Plante rudérale

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Communauté rudérale d'Inule visqueuse le long d'une voie ferrée en Israël. Le ballast accueille parfois une flore originale constituée de plantes pionnières, thermophiles et xérophiles. Le passage des trains favorise la dispersion des graines par les vents (phénomène d'anémochorie et d'agochorie), faisant migrer rapidement les plantes d'un endroit à l'autre.

Les plantes rudérales (étymologiquement, l'adjectif « rudéral » dérive du latin : rudus, variante de raudus signifiant « masse informe, non travaillée, masse brute », ruderis, génitif de rūdus, signifiant débris, décombres) sont des plantes qui poussent spontanément dans un espace rudéral, c'est-à-dire un milieu anthropisé modifié du fait de l'activité ou de la présence humaine (zones résidentielles ou d'activités, aires de stationnement, pelouses rudérales des parcs, jardins et espaces verts, terres des jardins et potagers, décombres, décharges, tas de détritus et composts[1], friches pionnières nitrophytes, trottoirs[2], pieds d'arbres[3], bords des chemins et bermes des routes enrichis par les produits de fauche, replats herbeux des montagnes utilisés comme pâturages ou reposoir, espaces agricoles, voisinage des habitations et des fermes où ces plantes profitent des nitrates apportés par les terres remuées ou le lisier)[4]. La « rudéralisation » a souvent pour conséquence l'implantation d’espèces fortement colonisatrices qui, peu à peu, éliminent les plantes spontanées.

Ces plantes colonisatrices affectionnent les espaces ouverts (à l'inverse de la forêt, qui est un milieu fermé), perturbés ou instables. Ce sont souvent des espèces pionnières, nitrophytes, épilithes ou thérophytes, cosmopolites et adventices, qui colonisent de nouveaux terrains après un bouleversement ou une modification de l'écosystème local[4]. On estime parfois que certaines de ces espèces se comportent comme des commensales de l'être humain.

Rudéralisation[modifier | modifier le code]

Triangle de Grime avec les trois stratégies végétales principales sélectionnées en réponse à différents facteurs environnementaux (biotiques ou abiotiques) : stratégie compétitive (C), tolérance au stress (S) et rudéralisation (R).

Le phénomène de rudéralisation est lié à la présence d'éléments nutritifs consécutifs à l'activité ou à la présence humaine (mouvements de véhicules, de personnes, de bétail, terrains remués) qui contribue à l'enrichissement des sols en nitrates, phosphates, etc.

Cette rudéralisation est une stratégie écologique décrite par John Philip Grime dans le cadre de sa théorie des stratégies CSR élaborée en 1974[5]. Chez certaines espèces végétales, en majorité des Astéracées telles que les chardons, chaque plante produit des akènes à aigrettes (issues d'un mode sexué de reproduction) favorables à la dispersion par le vent (anémochorie), et des graines sans aigrettes (issues d'un mode sexué), peu mobiles. Un équilibre est maintenu à l'échelle de la métapopulation[6]. Dans les réserves naturelles, le taux de dispersion sélectionné est faible et proche de celui qui minimise le risque d'extinction. Par contre, dans les milieux perturbés, la rudéralisation sélectionne un taux de dispersion inférieur à celui qui minimise le risque d'extinction. Le dimorphisme sexuel des akènes est maintenu par des pressions de sélection opposées (milieu stable versus milieu rudéralisé) qui s'exercent à l'échelle d'une métapopulation et qui correspondent à des stratégies de colonisation et de survie différentes selon l'hétérogénéité spatio-temporelle des milieux. La rudéralisation serait ainsi utile au maintien de la biodiversité[7].

Succession écologique[modifier | modifier le code]

Au début d'une succession végétale, les plantes sont en général des lichens et des mousses, suivis par des herbes, puis des arbustes et enfin des arbres. Sur les espaces rudéraux, cette succession se traduit par des espèces caractérisées par un cycle de vie court, une croissance rapide et un taux de reproduction élevé, et qui sont susceptibles de bénéficier plus que les arbres de l'apport de fertilisants et ainsi limiter la croissance de ces derniers par effet de compétition : plantes annuelles et bisannuelles (Sisymbre officinal des pelouses annuelles des milieux artificialisés ou fortement perturbés[8], chardon aux ânes des friches des bords de chemins et décombres sur sols riches en calcaire, Gaillet gratteron - Alliaire officinale des ourlets rudéraux[9]), des plantes vivaces (syntaxons Artemisia vulgaris des friches mésophiles[10], Grande bardane des friches nitrophytes denses[11] de hautes herbes, Grand Plantain[12] des prairies-pelouses mésophiles piétinées, Elymus athericus[13] des prairies subrudérales et nitrophiles)[14],[15].

Flore urbaine[modifier | modifier le code]

Dans les villes, à côté de la végétation des parcs et jardins, se développe une flore anthropique spontanée sur différents biotopes (espèces synurbiques)[19] : bas de mur (milieu le plus favorable car à l'abri du piétinement et pourvu d'un microsol grâce à l'apport de débris organiques de la rue ou de l'urine animale voire humaine[20]), trottoir (anfractuosité, fissure, jointement altéré), tour d'arbre (lui aussi pourvu d'un microsol), caniveau (apports organiques et minéraux entraînés par le ruissellement des eaux)[21]. L'inventaire de cette flore rudérale (comme l'inventaire faunistique) permet aux écologues urbains de déterminer le coefficient de présence des espèces anthropophiles, la répartition des groupements végétaux, et d'établir un suivi de la biodiversité urbaine[22].

Contrairement à une idée répandue, le milieu urbain favorise rarement les espèces spécialistes (Sedums, Ombilic de Vénus). Les espèces citadines sont le plus souvent ubiquistes, développant des stratégies écologiques très diverses pour survivre (fortes capacités d’adaptation, bonnes compétitrices…). L'influence de l'homme a pour effet d'aider les espèces plastiques les plus généralistes à se répandre aux dépens d'espèces plus spécialisées. Les écologues appellent homogénéisation biotique par l'urbanisation ce processus de disparition d’espèces rares, spécialisées voire endémiques, et l'introduction d'espèces bien répandues, généralistes et/ou exotiques voire envahissantes[23],[24].

Exemples de plantes rudérales[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Chénopodes, Douce-amère, Atriplex.
  2. Herbes prostrées et mousses de fentes entre les pavés des trottoirs (Sagines, bryum d'argent), végétation piétinée des trottoirs de terre (Grand plantain, Matricaire odorante
  3. Chénopode blanc, Érigéron du Canada
  4. a et b Georges Métailié et Antoine Da Lage, Dictionnaire de biogéographie végétale, CNRS éditions, , p. 547.
  5. (en) JP Grime, « Vegetation classification by reference to strategies », Nature, vol. 250, no 5461,‎ , p. 26-31 (DOI 10.1038/250026a0).
  6. (en) Isabelle Olivieri, Pierre-Henri Gouyon, « Seed dimorphism for dispersal: theory and implications ». In: J. Heack (Editeur), J.W. Woldendorp (Editeur), Structure and functioning of plant populations- 2 phenotypic and genotypic variation in plant populations, 1985, p. 77-90
  7. D. Couvet, P.H. Gouyon, F. Kjellberg, I. Olivieri, D. Pomente, G. Valdeyron, « De la metapopulation au voisinage : la génétique des populations en déséquilibre », Génétique Sélection Évolution, vol. 17, no 3,‎ , p. 407-414.
  8. Végétations spontanées dominées par les annuelles et les bisannuelles (Sisymbre officinal, Chenopodium murale, Chenopodium album, Mercurialis annua, Poa annua, Polygonum aviculare, Solanum nigrum, Urtica urens, Amaranthus retroflexus.
  9. Communautés nitrophiles des lisières externes et de haies, ou intraforestières, sur des sols généralement bien alimentés en eau. Elles sont caractérisées par Alliaria petiolata, Glechoma hederacea, Galium aparine, Anthriscus sylvestris, Chelidonium majus, Stellaria neglecta.
  10. Elles sont notamment caractérisées par Lamium album, Arctium lappa, Arctium minus, Artemisia verlotiorum, Armoracia rusticana. Les friches pluriannuelles à hautes herbes, généralement localisées sur les talus des bords de routes, les vieilles jachères et les friches ouvertes périurbaines, donnent les associations à Daucus carota et Picris hieracioides sur sols neutres à basiques, Echium vulgare, Verbascum sp. et Oenothera sp. sur sols sableux.
  11. Cortège floristique : bardanes, Urtica dioica, Dipsacus fullonum, lamiacées (Ballota nigra, Lamium album), ombellifères (Anthriscus sylvestris, Pastinaca urens, Conium maculatum).
  12. Communautés herbacées basses et ouvertes, piétinées, caractérisées par des espèces telles que Plantago major, Poa annua, Veronica serpyllifolia.
  13. Communautés vivaces graminéennes, dominées par les espèces du genre Elymus, souvent psammophiles et calcicoles. L'alliance du Convolvulo-Agropyrion, dominée par le Chiendent sur les pentes (association Convolvulo arvensisElytrigietum repentis) et par endroits, le Solidage, occupe une grande majorité des bermes autoroutières, des bords de route et des champs. L'alliance Dauco carotaeMelilotion albi correspond à des friches de hautes herbes, moins thermophiles, sur des substrats grossiers. L'alliance Égopode podagraire-Alliarion se retrouve dans les ourlets nitrophiles qui profitent de l'ombrage des plantations arbustives.
  14. (es) Federico Fernández González, Rosa Pérez Badía, Avances en el conocimiento de la vegetación, Univ de Castilla La Mancha, , p. 139-142.
  15. [PDF] « Classification physionomique et phytosociologique des végétations de Basse-Normandie, Bretagne et Pays de la Loire », Les Cahiers scientifiques et techniques #1 du CBN de Brest, 2014, 266 p.
  16. Graminées (Arrhenatherum, Holcus, Dactylis) et Daucus, auxquels se mêlent des chiendents et des Agrostis.
  17. Groupement auquel se mêlent divers Chardons (Cirsium arvense, Cirsium vulgare, Carduus crispus, Dipsacus sylvestris), des rudérales anciennes (archéophytes telles que le réséda des teinturiers, la Matricaire inodore, la Linaire commune), ou d'introduction récente (Solidago, Aster, Buddleia, etc.)
  18. P. Duvigneaud, J. Timperman & J. C. Moniquet, « Études écologiques de l'écosystème urbain bruxellois », Bulletin de la Société Royale de Botanique de Belgique, t. 108, fasc. 1,‎ , p. 93-128.
  19. Nathalie Machon, Sauvages de ma rue. Guide des plantes sauvages des villes de la région parisienne, Muséum national d'histoire naturelle, , 254 p.
  20. Sébastien Simon, « L'Uritrottoir, la pissotière amie des fleurs à Paris », sur lefigaro.fr, .
  21. Axel Ghestem, M.P. Martin, Christiane Descubes-Gouilly et Michel Botineau, « La végétation anthropique spontanée de la ville de Limoges. Premiers documents floristiques, écologiques et phytosociologiques », Annales Scientifiques du Limousin, vol. 9,‎ , p. 6 (lire en ligne).
  22. Olivier Lemoine, Joanny Fahrner et Tolga Coskun, Les 101 mots de la biodiversité urbaine à l'usage de tous, Sautereau éd., , 48 p..
  23. (en) Michael L. McKinney, « Urbanization as a major cause of biotic homogenization », Biological Conservation, vol. 127, no 3,‎ , p. 247-260 (DOI 10.1016/j.biocon.2005.09.005).
  24. (en) Julian D. Olden, Thomas P. Rooney, « On defining and quantifying biotic homogenization », Global Ecology and Biogeography, vol. 15, no 2,‎ , p. 113-120 (DOI 10.1111/j.1466-822X.2006.00214.x).
  25. Extrême tassement du sol, qui devient alors asphyxique, et surpiétinement des organes végétatifs.
  26. François Couplan, Eva Styner, Guide des plantes sauvages comestibles et toxiques, Delachaux et Niestlé, , p. 49.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]