Moine bourru

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Le Moine bourru est, en littérature, un être surnaturel qui représente par synecdoque les superstitions populaires depuis le Dom Juan de Molière présenté en 1665.

Le moine bourru tirerait son nom de son capuchon de moine et de son manteau de bure.

Références littéraires au moine bourru[modifier | modifier le code]

Avant Molière[modifier | modifier le code]

Le moine bourru apparaît d'abord dans des ouvrages comiques peu connus.

Dans une satire des mœurs urbaines publiée après sa mort en 1613 Mathurin Régnier, le valet du narrateur évoque le moine bourru pour demander « en riant » au narrateur pourquoi il rentre, dans la nuit, « si sale et si crotté[1] ».

Dans un recueil publié en 1642, Marc-Antoine Girard de Saint-Amant traite le « poète crotté » (probablement Marc de Maillet), parmi quatorze insultes plaisantes, de « Ce pot-pourri d'étranges mœurs / Ce moine bourru des rimeurs[2] ».

Cyrano de Bergerac met à profit cet esprit dans un écrit satirique en 1654. Un sorcier déclare au narrateur, entre mille vantardises extraordinaires : « Je délie le moine bourru aux Avents de Noël, lui commande de rouler comme un tonneau, ou traîner à minuit les chaînes dans les rues, afin de tordre le cou à ceux qui mettront la tête aux fenêtres[3] ».

Molière et ensuite[modifier | modifier le code]

Molière fait du « moine bourru » un exemple de crédulité populaire dans Dom Juan (1665), acte III, 1 :

« Sganarelle : Et dites moi un peu le Moine-bourru, qu'en croyez vous, eh !
Dom Juan : La peste soit du fat !
Sganarelle : Et voilà ce que je ne puis souffrir, car il n'y a rien de plus vrai que le Moine-Bourru, et je me ferais pendre pour celui-là. […] »

À cette occasion, Molière fut soupçonné d'impiété. Selon cette lecture, il opposait au libertin Dom Juan un valet naïf plaçant sur le même plan la religion et la superstition, disqualifiant la religion raisonnable que représentait le catholicisme.

Dans son dictionnaire publié en 1690, Antoine Furetière donne la définition suivante :

« Le moine-bourru est un fantôme qu'on fait craindre au peuple, qui s'imagine que c'est une âme en peine qui court les rues pendant les Avents de Noël, qui maltraite les passants. Régnier parlant de son valet dit qu'il lui demande étonné, si le moine bourru n'avait point promené (Satyre XI du Sieur Régnier). »

Dans le roman Notre-Dame de Paris (1831), Victor Hugo utilise la métaphore connue depuis Molière pour caractériser le personnage du capitaine Phoebus[4], pour conclure « nous présumons que le lecteur, plus intelligent que Phœbus, n’a vu dans toute cette aventure d’autre moine-bourru que l’archidiacre, Claude Frollo[5] ».

Jacques Offenbach met en musique en 1843 un duo-bouffe Le Moine bourru ou les Deux Poltrons, sur des paroles d'Édouard Plouvier.

Le moine bourru prend part comme sous-intrigue, assez comique, dans le roman Ascanio (1843) par Alexandre Dumas (père).

Nicolas Bouvier utilise la synecdoque dans L'Usage du monde en 1963. « Les mécaniques, le progrès : bon ! Mais on mesure mal sa dépendance, et quand il vous lâche, on est moins bien partagé que ceux qui croyaient à la Dame Blanche, au Moine Bourru[6] ».

Folklore[modifier | modifier le code]

Les folkloristes classent le moine bourru parmi les croque-mitaines, ce qui en fait, non pas une croyance populaire comme le veulent les littérateurs qui l'utilisent comme synecdoque de la superstition, mais un conte destiné à discipliner les enfants, auquel les adultes ne croient pas.

« Dès le XVIIe siècle, il ne faisait plus peur aux grandes personnes, mais, ainsi que le dit le Parnasse satyrique, il était redouté des enfants de Paris :
Moine bourru, dont on se moque
Effroi des petits enfants[7]. »

Un grand nombre de légendes ont cours en France, qui attribuent aux moines des méfaits, souvent d'ordre sexuel, ou des influences néfastes[8]. Le « moine bourru » est un nom de langue d'oïl ; en Occitanie, il a d'autres noms[9].

Waldemar Deonna interprète le capuchon et l'aspect perturbateur comme constituant, ensemble, un symbole phallique, continuation d'une longue série d'êtres surnaturels commençant avec Télesphore dans l'Antiquité[10],[11].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Mathurin Régnier, Les Satyres et autres oeuvres folastres du Sr Régnier. Dernière édition, reveuë, corrigée et augmentée de plusieurs pièces de pareille estoffe, tant des sieurs de Sigogne, Motin, Touvant et Bertelot, qu'autres des plus beaux esprits de ce temps, Paris, (lire en ligne), en conclusion p. 58-59.
  2. Marc-Antoine Girard de Saint-Amant (préf. Nicolas Faret), « le Poëte crotté », dans Les Œuvres du sieur de Saint-Amant, Rouen, (lire en ligne), p. 246
  3. Pour les sorciers, 1654, dans Cyrano de Bergerac, Œuvres diverses, Rouen, J.B. Besongne, (lire en ligne), p. 76
  4. Notre-Dame de Paris, Livre septième, chapitre 7.
  5. Même livre, chapitre 8.
  6. Nicolas Bouvier, L'Usage du monde, 1963, p. 280.
  7. Paul Sébillot, « Les épouvantails des enfants parisiens », Revue des traditions populaires,‎ , p. 663 (lire en ligne)
  8. Paul Sébillot, Folklore de France : le Peuple et l'Histoire, t. 4-b, (1re éd. 1904-1906) (lire en ligne), p. 28.
  9. Abbé de Sauvages, Dictionnaire Languedocien-françois, t. 2, (lire en ligne), p. 416 « Roumêco », que citent Daniel Loddo et Jean-Noël Pelen, « Croquemitaines d'Occitanie. L'altérité tutélaire », Monde alpin et rhodanien (Le). Revue régionale d’ethnologie, nos 26-2-4,‎ , p. 81-102 (lire en ligne).
  10. Pierre Grimal, « W. Deonna, De Télesphore au « moine bourru ». Dieux, génies, et démons encapuchonnés (Collection Latomus, vol. XXI), 1955 [compte-rendu] », Revue des Études Anciennes, vol. 58, nos 1-2,‎ , p. 107-108 (lire en ligne).
  11. Mayence Fernand, « W. Deonna, De Télesphore au « moine bourru ». Dieux, génies, et démons encapuchonnés [compte-rendu] », L'Antiquité Classique, vol. 25, no 1,‎ , p. 256-258 (lire en ligne)