Pierre Bayle

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Pierre Bayle
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Portrait de Pierre Bayle par Louis Ferdinand Elle
Naissance
Carla-le-Comte (France)
Décès (à 59 ans)
Rotterdam (Pays-Bas)
Activité principale
Auteur
Langue d’écriture Français

Pierre Bayle, né au Carla-le-Comte (aujourd'hui Carla-Bayle), près de Pamiers en Pays de Foix (aujourd'hui Ariège) le , mort à Rotterdam le , est un philosophe et écrivain français.

Biographie

Pierre Bayle est le second fils d’un modeste pasteur protestant. Instruit par son père, il apprend le grec et le latin. À cause de la pauvreté de sa famille il doit attendre la fin des études de son frère aîné, Jacob, pour commencer son cursus à l'Académie protestante de Puylaurens.

En 1669, il entre au collège des jésuites de Toulouse et se convertit au catholicisme. Après dix-sept mois, le 21 août 1671, il abjure et revient au protestantisme. En tant que relaps il doit s'exiler à Genève, où il entreprend des études de théologie et de philosophie et découvre notamment la pensée de Descartes. Pour subsister, il devient précepteur.

Il revient incognito en France – pendant quelques années, il signe du nom de Bêle – travaillant comme précepteur à Rouen (1674) puis à Paris. En 1675 sur les instances de son ami Jacques Basnage, il présente sa candidature à l’Académie de Sedan où, à l’issue d’un concours et grâce au soutien de Pierre Jurieu, il est nommé professeur de philosophie et d'histoire.

En 1681, Louis XIV fait fermer l’Académie de Sedan. Bayle s'exile aux Provinces-Unies. Le 8 décembre, il est nommé professeur de philosophie et d’histoire à l’École illustre de Rotterdam. Il publie en 1682 sa célèbre Lettre sur la comète, rééditée en 1683 sous le titre de Pensées diverses sur la comète – auxquelles viendront s'ajouter par la suite une Addition et une Continuation – où il dénonce les superstitions et l'idolâtrie et développe le paradoxe de l'athée vertueux. Il critique l’Histoire du calvinisme de l'ex-jésuite Louis Maimbourg.

Nouvelles de la République des Lettres

En 1684, Pierre Bayle crée et rédige un périodique de critique littéraire, historique, philosophique et théologique, les Nouvelles de la république des lettres, qui rencontre dans toute l’Europe un rapide succès. Il rédige des comptes rendus de livres publiés et donne toutes sortes de renseignements sur les auteurs dans un style et sur un ton qui restent abordables. Il entre ainsi en relation avec les principaux savants de son temps. Il n'existe pas alors de distinction nette entre la « littérature » et la « science »[1]. En 1687, Bayle, malade, doit abandonner la rédaction de ce périodique qui sera repris par la suite, mais dont le véritable continuateur est l'avocat Henri Basnage de Beauval, qui crée l'Histoire des ouvrages des savants.

En 1685, après la révocation de l’édit de Nantes, Bayle apprend la mort en prison de son frère Jacob, qui avait refusé d'abjurer. Dans son Commentaire philosophique sur ces paroles de Jésus-Christ : « Contrains-les d’entrer », il dénonce l'intolérance et prône une tolérance civile de toutes les confessions chrétiennes, du judaïsme, de l'islam et même pour les athées. En 1690 paraît un Avis important aux réfugiés exhortant les protestants au calme et à la soumission politique, ce qui provoque la colère de Pierre Jurieu. Ses ennemis, à la tête desquels se trouve Jurieu, parviennent à le faire destituer de sa chaire en 1693.

Les questions politiques

En réalité, au-delà des querelles personnelles, ce sont deux conceptions politiques qui s'affrontent. Jurieu est partisan de la théorie du contrat[2], et affirme que « le peuple est celui qui fait les rois » et que « quand une des deux parties vient à violer ce pacte, l'autre est dégagée »[3]. Bayle, suivant son « éthique d'historien »[3] veut se montrer fidèle à la loyauté huguenote traditionnelle. De là, deux attitudes pratiques. Jurieu pousse ses coreligionnaires à soutenir Guillaume III d'Orange contre Louis XIV pour instaurer en France une république. Bayle estime cette attitude risquée pour les protestants français qui soutiendraient les adversaires de Louis XIV engagé dans la guerre de la Ligue d'Augsbourg.

Le Dictionnaire historique et critique

Ceci ne le gêne pas particulièrement pendant la préparation de son Dictionnaire historique et critique, œuvre majeure qui préfigure l’Encyclopédie. Ce Dictionnaire se veut, en première intention, la correction des erreurs des auteurs des dictionnaires précédents (en particulier Louis Moréri). Mais Bayle précise son projet dans la préface :

« Or voici de quelle manière j'ai changé mon plan, pour tâcher d'attraper mieux le goût du public. J'ai divisé ma composition en deux parties : l'une est purement historique, un narré succinct des faits : l'autre est un grand commentaire, un mélange de preuves et de discussions, où je fais entrer la censure de plusieurs fautes, et quelquefois même une tirade de réflexions philosophiques; en un mot, assez de variété pour pouvoir croire que par un endroit ou par un autre chaque espèce de lecteur trouvera ce qui l'accommode[4]. »

Véritable labyrinthe, ce dictionnaire est composé d’articles emboîtés les uns dans les autres, en plus des nombreuses notes et citations où se trouvent en réalité l'essentiel de la réflexion. D’une certaine façon, Bayle, dans ce dictionnaire, pratique l’hypertexte en tant que le péritexte est plus abondant que le corps du texte. À travers une pensée en apparence errante, le principal enseignement de Bayle est que le monde ne se réduit jamais à une vision manichéenne et suppose le croisement permanent des points de vue et des opinions contradictoires.

Pierre Jurieu le dénonce au consistoire comme impie et, au Prince d’Orange, devenu roi d’Angleterre, comme ennemi de l’État et partisan secret de la France. Mais grâce à la protection de Lord Shaftesbury, il échappe cette fois aux coups de ses persécuteurs. Les dernières années de Bayle sont consacrées à divers écrits, provenant dans beaucoup de cas des critiques faites sur son Dictionnaire, qu’il cherche le reste de sa vie à développer. Il meurt de la tuberculose à Rotterdam le 28 décembre 1706.

Bayle est surtout connu comme sceptique. Dans son Dictionnaire, il se plaît à exhumer les opinions les plus paradoxales et à les fortifier d’arguments nouveaux, sans toutefois les prendre à son propre compte. Il pense que l'objectivité historique est possible si on respecte les principes fondamentaux de la critique historique, mais que cette objectivité n'est pas la vérité et que l'erreur est toujours possible : elle est causée par les préventions, les préjugés de l'éducation et les passions. Avec l’incrédulité qui règne dans ses écrits, il est déjà par son souci de la tolérance un philosophe au sens du XVIIIe siècle et il a frayé la voie à Voltaire.

En 1906, une statue en son honneur a été érigée à Pamiers comme « réparation d’un long oubli ».

Publications

Une édition condensée du Dictionnaire historique et critique datée de 1780.
Édition moderne
  • Dictionnaire historique et critique, Alexandre Laumonier (éd.) , Dijon, France, Les Presses du réel, 2013, 296 p. (ISBN 978-2-84066-420-8)

Notes et références

  1. voir Ulrich Ricken, « Le champ lexical Science-Littérature en français et en allemand » in Dix-huitième siècle, 1978, No. 10, p. 33 et sq
  2. Dans ses Lettres pastorales adressées aux fidèles de France qui gémissent sous la captivité de Babylone
  3. a et b Cité d'après J. Touchard, Histoire des idées politiques (Paris, 1971), I, p. 357, par Michel Baridon : « Lumières et Enlightenment. Faux parallèle ou vraie dynamique du mouvement philosophique ? » in Dix-huitième siècle, op. cit., p. 51
  4. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k504483/f4.image
  5. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k504332.r=Bayle.langFR;

Bibliographie

  • Vie de Bayle, par Pierre Des Maizeaux, 1732
  • Olivier Abel – Pierre-François Moreau (dir.), Pierre Bayle : la foi dans le doute, Genève-Paris : Labor et Fides, 1995.
  • Hubert Bost, Un « intellectuel » avant la lettre : le journaliste Pierre Bayle. L’actualité religieuse dans les Nouvelles de la République des Lettres (1684-1687), Amsterdam/Maarssen : APA/Holland University Press, 1994.
  • Hubert Bost – Philippe de Robert (éd.), Pierre Bayle, citoyen du monde. De l’enfant du Carla à l’auteur du Dictionnaire, Paris : Champion, 1999.
  • Hubert Bost, Pierre Bayle, Paris : Fayard, 2006.
  • Hubert Bost, Bayle historien, critique et moraliste, Turnhout : Brepols, 2006.
  • Hubert Bost – José Maia Neto (éd.), Bayle historien et critique de la philosophie. Kriterion, Revista da Faculdade de Filosofia da Universidade de Minas Gerais 120 (2009).
  • Hubert Bost – Antony McKenna (éd.), Les « Éclaircissements » de Pierre Bayle. Édition des « Éclaircissements » du Dictionnaire historique et critique et études, Paris : Champion, 2010.
  • Jean-Jacques Bouchardy, Pierre Bayle : La nature et la « nature des choses », Paris : Champion, 2001.
  • Stefano Brogi, Teologia senza verità : Bayle contro i « rationaux », Milano, 1998.
  • Wiep van Bunge – Hans Bots (éd.), Pierre Bayle (1647-1706), le « Philosophe de Rotterdam » : Philosophy, Religion and Reception, Leiden, 2008.
  • Bernard Cottret, « Tolérance ou liberté de conscience ? Épistémologie et politique à aube des Lumières », Études théologiques et religieuses 65/3 (1990), p. 333-350.
  • Isabelle Delpla – Philippe de Robert (éds.), La raison corrosive : Études sur la pensée critique de Pierre Bayle, Paris : Champion, 2003.
  • Paul Dibon (éd.), Pierre Bayle : Le philosophe de Rotterdam, Paris : Vrin, 1959.
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  • Jean-Pierre Jossua, Pierre Bayle ou l’obsession du mal, Paris : Aubier-Montaigne, 1977.
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  • Élisabeth Labrousse, Notes sur Bayle. Paris : Vrin, 1987.
  • Élisabeth Labrousse, Pierre Bayle, t. II : Hétérodoxie et rigorisme, La Haye : M. Nijhoff, 1964 (2e éd., Paris : A. Michel, 1996).
  • Élisabeth Labrousse, Conscience et conviction : Études sur le XVIIe siècle, Paris-Oxford : Universitas-Voltaire Foundation, 1996.
  • John Christian Laursen, « The Necessity of Conscience and the Conscientious Persecutor : The Paradox of Liberty and Necessity in Bayle’s Theory of Toleration », dans Luisa Simonutti (dir.), Dal necessario al possible : determinismo e liberta nel pensiero anglo-olandese del XVII secolo, Milan, 2001, p. 211-228.
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  • M. A. Stewart (éd.), Studies in Seventeenth-Century European Philosophy, Oxford : Clarendon Press, 1997.
  • Nicola Stricker, Die maskierte Theologie von Pierre Bayle, Berlin – New York, 2003.
  • Yves-Charles Zarka – Franck Lessay – John Rogers (éd.), Les fondements philosophiques de la tolérance, 3 tomes, Paris : PUF, 2002.

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