie CANDU-600) entre en service en 1983. Une usine d'eau lourde est construite en nord-Patagonie pour alimenter en eau lourde les réacteurs argentins, qui n'ont pas besoin d'uranium enrichi pour fonctionner.

Castro Madero créé en 1981 le holding ENACE, dont la vocation était de devenir l'architecte-ingénieur de la construction des futures centrales nucléaires argentines. L'État argentin en détient 75 % des parts, Siemens AG étant propriétaire des 25 % restants.

Peu avant la rétrocession du pouvoir aux civils par la junte militaire, Castro Madero annonce à Buenos Aires que l'Argentine avait la maîtrise de la technologie de l'enrichissement par diffusion.

Castro Madero s'est avéré aussi bien un administrateur compétent qu'un physicien de valeur (il était neutronicien) et un homme intègre ; à la fin de son mandat en 1983, aucune charge contre lui n'a été retenue. Il a payé de sa vie l'effort excessif de ces années de travail ; il décéda prématurément en 1991, victime d'un infarctus.

De 1983 à 2006[modifier | modifier le code]

L'enrichissement d'uranium, nécessaire à la construction d'une bombe atomique, est abandonné par le nouveau président civil Raul Alfonsin (1983-1988)[2], qui était sous pressions pour renégocier la dette externe de l'Argentine. Le programme nucléaire est alors mis sur pause dans les années 1980, et un entrepreneur sans expérience en science et technologie, Alberto Costantini, est nommé au poste de président de la CNEA.

Les effets de la mauvaise gestion de Costantini se font immédiatement sentir. Des départs volontaires sont organisés, car le néolibéralisme montant considère le personnel scientifique et technique comme un parasite de l'État, et non plus un dépositaire du savoir technologique de la Nation.[non neutre] L'asphyxie budgétaire réduit la productivité de ceux qui restent. Beaucoup de physiciens et ingénieurs nucléaires argentins doivent émigrer, faut de projets ; une partie se reconvertit dans l'aérospatial ; d'autres réussissent dans l'informatique et même dans la finance.

Malgré ces difficultés — ou ce qui semble plus plausible, à cause d'elles —, le plan nucléaire de la Commission nationale de l'énergie atomique (CNEA) a exporté des technologies nucléaires au Pérou, en Algérie, en Égypte (réacteur à uranium enrichi d'Inshas, mis en service en 1997) et en Australie[2] (construction du réacteur OPAL (en) par la firme argentine INVAP). En liaison avec la Chine, l'Argentine avait aidé l’Algérie à se doter de deux réacteurs nucléaires expérimentaux, Nour basé à Draria (inauguré en 1989) (Alger) et Salam à Aïn Oussara (Djelfa, en service depuis 1993)[5].

La holding ENACE devait diriger la construction d'Atucha II, dans laquelle 10 millions de dollars par an sont investis dans l'entretien[2], mais les travaux furent interrompus sous Carlos Menem (1988-1999), en 1994[2].

La même année, les centrales Atucha et Embalse, dirigés par la CNEA, passent sous le contrôle de Nucleoeléctrica Argentina (NASA). Associée à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), la NASA possède trois centres (à Bariloche, Constituyentes et Ezeiza) ainsi qu'un complexe à Pilcaniyeu (dans le département du même nom).

La coopération avec l'Iran[modifier | modifier le code]

Voir aussi : Programme nucléaire de l'Iran.

Le manque de budget avait acculé les responsables du programme nucléaire argentin à chercher à exporter technologie afin de se procurer de l'argent. Un accord de coopération est signé alors avec l'Iran par Raul Alfonsin (1983-1988)[6]. En 1991, sous pression de Washington[7], Carlos Menem le suspend unilatéralement[6]. L'année suivante, l'ambassade d'Israël à Buenos Aires est dynamitée, et en 1994, une mutuelle juive (AMIA) suit le même sort.

En , les procureurs fédéraux argentins chargés de l'attentat de l'AMIA du et de l'attentat de 1992 contre l'ambassade d'Israël à Buenos Aires ont accusé Téhéran et le Hezbollah libanais d'avoir été à l'origine de l'attaque, affirmant qu'il s'agissait de représailles à la cessation de l'accord de coopération nucléaire[6]. La thèse est néanmoins discutée[7], y compris par La Nación qui souligne le manque de preuves dans l'enquête[8], tandis que de nombreuses irrégularités ont émaillé le procès au cours des années[6].

Suscitant davantage de questions que de réponses, les rapports des procureurs montrent que Buenos Aires n'avait jamais totalement arrêté la coopération, livrant de l'uranium faiblement enrichi à Téhéran[6],[9]. Selon Gareth Porter (en), le rapport lui-même sape les accusations, d'une part parce que la coopération n'avait jamais complètement cessé, d'autre part parce que Buenos Aires était sur le point de la renforcer, des négociations pour remettre à plein régime les trois accords étant en cours avec l'Organisation de l'énergie atomique d'Iran (OEAI)[7]. L'Iran a attendu 1996 avant de déclarer qu'elle allait prendre des mesures légales contre la rupture de deux contrats avec l'Argentine[7].

2006 : le plan de réactivation nucléaire et la coopération avec le Brésil[modifier | modifier le code]

Le président Nestor Kirchner a décidé de relancer le programme nucléaire argentin en 2006, annonce faite par son ministre Julio de Vido (en) le [10],[11]. Le plan prévoit en particulier, pour un montant estimé de 3,5 milliards de dollars :

La nouvelle présidente, Cristina Fernández de Kirchner, a signé un accord de coopération nucléaire avec son homologue brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, visant à produire de l'uranium enrichi. Buenos Aires et Brasilia ont ainsi créé le Comité Binational d’Energie Nucléaire (COBEN) en .

L'Agence brasiléno-argentine des Applications de l'Energie Nucléaire (AABAEN) devrait terminer le chantier de Atucha II, et commencer la construction d'ANGRA III au Brésil[13].

Scandales internes au CNEA (2007)[modifier | modifier le code]

Une affaire de corruption éclaboussa le CNEA en , menant le président du CNEA, José Abriata, à ordonner une suspension temporaire, de 30 jours, du gérant général, Rubén Calabrese, et du président de l'entreprise publique Dioxitek, Santiago Morazzo[14]. Le CNEA est un organisme d'État, alors que Dioxitek est une entreprise ; les deux sont sous la tutelle du Ministerio de Planificación Federal, Inversión pública y Servicios, dirigé par Julio De Vido (en).

2014 à aujourd'hui : la mise en service du 3ème réacteur et le futur du programme nucléaire[modifier | modifier le code]

La mise en service du réacteur n°2 de la centrale de Atucha[modifier | modifier le code]

Le troisième réacteur de puissance du pays a été connecté au réseau argentin et a produit ses premiers kWh d'électricité le [1]. Celui ci à par la suite été amené à sa puissance nominale en pour finalement entrer en service commercial le [1].

Construction de petits réacteurs modulaires (SMR) sur le site de Atucha[modifier | modifier le code]

L'argentine est aussi en train de construir un SMR, sur le site de Centrale nucléaire d'Atucha: le Réacteur nucléaire Carem, un petit réacteur modulaire dérivé des réacteurs construit et utilisé dans les sous-marin nucléaires de la marine Argentine.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a b et c (en) Nuclear Power in Argentina, World Nuclear Association, 09 mai 2023, remis à jour le 30 avril 2023.
  2. a b c d e f et g (fr) Lamia Oualalou, L'Argentine relance son programme nucléaire, Le Figaro, 15 septembre 2007, remis à jour le 25 août 2008.
  3. (es) « Un argentino para la OIEA », sur Página/12, (consulté le ).
  4. (es)[PDF]« Carlos Domingo, dans Histoire du RA-1 »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), sur www.cnea.gov.ar (consulté le )
  5. (fr) Faycal Metaoui, Perspective de coopération dans le nucléaire civil, El Watan, .
  6. a b c d et e (fr) Ignacio Klich, Et le Proche-Orient fait irruption en Argentine, Le Monde diplomatique, .
  7. a b c et d (en) « Argentine Report Casts Doubt on Iran Role in '94 Bomb, Gareth Porter,IPS, 13 novembre 2006 ». Cité par Alain Gresh, (fr) « Argentine, la piste iranienne,  ».
  8. (es) Una cuestión de fe, no de pruebas, La Nación, .
  9. (en) Iran Defends Its Pursuit Of Nuclear Technology, Christian Science Monitor, .
  10. (es) Presidency of Argentina. 23 August 2006. « Reactivación nuclear. Discours du ministre Julio De Vido. »
  11. (es) « Lanzó el Gobierno un plan de impulso a la energía nuclear », sur La Nacion, .
  12. (en) Argentine reactor moves into commissioning WNN 08 Jan 2013.
  13. Ingrid Chanefo, « L'énergie nucléaire en Amérique du Sud », Bulletins électroniques, no 40,‎ (lire en ligne [archive du ]).
  14. (es) « Separan a funcionarios del área nuclear acusados de corrupción », sur La Nacion, .

Voir aussi[modifier | modifier le code]