Lynchage de réservistes israéliens à Ramallah en 2000

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Le , deux réservistes israéliens furent tués à Ramallah par la foule palestinienne. Il s’agit d’un des événements qui ont provoqué l’explosion de violence qui a alimenté la Seconde intifada : avec la visite d’Ariel Sharon à l’esplanade des Mosquées sur le Mont du Temple le , la répression israélienne qui fit des dizaines de morts après les manifestations de colère palestinienne qui suivirent, l’annonce de la mort de Mohammed al-Durah le et la mort de 12 Arabes palestiniens tués par la police israélienne lors de manifestations de soutien aux Palestiniens les premiers jours d’octobre.

Contexte[modifier | modifier le code]

Le , alors que le processus de paix israélo-palestinien, relancé vainement par le deuxième sommet de Camp David, est dans l'impasse, la visite d’Ariel Sharon sur l’esplanade des Mosquées provoque la colère des Palestiniens qui y voient une provocation. Les manifestations qui s'ensuivent sont fortement réprimées : trois jours plus tard, on compte quinze morts et trois cents blessés parmi les Palestiniens[1]. Le , les médias du monde rapportent la mort de Mohammed al-Durah qui devient une « figure symbolique de l'Intifada »[2]. Les violences s'amplifient : au , on compte quatre-vingt-dix morts et deux mille blessés parmi les Palestiniens[3] ainsi que 14 Arabes israéliens (en) tués lors de manifestations de soutien[4],[5] Ces évènements cumulés provoquent la flambée de violence ayant mené au début de la seconde Intifada[6].

Événements[modifier | modifier le code]

Le , deux militaires réservistes israéliens, Yosef Avrahami et Vadim Norzhich, s'égarent à Ramallah, aux abords d'une cérémonie funéraire d'un jeune Palestinien de 17 ans tué la veille par l'armée israélienne. Les soldats sont repérés, puis arrêtés par la police palestinienne qui les emmène à leur commissariat[7].

Alors que la rumeur faisant passer les réservistes pour des soldats déguisés en mission se propage, la foule palestinienne en colère, réclame les deux prisonniers. Des policiers palestiniens tentent de s'interposer[7]. D'abord maintenus à l'extérieur, quelques Palestiniens finissent par pénétrer dans le commissariat par une fenêtre du deuxième étage[8].

Les réservistes sont battus. Un Palestinien montre ses mains ensanglantées par la fenêtre, puis un corps en est jeté et un autre pendu sous les acclamations de la foule, qui frappe ensuite à coups de barre un des corps, dont la tête sera brisée. Des coups de feu seront tirés sur une des dépouilles, qui sera ensuite brûlée. Vers 11h, Chani, la femme de Yosef, appelle son mari pour s'assurer de son état. Un des meurtriers répond alors au téléphone et lui dit en riant qu'il vient de tuer sauvagement Yosef. Les deux dépouilles sont ensuite traînées jusqu’au Square Al-Manara en centre-ville, où la foule commence une célébration de la victoire[9].

La couverture médiatique[modifier | modifier le code]

Une équipe de télévision italienne, que par la suite on a appris être des employés de Mediaset, la plus importante station de télévision privée d’Italie, a capturé des images du lynchage[10],[11], malgré la police palestinienne qui essayait d’empêcher les journalistes étrangers de filmer[12][réf. incomplète]. Le producteur d’une équipe d’ABCNews, Nasser Atta, raconte que lorsque l’équipe a commencé à filmer le lynchage : « les jeunes sont venus vers nous, ils nous ont fait arrêter avec quelques coups et en nous menaçant avec des couteaux[13]. » Mark Seager, reporter au Sunday Telegraph, affirme avoir été frappé au visage alors qu’il photographiait la scène[11].

Dans un ouvrage où il analyse l'impact des médias sur le conflit israélo-palestinien, Jérôme Bourdon compare les images de la mort de Mohammed al-Durah et celles du lynchage des deux soldats. Il estime qu'alors qu'on aurait pu s'attendre à ce que les événements soient traités avec une certaine symétrie, le lynchage n'a pu bénéficier de cette « faveur » du fait que « les images de bourreau[x] marchent mieux que les images de victimes » car ces dernières bénéficient généralement d'un sentiment « universel » de « compassion »[14].

Edgar Roskis s'interroge sur le rôle des médias et de l'usage des images dans le conflit. Bien que reconnaissant que le travail des journalistes est de rapporter les faits, il considère « discutable » le fait que « [les images] tournent en boucle, avec les conséquences que l’on sait » ce qui nuit à l'action « [d]es pacifistes des deux 'camps' [qui] sont désespérément à la recherche d’une solution politique[11]. »

Réactions et intervention militaire[modifier | modifier le code]

Selon Benny Morris, « cette sauvagerie (...) scandalis[e] la population israélienne [mais] reflét[e] parfaitement la colère et la haine des Palestiniens à l'égard d'Israël »[15]. L’armée israélienne commence par boucler toutes les villes palestiniennes mais n’intervient pas immédiatement, craignant une résistance de la part des forces de sécurité palestiniennes. S’ensuit, après l'avertissement israélien de représailles à venir, le bombardement de bâtiments de la police, de l’armée et de la radio Voice of Palestine à Ramallah et d’autres cibles à Gaza. Les Palestiniens dirent que l’action militaire fit 27 blessés à Ramallah[9].

Cet événement, tout comme la mort de Mohammed Al-Durah pourrait, avoir intensifié le conflit en cours entre les forces israéliennes et les Palestiniens[11].

Poursuite des lyncheurs[modifier | modifier le code]

  • Aziz Salha est arrêté en 2001 et reconnaît avoir participé à forcer l’entrée du poste de police et étranglé l’un des soldats tandis que d’autres l’ont battu. Selon The Telegraph, il s'est mis à la fenêtre pour montrer à la foule massée à l'extérieur ses mains couvertes du sang du soldat[16]. En 2004, une cour d’Israël l’a reconnu coupable de l’assassinat du caporal Vadim Nurzhitz et l’a condamné à la prison à vie[17],[18]. Il a par la suite été libéré dans le cadre de l'échange avec Gilad Shalit, au désarroi des familles des victimes.
  • Muhammad Howara, un activiste du Tanzim, a été arrêté en 2001.
  • Ziad Hamdada, qui avait mis le feu au corps de l’un des réservistes israéliens, a été arrêté en 2002.
  • En 2005, le Shin Bet israélien a annoncé avoir arrêté Mohamed Abu Ida, un ancien membre de la force de police palestinienne à Ramallah. Au cours de l’enquête, il aurait admis avoir conduit les deux soldats israéliens à la station de police de Ramallah, après quoi il aurait rejoint les autres émeutiers[19].
  • Selon le journal israélien Jerusalem Post[20], le dernier auteur du lynchage de Ramallah, Haiman Zaban, aurait été arrêté le .

Certains de ces lyncheurs ont par la suite été libérés dans le cadre de l'échange avec Gilad Shalit, au désarroi des familles des victimes.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. BBC News, Violence engulfs West Bank and Gaza, 30 septembre 2010.
  2. Edward Saïd, Culture and resistance: conversations with Edward W. Said, South End Press, p. 175.
  3. Benny Morris, Victimes. Histoire revisitée du conflit arabo-sioniste, 2003, p. 719.
  4. Sébastien Boussois, Israël confronté à son passé : essai sur l'influence de la « nouvelle histoire », L'Harmattan, 2008, p. 213.
  5. Howard Sachar, A History of Israel. From the Rise of Zionism to our time, Knopf, 2007, p. 1038 et Denis Sieffert et Joss Dray, La guerre israélienne de l'information, La Découverte, 2002, p. 31 mettent l'un et l'autre en avant la mort des manifestants arabes israéliens dans le contexte du déclenchement de la Seconde Intifada.
  6. Howard Sachar, A History of Israel. From the Rise of Zionism to our time, Knopf, 2007, p. 1037-39
  7. a et b Libération, « Ramallah souillé de sang », Jean-Pierre Perrin et Alexandra Schwartzbrod, disponible en ligne.[source insuffisante]
  8. Ahron Bregman, Israel's wars: a history since 1947, Routledge, 2002, 272 p. (ISBN 9780415287166) p. 212.
  9. a et b (en) « A day of rage, revenge and bloodshed », The Daily Telegraph, 13 octobre 2000.[source insuffisante]
  10. (en) « TV row over mob footage ‘betrayal’ », The Guardian, publié le 20 octobre 2000.
  11. a b c et d « Images en boucle », Edgar Roskis, Monde Diplomatique, publié en décembre 2000.
  12. « La paix impossible ? » de Fabien Ghez, Liliane Messika.
  13. (en) « Barak Calls for Emergency Government », ABC News, publié le 12 octobre 2000.
  14. Jérôme Bourdon, Le récit impossible: Le conflit israélo-palestinien et les médias, p. 27.
  15. Benny Morris, Victimes. Histoire revisitée du conflit arabo-sioniste, 2003, p. 719.
  16. (en) « Lynch mob suspects held by Israelis », The Daily Telegraph, publié le 26 juin 2001.
  17. (en) « Man jailed over Ramallah lynching », BBC News, publié le 22 novembre 2004, mis à jour le 24 novembre 2004.
  18. (en) « Palestinian man gets life sentence for killing Israeli soldier », ABC News, publié le 23 novembre 2004.
  19. (en) « Ramallah lynch suspect arrested », Ynetnews, publié le 8 mars 2005.
  20. (en) « Last member of Ramallah lynch caught », The Jerusalem Post, publié le 26 septembre 2007.

Annexes[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]