Naufrage du 3 octobre 2013 à Lampedusa

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Situation géographique de Lampedusa.

Le , une embarcation transportant environ 500 migrants africains fait naufrage près de Lampedusa, île italienne proche de la Sicile. La catastrophe fait 366 morts, ce qui en fait la deuxième plus grande tragédie en Méditerranée depuis le début du XXIe siècle.

Contexte[modifier | modifier le code]

La situation géographique de l'île, point le plus au sud du territoire italien, en a fait un lieu de débarquement privilégié pour les migrants clandestins, qui tentent de gagner l'Europe depuis les côtes africaines, principalement tunisiennes et libyennes. Ce phénomène a commencé en 1992 et s'est progressivement amplifié. Du fait des conditions de ces transports clandestins (rapacité des passeurs, vétusté des embarcations, passagers en surnombre, affaiblis physiquement et psychologiquement) les victimes de naufrages ont été très nombreuses dans le triangle formé par la Sicile, Malte et Lampedusa. La plus grave de ces catastrophes s'est produite à l'aube de Noël 1996, faisant au moins 283 morts, et n'a été connue que beaucoup plus tard[1]. Certaines estimations font état de plus de 3 000 morts ou disparus depuis 2002 aux abords de l'île[2]. Ces toutes dernières années, Lampedusa voit arriver de plus en plus de personnes originaires d'Afrique et du Moyen-Orient, du fait de la persistance de l’insécurité en Somalie, du régime dictatorial de l'Érythrée, des révolutions arabes et de la guerre civile syrienne. Peu après le drame du , à 60 milles au sud de Lampedusa, un autre navire sombrait et les corps d'une trentaine de personnes étaient repêchées[3] ; une quinzaine de jours plus tard, près de 700 passagers ont été secourus au large de l'île[4].

Circonstances[modifier | modifier le code]

Un chalutier en mauvais état part le premier octobre de Tripoli en Libye[5] avec environ 500 personnes à bord, en grande majorité des somaliens et des érythréens. Il rencontre des difficultés, à la suite d'une panne de moteur, à moins de deux kilomètres de l'île. Il est environ sept heures du matin et il semble que l'avarie ait entraîné une fuite de fioul qui se répand sur le pont. Faute d'autres moyens, un passager a l'idée de mettre le feu à une couverture pour alerter les bateaux présents dans la zone, mais le fioul s'enflamme et pour s'en écarter, certains se jettent à l'eau, les autres se précipitent d'un seul côté du navire qui est déséquilibré et se retourne brusquement. Des pêcheurs, entendant des cris, s'approchent du lieu du naufrage, réussissent à sauver quelques personnes et appellent au secours les garde-côtes qui les relayent. Mais, à leur arrivée, il y a déjà beaucoup de victimes autour et sous le navire qui gît par quarante mètres de fond. Seules 155 personnes sont sauvées et les plongeurs ont beaucoup de mal à remonter les corps dans les jours qui suivent[6]. L’un des passeurs reconnu par des rescapés, est arrêté[5],[7].

Les cercueils des corps repêchés sont installés dans un hangar de l'aéroport où se rendent le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso et le premier ministre italien Enrico Letta. Ils sont apostrophés violemment à leur arrivée par quelques habitants de l'île[8].

366 victimes sont déplorées[9]. Face au nombre important de victimes, le Premier ministre a d'abord annoncé un deuil national[10], mais finalement, une simple cérémonie de commémoration est tenue le à Agrigente, en Sicile, en la présence de trois ministres ainsi que d'une centaine d'Érythréens venus en bus des quatre coins de l'Italie. En revanche, les survivants, hébergés au centre de Lampedusa, parmi lesquels des parents des victimes, se voient refuser le droit de se rendre à cette cérémonie[11],[9].

Un mois après le naufrage, au centre de rétention de Lampedusa, des rescapés reconnaissent un Somalien, soupçonné d'être l'un des organisateurs de la traversée. Le témoignage de huit personnes entendues par la police de Palerme révèle qu'avant d'atteindre Tripoli, 130 des passagers ont été enlevés, séquestrés, souvent torturés et violés aux confins du Soudan et de la Libye par une cinquantaine de somaliens, soudanais et libyens en vue d’extorquer des rançons à leurs familles[12]. L'homme reconnu au centre de rétention est arrêté et accusé de trafic d'êtres humains, d'association criminelle visant à faciliter l'immigration illégale, d'enlèvement et d'agression sexuelle[13].

Quatre ans après le naufrage, les enregistrements des échanges entre les gardes-côte italiens et maltais révèlent que les autorités italiennes savaient cinq heures avant le naufrage que le navire prenait l'eau, mais ont refusé de mobiliser un navire militaire italien situé à proximité pour ne pas devenir responsables du transfert vers la côte la plus proche[14].

Réactions[modifier | modifier le code]

Les autorités italiennes ont accordé la citoyenneté italienne honoraire et des funérailles nationales aux plus de 350 personnes décédées, et accusé d'entrée illégale et placé en détention les 155 survivants érythréens, alors qu'ils étaient éligibles à une protection internationale[15].

La maire de Lampedusa, Giusi Nicolini, avait estimé la visite de hauts responsables politiques indispensable, « pour voir de près l’immense tragédie qui se vit sur l’île ». Elle a estimé que le gouvernement italien devait demander des excuses aux enfants et aux survivants pour la manière dont notre pays les traite[8]. « Seulement après, nous pourrons demander à l’Europe d’assumer ses propres responsabilités », a-t-elle conclu[8].

Le président, Giorgio Napolitano, le Premier ministre italien Enrico Letta, le vice-Premier ministre Angelino Alfano ont manifesté leur émotion devant cette « immense tragédie »[16], appelant à une réaction européenne[8]. Un journaliste de l’hebdomadaire L’Espresso, Fabrizio Gatti, qui a partagé l'expérience de précédents « boat-people », a lancé une campagne de signatures pour que l’île de Lampedusa et ses habitants, mais aussi les naufragés qui fuient les guerres et les dictatures, reçoivent le prix Nobel de la paix[8]. Le , la Fondation Danielle-Mitterrand a remis le prix Danielle-Mitterrand et le prix spécial aux citoyens de Lampedusa[17]. Le pape François, qui avait effectué le , son premier voyage apostolique à Lampedusa, a déclaré : « C'est une honte. Unissons nos efforts pour qu'une pareille tragédie ne se renouvelle pas »[18]. Le drame a également provoqué une immense émotion dans les pays africains touchés par l'émigration : indignation devant l'indifférence de l'Europe, mais aussi des dirigeants de ces États où la situation politique, économique et sociale est à l'origine de ces départs[19].

Répercussions en Europe et en Afrique[modifier | modifier le code]

Le drame soulève à nouveau la question de la législation italienne et européenne relative aux migrants clandestins qui arrivent de plus en plus nombreux. Madame Kyengre, ministre italienne de l'Intégration demande de modifier la loi italienne qui fait des suspects de tous les migrants clandestins. Le Conseil des ministres italien a débloqué le  ; 190 millions d'euros pour garantir aux arrivants un accueil plus digne en Italie ainsi que 20 millions d'euros pour prendre en charge les enfants mineurs[20]. La maire de Lampedusa, Giusi Nicolini, et la ministre de l'intégration demandent à l'Europe de prendre ses responsabilités pour éviter ces morts et ne pas laisser à la seule Italie la prise en charge de ces arrivants.

Joseph Muscat, Premier ministre de Malte, autre pays d'accès à l'Europe pour les « boat-people », a tenu des propos similaires, demandant que soient changées les règles de l'immigration après le naufrage survenu au large de l'île quelques jours après celui de Lampedusa et qui a causé la mort de 34 autres personnes, syriennes ou palestiniennes. À Rome, Giusi Nicolini, maire de Lampedusa et Luigi Manconi, président de la commission du Sénat pour les droits de l’homme, ont présenté au gouvernement une proposition de loi visant à convaincre les partenaires de l’Italie de la nécessité d’affronter, la question des migrants qui fuient des situations de guerre, de famine, de persécution religieuse ou ethnique en étudiant avant tout tous les moyens possibles pour permettre aux réfugiés demandeurs d’asile d’exercer leurs droits, avant de monter sur les bateaux de la mort[21]. Lors du Conseil Européen du , le président du Parlement, Martin Schulz qui a parlé d'« une tragédie qui doit marquer un tournant dans la politique européenne » a demandé aux États qui ne sont pas directement confrontés à ces arrivées une aide d'urgence, une participation plus importante dans le financement de l'agence Frontex ainsi qu'un assouplissement de la réglementation dite de Dublin II et la création d'un système d'immigration légale[22]. Mais la nature des résolutions prises par ce Conseil européen[23] qui envisage avant tout une augmentation du budget de Frontex[24] et reprend l'idée de la création d'un système de surveillance des frontières de l'Union européenne avec les pays de la Méditerranée, Eurosur, destiné à prévenir les mouvements de migrants et à éviter des tragédies[25], corrobore l'opinion de ceux qui déclarent que « cette île est un symbole. Un symbole de l’échec de la politique d’immigration européenne[26],[27] ». Les associations de défense des migrants[28] estiment que l'agence Frontex dont la fonction est de surveiller et dissuader les mouvements migratoires entraîne le recours à des passeurs et trafiquants qui utilisent des moyens et empruntent des itinéraires toujours plus dangereux. Elles condamnent une politique visant à déléguer le contrôle des frontières aux états africains comme la Libye et demandent la révision des accords de Dublin II[29].

À l'initiative de l'Union africaine, plusieurs pays africains comme la Tunisie[30], le Tchad[31], l'Éthiopie[32] ou la Mauritanie[33] ont fait du un jour de deuil national pour rendre hommage aux victimes de ce naufrage et à toutes les autres. Le président du Mali, Ibrahim Boubacar Keïta a appelé de ses vœux une conférence internationale sur l'immigration qui réunirait pays de départ et pays d'arrivée [34].

Un voilier de l'ONG espagnole Proactiva Open Arms, l'Astral, s'est rendu au large de Lampedusa le à l'occasion du cinquième anniversaire du naufrage[35]

Suites de la tragédie[modifier | modifier le code]

L'Italie a pris l'initiative en de lancer l'opération Mare nostrum. L'objectif consiste à surveiller vingt-quatre heures sur vingt-quatre les eaux italiennes avec les moyens d'observation et de sauvetage nécessaires pour venir en aide à toute embarcation en difficulté et sauver le plus de vies possible. Cinq bâtiments de la marine militaire ainsi que des moyens aériens dont des drones sont mis au service de cette mission pour laquelle un budget de 1,5 million d’euros par mois est actuellement prévu [36]. De nombreux émigrants ont pu être secourus dans les mois suivants et aucune victime n'a été à déplorer [37],[38]. Cette opération a été remplacée avec l'opération Triton en automne 2014.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Wikipédia anglaise en:Sinking of F174
  2. « 3300 migrants sont morts à Lampedusa depuis 2002 », Le Monde, Blug Brother, blog de J. Manach du 7 octobre 2013.
  3. « Naufrage d'immigrés au large de Lampedusa : environ 50 morts », article de Libération du 11 octobre 2013.
  4. « Près de 700 migrants secourus au large de l'île de Lampedusa », article de RTS Info du 26 octobre 2013, consulté le 2 novembre 2013.
  5. a et b « Choses vues à Lampedusa », article de François Dufour sur La Règle du jeu du 1er novembre 2013, consulté le 2 novembre 2013.
  6. « À Lampedusa, 289 corps ont été repêchés.html », article du Nouvel Observateur du 9 octobre 2013, consulté le 2 novembre 2013.
  7. « Le naufrage à Lampedusa aurait fait plus de 300 morts », sur reuters.com, .
  8. a b c d et e « Barroso et Letta hués à Lampedusa », article de Libération du 9 octobre 2013, consulté le 2 novembre 2013.
  9. a et b « Naufrage de Lampedusa : cérémonie en hommage aux 366 victimes », article de La Côte du 21 octobre 2013, consulté le 2 novembre 2013.
  10. « Après le naufrage à Lampedusa, l'Italie décrète un deuil national », sur Le Monde.fr,
  11. « Lampedusa: pas de funérailles nationales pour les victimes du naufrage », article de L'Express du 18 octobre 2013, consulté le 2 novembre 2013.
  12. « Des migrants de Lampedusa torturés et violés avant leur départ de Libye », article de Libération du 8 novembre 2013, consulté le 18 novembre 2013.
  13. « Arrestato il trafficante di uomini della strage in mare a Lampedusa », article de La Stampa du 8 novembre 2013, consulté le 18 novembre 2013.
  14. Anna Momigliano, « Italian forces ignored a sinking ship full of Syrian refugees and let more than 250 drown, says leaked audio »,
  15. (en) Nick Dines, Nicola Montagna et Vincenzo Ruggiero, « Thinking Lampedusa: border construction, the spectacle of bare life and the productivity of migrants », Ethnic and Racial Studies, vol. 38, no 3,‎ , p. 430–445 (ISSN 0141-9870 et 1466-4356, DOI 10.1080/01419870.2014.936892, lire en ligne, consulté le )
  16. (en) « Italy boat sinking : Hundreds feared dead off Lampedusa », sur bbc.co.uk, BBC News, (consulté le ).
  17. « N'oublions pas Lampedusa et trouvons des solutions pérennes ! », article du Huffington Post du 26 novembre 2013, consulté le 1er décembre 2013.
  18. La Stampa 03-10-13 - cimitero mediterraneo
  19. « Le naufrage de Lampedusa provoque une grande émotion en Afrique », article de RFI du 4 octobre 2013, consulté le 12 novembre 2013.
  20. Jeune Afrique 12.10.2013
  21. RFI 22.10.2013
  22. « Allocution prononcée à l’occasion du Conseil européen du 24 octobre 2013 par Martin Schulz, président du Parlement européen », sur le site Radin Rue, consulté le 5 novembre 2013.
  23. « Après le drame de Lampedusa, l'UE s'émeut mais ne bouge pas », article du Monde du 25 octobre 2013.
  24. « Lampedusa : le budget Frontex "insuffisant", selon Paris », article du Soir du 8 octobre 2013, consulté le 13 novembre 2013.
  25. « Migrations : l'UE veut renforcer ses frontières maritimes avec Eurosur », article du Monde du 10 octobre 2013, consulté le 8 décembre 2013.
  26. L'Europe face à l'immigration clandestine, Arte, consulté le 4 février 2014.
  27. Willy Meyer : "Lampedusa est devenu le symbole de la politique d’immigration inhumaine de l’UE", Parti de gauche, 8 avril 2011, consulté le 4 février 2014.
  28. Libération 4.10.2013 Lampedusa : l'Europe assassine
  29. Marcelle Padovani, Lampedusa : les lois anti-immigration pointées du doigt, Le Nouvel Observateur, 4 octobre 2013, consulté le 4 février 2014.
  30. « Lampedusa : le deuil est insuffisant, agissons ! », article de Nawat du 5 novembre 2013, consulté le 11 novembre 2013.
  31. « Tchad: à la mémoire des immigrés africains morts à Lampedusa », article du Journal du Tchad du 4 novembre 2013, consulté le 11 novembre 2013.
  32. « Walt Info Africa to mourn for victims of Lampedusa incident »
  33. Agence Mauritanienne d'Information 2 novembre 2013.
  34. « Le président IBK : "Le temps est venu de la réflexion et de l’action profonde" » , article de L'Essor du 14 octobre 2013.
  35. l'Express,04.10.2018.[1]
  36. La Croix, 16.10.13
  37. Le Figaro, 17.12.13
  38. RTS. Info 11.01.14

Articles connexes[modifier | modifier le code]