Ève mitochondriale

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

L'Ève mitochondriale, ou plus récente ancêtre matrilinéaire commune, est le nom donné à la femme étant la plus récente ancêtre commune par lignée maternelle de l'humanité. En première approximation, elle est la dernière femme dont les mitochondries ont engendré les mitochondries de tout humain actuel : les mitochondries sont des organites cellulaires qui ne sont transmis que par l'ovule de la mère ; seuls de très rares cas de transmission d'ADN mitochondrial par le père ont été rapportés. L'Ève mitochondriale est l'équivalent féminin de l'Adam Chromosome-Y, l'ancêtre commun le plus récent par lignée paternelle.

En tenant compte de la vitesse de mutation (concept de l'horloge moléculaire), dans cet ADN mitochondrial, les calculs laissent penser que l'Ève mitochondriale a vécu il y a quelque 150 000 ans. La phylogénie suggère qu'elle a vécu en Afrique orientale[1] (aujourd'hui Éthiopie, Kenya ou Tanzanie).

Éclaircissement[modifier | modifier le code]

Bien que le nom biblique d'Ève lui ait été donné, l'Ève mitochondriale n'était pas forcément la seule femme vivant à son époque, ni la seule femme ayant eu une descendance jusqu'à nos jours. Ce qui caractérise l'Ève mitochondriale, avec toutes ses ancêtres par lignée maternelle, est qu'elle est l'ancêtre de l'humanité actuelle par lignée maternelle uniquement : de sa génération, seule l'Ève mitochondriale a produit une chaîne ininterrompue de filles jusqu'à aujourd'hui, et elle fut la seule de laquelle tous les humains vivants descendent en ligne maternelle. Étant transmises de mère en fille et en fils, seules les mitochondries de cette femme (parmi celles de son époque) sont à l'origine des mitochondries que possèdent n'importe quel humain actuel.

Si le critère de matrilinéarité est abandonné, il existe des ancêtres communes à l'humanité actuelle qui sont plus récentes que l'Ève mitochondriale, et qui ont pu transmettre jusqu'à nos jours une partie de leur ADN nucléaire : par exemple, quelque ancêtre commune plus récente doit avoir transmis un gène qui spécifie une sous-unité d'ARN dans les ribosomes[réf. souhaitée]. Cependant, puisque la reproduction mêle l'ADN nucléaire des chromosomes transmis par les deux parents, une ancêtre commune plus récente que l'Ève mitochondriale est difficile à définir d'une manière non arbitraire, et la plus récente est difficile à identifier.

Analogie avec l'Adam Y-chromosomique[modifier | modifier le code]

Il a existé par ailleurs un homme, l'Adam Y-chromosomique, ayant engendré une lignée ininterrompue de garçons jusqu'à nos jours, et qui est l'aïeul patrilinéaire de tous les humains actuels. On date cet « Adam » d'environ 142 000 années[2]. Si l'on tient compte des marges d'incertitudes de leurs études respectives, l'Ève mitochondriale a pu être contemporaine de l'Adam Y-chromosomique, de sorte que, bien que ce soit très improbable, ils auraient en effet pu former un couple. S'ils ne sont pas les premiers Homo sapiens, seuls leurs gênes ont en effet été transmis jusqu'à nos jours, les autres lignées humaines s'étant éteintes sans descendance à des époques ultérieures.

Cependant, les estimations du temps jusqu'à l'ancêtre commun le plus récent ont été systématiquement plus faibles pour le chromosome Y (il y a ∼60–140 mille ans) que pour l'ADNmt (il y a ∼140-240 mille ans)[3],[4].

L'idée d'un couple entre l'Adam chromosomique et l'Eve mitochondriale est indémontrable en l'état et n'a que peu de chance d'avoir une réalité paléoanthropologique.

Transmission paternelle de mitochondries ?[modifier | modifier le code]

À l'heure actuelle, une transmission paternelle de mitochondries n'a été observée que dans de très rares cas, chez des espèces de moules[5],[6]. Il s'agit donc d'une hypothèse audacieuse. Si elle s'avérait, les mitochondries ne seraient pas un marqueur matrilinéaire aussi exclusif qu'on l'avait considéré.

Origine africaine[modifier | modifier le code]

Les grandes migrations préhistoriques d'Homo sapiens reconstituées sur la base de l'ADNmt (datations en milliers d'années avant le présent)

On parle parfois de l'Ève mitochondriale comme d'une Ève africaine. L'hypothèse africaine est établie sur l'examen des fossiles aussi bien que sur l'analyse de l'ADN mitochondrial. Les « arbres généalogiques » (ou « phylogénies ») édifiés sur la base des comparaisons des ADN mitochondriaux montrent que les humains vivants dont les lignages mitochondriaux constituent les premières branches de l'arbre sont les populations indigènes d'Afrique, tandis que les lignages des peuples indigènes des autres continents naissent tous de lignées africaines.

Des critiques de ces généalogies ont soutenu la thèse d'une Éve asiatique, et par extension d'une origine asiatique de l'humanité. Toutefois, le principal soutien que l'ADN mitochondrial apporte à l'hypothèse d'une Ève africaine ne dépend pas des arbres généalogiques mais du constat que c'est parmi les populations africaines que l'on trouve la plus grande diversité d'ADN mitochondrial, certaines variations ne semblant exister qu'en Afrique. Cette diversité n'aurait pas pu s'accumuler ainsi si les humains n'avaient pas vécu bien plus longtemps en Afrique que n'importe où ailleurs. L'analyse des séquences du chromosome Y a donné des résultats allant dans le sens d'un Adam Y-chromosomique africain également.

Culture populaire[modifier | modifier le code]

  • Dans le dernier épisode de la saison 4 de Battlestar Galactica, lorsque l'humanité vient s'établir sur Terre, l'Ève Mitochondriale est présentée comme étant la fille d'un père humain et d'une mère cylon, un organisme synthétique.
  • La franchise de jeux-vidéo Parasite Eve fait également référence à l’Ève Mitochondriale[7].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. (fr) Richard Dawkins, Il était une fois nos ancêtres : une histoire de l'évolution, 2005 (ISBN 978-2-2211-0505-4) ; (en) The Ancestor's Tale: A Pilgrimage to the Dawn of Life, 2004 (ISBN 978-0-7528-7321-3)
  2. (en) Fulvio Cruciani et al., « A Revised Root for the Human Y Chromosomal Phylogenetic Tree: The Origin of Patrilineal Diversity in Africa », American Journal of Human Genetics, vol. 88, no 6,‎ (DOI 10.1016/j.ajhg.2011.05.002, lire en ligne, consulté le )
  3. (en) D.M. Behar, M. van Oven, S. Rosset, M. Metspalu, E.L. Loogväli, N.M. Silva, T. Kivisild, A. Torroni, R. Villems, « A “Copernican” reassessment of the human mitochondrial DNA tree from its root », The American Journal of Human Genetics, no Volume 90, Issue 5,‎ , p. 936 (lire en ligne)
  4. (en) Fernando L. Mendez, Thomas Krahn, Bonnie Schrack, Astrid-Maria Krahn, Krishna R. Veeramah, August E. Woerner, Forka Leypey Mathew Fomine, Neil Bradman, Mark G. Thomas, Tatiana M. Karafet, Michael F. Hammer, « An African American Paternal Lineage Adds an Extremely Ancient Root to the Human Y Chromosome Phylogenetic Tree », The American Journal of Human Genetics, no Volume 92, Issue 4,‎ , p. 637 (lire en ligne)
  5. (fr) Sophie Breton et Hélène Doucet Beaupré, « Un système de transmission de l'ADN mitochondrial sexuellement équitable », Médecine/Sciences, vol. 23, no 11,‎ , p. 1038-1040 (lire en ligne)
  6. (en) Sophie Breton, Hélène Doucet Beaupré, Donald T. Stewart, Walter R. Hoeh et Pierre U. Blier, « The unusual system of doubly uniparental inheritance of mtDNA: isn't one enough? », Trends in Genetics, vol. 23, no 9,‎ , p. 465-474 (DOI 10.1016/j.tig.2007.05.011)
  7. (en) « Mitochondria Eve », sur Parasite Eve Wiki (consulté le )

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Arbre phylogénétique des Haplogroupes de l'ADN mitochondrial (ADNmt) humain.

  Ève mitochondriale (L)    
L0 L1–6
L1 L2 L3   L4 L5 L6
  M   N  
CZ D E G Q   O A S   R   I W X Y
C Z B F R0   pre-JT P  U
HV JT K
H V J T

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Cann, R.L., Stoneking, M., et Wilson, A.C., 1987, "Mitochondrial DNA and human evolution", Nature 325; p. 31–36
  • Excoffier, L., et Yang, Z., "Substitution Rate Variation Among Sites in Mitochondrial Hypervariable Region I of Humans and Chimpanzees", 1999, Molecular Biology and Evolution 16; p. 1357–1368
  • Kaessmann, H., et Pääbo, S.: "The genetical history of humans and the great apes". Journal of Internal Medicine 251: 1–18 (2002). pubmed
  • Laurence Loewe et Siegfried Scherer, “Mitochondrial Eve: The Plot Thickens,” Trends in Ecology & Evolution, Vol. 12, 1997, p. 422.
  • Nicole Maca-Meyer, Ana M González, José M Larruga, Carlos Flores et Vicente M Cabrera (2001) "Major genomic mitochondrial lineages delineate early human expansions". BMC Genetics Biomed central
  • Stephen Oppenheimer, The Real Eve, Carroll & Graf, 2004 (ISBN 978-0-7867-1334-9)
  • Bryan Sykes, The Seven Daughters of Eve: The Science That Reveals Our Genetic Ancestry, W.W. Norton, 2001, 306 pages, (ISBN 978-0-393-02018-2). Traduction française : Les sept filles d'Ève, (ISBN 978-2226126177 et 978-2253155881)
  • Vigilant, L., Pennington, R., Harpending, H., Kocher, T.D. et Wilson, A.C., 1989, "Mitochondrial DNA Sequences in Single Hairs from a Southern African Population", Proc. Natl. Acad. Sci. USA 86; p. 9350–9354
  • Thomas J. Parsons et al., "A High Observed Substitution Rate in the Human Mitochondrial DNA Control Region", Nature Genetics, Vol. , p. 365.
  • Vigilant, L., Stoneking, M., Harpending, H., Hawkes, K. et Wilson, A.C., 1991, "African Populations and the Evolution of the Human Mitochondrial DNA", Science 253; p. 1503–1507 Pubmed
  • Watson E., Forster P., Richards M. et Bandelt H.-J. (1997). "Mitochondrial Footprints of Human Expansions in Africa." American Journal of Human Genetics. 61: 691-704 pubmed
  • Spencer Wells The Journey of Man: A Genetic Odyssey, Princeton University Press, January 2003, hardcover, 246 pages, (ISBN 978-0-691-11532-0)
  • A. C. Wilson, R. L. Cann, S. M. Carr, M. George Jr., U. B. Gyllensten, K. Helm- Bychowski, R. G. Higuchi, S. R. Palumbi, E. M. Prager, R. D. Sage, et M. Stoneking (1985) "Mitochondrial DNA and two perspectives on evolutionary genetics". Biological Journal of the Linnean Society 26:375-400

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]