Nuits blanches (film, 1957)

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Nuits Blanches
Description de cette image, également commentée ci-après
Marcello Mastroianni et Maria Schell dans une scène du film
Titre original Le notti bianche
Réalisation Luchino Visconti
Scénario Suso Cecchi D'Amico
Luchino Visconti
Musique Nino Rota
Acteurs principaux
Sociétés de production Cinematografica Associati (CI.AS.)
Vides Cinematografica
Intermondia Films
Pays de production Drapeau de l'Italie Italie
Drapeau de la France France
Genre Film dramatique
Film romantique
Durée 97 minutes
Sortie 1957

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution.

Nuits blanches (titre original : Le notti bianche) est un film franco-italien réalisé par Luchino Visconti, sorti en 1957.

Il s'agit de l'adaptation d'une nouvelle éponyme de Fiodor Dostoïevski publiée en 1848.

Synopsis[modifier | modifier le code]

Une nuit, Mario rencontre sur un pont au bord d’un canal Natalia, une jeune femme en pleurs. Elle vit dans l’espoir du retour d’un homme qui lui a donné rendez-vous sur ce même pont un an auparavant. Fasciné par ce récit qu’il tient pour un fantasme, Mario tente de lui faire comprendre que cet inconnu l'a oubliée et espère se substituer à lui.

Résumé[modifier | modifier le code]

Jean Marais et Maria Schell.

En Italie, Mario, un jeune homme, arrive à Livourne[1] pour un nouveau travail. Sans parents ni amis, il vit seul dans une pension. Une nuit, errant près d’un pont enjambant un canal, heureux d’échapper à sa solitude, il rencontre une jeune fille étrange qui pleure, Natalia.

La nuit suivante, il la revoit toujours au même endroit. Tantôt extatique, tantôt accablée, elle a un comportement intrigant qui fascine Mario. Elle finit par lui dire qu’elle fugue chaque nuit pour attendre, sur ce pont, l'homme qu'elle aime et qui lui a donné rendez-vous un an auparavant. Elle vit seule avec sa grand-mère presque aveugle, et ensemble elles subsistent en réparant des tapis avec une vieille ouvrière et en louant une chambre de leur maison. Il y a un an, elle est tombée amoureuse d'un locataire. Ce dernier était très attentionné pour ses logeuses, leur procurant des revues et livres et les invitant à une soirée à l’opéra. Une attirance réciproque rapprocha ce bel inconnu de Natalia qui imagina avoir trouvé l’homme idéal, ni jeune ni vieux, pour exaucer son rêve de bonheur : l’arrivée de la lumière dans l’ombre de sa vie. Mais un matin, Natalia apprit, folle de désespoir, que son « grand amour » avait donné son congé. Avec beaucoup de tendresse, avant de partir pour d’impérieuses raisons, lui jurant qu’il l’aimait, il lui promit de revenir la chercher pour une vie commune, sur ce pont, une année plus tard. L'année vient de s'écouler, et elle l'attend anxieusement. Ému par ce récit, Mario, ne pouvant se résigner à ajouter foi à l’histoire peu croyable qu’elle lui raconte, essaie de la persuader qu’elle ne reverra jamais son inconnu mais aucun argument ne peut convaincre Natalia à renoncer à son fol espoir. Celle-ci lui annonce qu'elle sait que l'homme qu'elle attend est revenu en ville et elle charge Mario de lui donner une lettre où elle lui donne rendez-vous. Mario, cependant, n'en fait rien et déchire la lettre.

La troisième nuit, Mario rencontre à nouveau Natalia, il lui ment en lui disant qu'il a donné la lettre à celui qu'elle attend. Ensemble ils vont dans un dancing et où Mario s'essaie à danser le rock, sous les rires de Natalia. Puis les couples s’enlacent tendrement. À l'heure du soi-disant rendez-vous, Natalia le quitte brusquement pour courir après l'homme de ses rêves. Mario est viscéralement furieux, se laissant entraîner dans une bagarre de rue dont il sortira mal en point.

Retrouvant la jeune fille bredouille et déçue par l'absence de l’homme, Mario lui avoue qu'il avait jeté la lettre. Celle-ci dit cependant ne plus vouloir retrouver l'homme qu'elle attend. Cette fois, Mario pense arriver enfin à se substituer à l’autre, car Natalia est attendrie par ses douces et belles paroles poétiques, troublée et reconnaissante de sa patience. Elle semble maintenant partager le sentiment qu'éprouve Mario. Après avoir parcouru les rues désertes, endormies sous la neige, les deux jeunes gens, tendrement enlacés, retournent vers le canal ; peu après, au détour d’un chemin, ils aperçoivent l’homme, debout près du pont, dans son ciré noir, chapeau sur la tête. Natalia pousse un cri de joie se précipite vers l’inconnu puis revient demander pardon à Mario et retourne vers celui qui a été fidèle à sa parole et qu’elle n’a jamais oublié. Mario, après avoir remercié la jeune femme pour le moment de bonheur qu'elle lui a apporté, reste seul avec une immense déception au cœur.

De retour à la case départ, retrouvant le même chien errant qu'il avait rencontré au cours de la première nuit, Mario aura dépensé naïvement toute son énergie à combattre le fantasme d'une obsession plutôt que de reconnaître le triomphe du rêve et de l’imaginaire sur la réalité.

Fiche technique[modifier | modifier le code]

Distribution[modifier | modifier le code]

Rêve ou réalité[modifier | modifier le code]

En 1957 Nuits blanches marque le retour de Visconti au cinéma après trois ans d’interruption depuis Senso en 1954, superproduction en costumes historiques et mélodrame aux couleurs flamboyantes, avec lequel il s'était pour la première fois nettement démarqué du Néoréalisme de ses débuts, dont il fut l’un des initiateurs à l’époque de La terre tremble en 1948.

Profondément troublé par l’insurrection de Budapest, en Hongrie en 1956, Visconti l'aristocrate marxiste souhaitait, selon Vieri Razzini[2], critique de cinéma et producteur, faire un film plus abstrait, n'ayant rien à voir avec la réalité contemporaine de l’époque du néoréalisme précédent car trouvant que ce dernier se répétait un peu trop, il voulait faire quelque chose de tout à fait nouveau, un chemin inédit pour de jeunes metteurs en scène. Visconti désirait aussi montrer aux producteurs et aux spectateurs italiens qu'il était capable de réaliser un film avec des moyens plus limités, en noir et blanc. Dans ce but, Visconti choisit d'adapter Les Nuits blanches, une nouvelle parue en 1848 de Fiodor Dostoïevski, auteur qu’il connaissait bien pour avoir monté sur scène Crimes et châtiments en 1946.

Visconti choisit de traiter d’une manière onirique et théâtrale la trame de son film, tout en restant assez fidèle à la nouvelle d’origine de Dostoïevski, même s’il transpose l'histoire de la Russie de Saint-Pétersbourg du milieu du XIXe siècle à l’Italie du milieu du XXe siècle.

Son film entièrement tourné dans les studios de Cinecittá, permet au chef opérateur, Giuseppe Rotunno, de sculpter par des variations subtiles et splendides d'ombres et de lumières, une incertitude permanente entre le réalisme et l'onirisme, dans un décor de théâtre admirablement construit par les décorateurs, Mario Chiari et Mario Garbuglia, qui ont reconstitué une sorte de Venise hivernale et glacée avec ses arcades, ses rues étroites et sombres, ses petits ponts enneigés, par-dessus les canaux d’un port ressemblant à celui de Livourne, baigné dans l’atmosphère d’un remarquable brouillard persistant obtenu, comme sur scène, avec des voiles de tulle renforçant la tonalité du rêve.

Piero Tosi[3], le costumier du film, devait lui aussi veiller à ce que les habits des acteurs restent neutres, achetés sur les marchés, tintés pour un meilleur rendu en noir et blanc.

Ce jeu entre la réalité et l'illusion, ce mélange des genres se retrouve aussi dans la bande musicale du film, qui mêle adroitement le rock endiablé du dancing, Le Barbier de Séville (Rossini) de la soirée à l’opéra et le thème romantique composé par Nino Rota.

« De ces moments suspendus entre réalité et artifice, banalité du quotidien et magie des rêves, naît une émotion qui va crescendo jusqu'à la déchirante scène finale, sous une neige d'illusions perdues. » écrit Télérama[4]. Le film de Visconti est partagé en trois parties nocturnes d’inégales longueurs : la rencontre de la première nuit, les rêves et les idéaux de Natalia durant la seconde et l’épilogue cruel de la troisième, entrecoupées des réveils matinaux de Mario dans sa pension de famille.

Cependant Visconti a modifié les deux personnages masculins par rapport à la nouvelle de Dostoïevski. Le locataire du film est toujours un personnage romantique mais, il est plus âgé avec une expérience et une autorité que n’a pas l’étudiant locataire du livre. Inversement, le personnage de Mario du film n’est pas le même que celui non nommé, âgé de 26 ans, du livre qui est plus rêveur, se berçant d’illusions lorsqu’il tombe amoureux de la russe Nastenka, tout en sachant que le bonheur qu'il découvre lui est impossible et seul, sans amis, sans femme, il est fatalement condamné à un destin de solitude. Tandis que Mario, muté provisoirement dans cette ville, est avant tout un latin, un séducteur et même s’il se laisse entraîner par Natalia, c’est un orgueilleux qui se fâche, se rebelle tout en étant capable d'être blessé. La caresse qu’il fait au chien perdu, à la fin du film, nous informe que cette aventure n'aura été pour lui qu'une étape et qu’il ne sera pas condamné à la solitude éternelle.

« La vraie rêveuse du film c'est Natalia dont le rêve devient réalité. Visconti positive la nouvelle : l'utopie est utile et change le monde. » écrit le cinéphile Jean-Luc Lacuve le 18 / 08 / 2010

Le contexte social est désormais inexistant, au profit de la seule romance impossible, de l’amour perdu entre un jeune homme solitaire, matérialiste et naïf et une jeune femme romantique qui passe des larmes aux rires, attendant le retour de son bien-aimé.

« Un récit ? Non : une goutte de rosée, un diamant de tendresse et de mélancolie. Visconti affrontait au départ une rude gageure : situer le conte typiquement russe en Italie. Faire croire, en Italie, à la nuit d’hiver, à la neige. Cette gageure, il l’a tenue, magnifiquement. Ses deux héros-enfants errent dans une ville pauvre où la guerre a laissé des ruines peuplées de noctambules divagants, de prostituées frileuses et de clochards allumant de maigres feux. Tout est vrai, tout est d’une beauté à crever le cœur, dans les blancs et les noirs de velours plus somptueux que les technicolors. Et c’est joué à la perfection par Maria Schell, Mastroianni, Jean Marais. » écrit Le Canard enchaîné[5].

« Une histoire douce-amère, dans laquelle Visconti analyse l’illusion de l’amour : le jeune homme est en réalité amoureux de l’amour et la femme attend vainement que ses rêves deviennent réalité. » écrit Vincent Pinel[6].

« Visconti réussit à créer de façon artificielle un climat étrange, d’une grande douceur et d’une infinie tendresse qui se dissipe sur une chute particulièrement cruelle. » écrit Jean Tulard [7].

Récompenses et distinctions[modifier | modifier le code]

À noter[modifier | modifier le code]

  • Présidèrent à la naissance de Nuits blanches, l'aspiration, chez Luchino Visconti, à une fusion des genres (théâtre et cinéma) et des registres (réalisme et onirisme), mais aussi la volonté d'ouvrir des voies nouvelles, écartant désormais celles, anachroniques, du néoréalisme. On souhaitait, par ailleurs, offrir à l'acteur Marcello Mastroianni un rôle plus valorisant que celui d'éternel "chauffeur de taxi".
  • L'objectif demeurait pourtant de réaliser un film, certes original, mais dans un laps de temps raisonnable - moins de huit semaines -, et suivant un budget le moins onéreux possible. Si le premier pari fut tenu, le second le fut nettement moins : la scénariste fidèle de Luchino Visconti, Suso Cecchi D'Amico, confiait "avoir passé des mois de terreur noire" dans l'appréhension de finir avec les huissiers aux trousses.
  • Pour la première fois, Luchino Visconti fit reconstituer son décor à Cinecittà : celui du quartier Venezia de la vieille Livourne où il voulut situer son action. Les effets de brouillard, plus ou moins dense, furent rendus, comme au théâtre, à l'aide de voiles de tulle de la plus belle qualité, donc fort dispendieuse. Quant à la photographie, elle revêtit pour le cinéaste italien une importance considérable et il la traita comme "un scénario". Il disait, à ce propos : "(il faut) que tout soit comme si c'était artificiel, faux ; mais quand on a l'impression que c'est faux, ça doit devenir comme si c'était vrai." Visconti ajouta, plus tard : "Éviter de faire du théâtre au cinéma n'est pas une règle ; il suffit de repenser aux origines, à Méliès par exemple." [8]
  • Séduit par l'actrice autrichienne Maria Schell, les « yeux les plus chers de l’histoire du cinéma » de l’époque, Luchino Visonti tenait absolument à elle pour le rôle de Natalia. Or, celle-ci, au faîte de sa gloire, exigea un cachet extrêmement élevé. Ce qui alourdit la facture d'un film qui, à l'origine, devait être économique. Maria Schell, accusée d'être, parfois, trop larmoyante, eut un jeu sobre et émouvant, et la qualité de prononciation et d'intonation de son italien, qu'elle affirmait avoir appris en quinze jours, fut proprement miraculeux.
  • Sandro Cassati a écrit[9] : "Après un tour d’horizon des comédiens éventuellement disponibles et dont aucun ne semble trouver grâce aux yeux de Visconti, Jean Marais lui demande quel type d’acteur il cherche au juste. Visconti avoue timidement que c’est Marais lui-même qu’il verrait ou voudrait dans le rôle, mais qu’il n’a pas osé lui demander de peur d’essuyer un refus, le personnage n’apparaissant que peu à l’écran. Marais accepte bien volontiers arguant du fait qu’aucun rôle n’est mineur ou petit dans un film du grand Visconti."[10].
  • La danse occupe une place centrale dans cette "chorégraphie des sentiments", selon l'expression de Freddy Buache (in : Le cinéma italien, Éditions L'Âge d'Homme). On se remémorera la prestation endiablée du danseur rock 'n' roll Dirk Sanders sur la chanson Thirteen Women de Bill Haley puis celle, pareillement déchaînée, de Marcello Mastroianni.
  • Trois autres adaptations de la nouvelle de Fedor Dostoievski ont été réalisées, Quatre Nuits d'un rêveur de Robert Bresson en 1971, à Bollywood, Saawariya de Sanjay Leela Bhansali en 2007, avec Ranbir Kapoor et Sonam Kapoor et Nuits blanches sur la jetée de Paul Vecchiali en 2015. Le film Two lovers de James Gray en 2008 est également inspiré de la nouvelle.
  • Le film de Visconti est ressorti en salle dans une version restaurée en février 2020[11],[12].

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Jean Bourdin, Téléciné no 93, Paris, Fédération des Loisirs et Culture Cinématographique (FLECC), janvier-, fiche no 375, (ISSN 0049-3287)
  • Suzanne Liandrat-Guigues, « Nocturne Viscontien », Sociétés & Représentations, vol. 4, no 1,‎ (DOI 10.3917/sr.004.0209, lire en ligne [PDF])
  • Jean Regazzi, "Blanc profond, le giallo selon Visconti" in Jean-Louis Leutrat (dir.), Cinéma & littérature (Le Grand jeu), vol. 2, De l'Incidence éditeur, 2011, p. 401-418. (ISBN 2918193127)

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. « Nuits blanches », sur dvdclassik.com (consulté le )
  2. voir l'interview de Vieri Razzini dans le supplément du DVD Édité par Carlotta films [éd., distrib.] ; SPHE [distrib.] - paru en [DL 2010]
  3. voir l'interview de Piero Tosi dans le supplément du DVD Édité par Carlotta films [éd., distrib.] ; SPHE [distrib.] - paru en [DL 2010]
  4. Samuel Douhaire, journaliste de Télérama du 04 11 2000
  5. M. L, dans Le Canard enchaîné, du 14 /05/ 1958
  6. Vincent Pinel, Le siècle du cinéma, Bordas - 1994 – (ISBN 2-04-018556-9)
  7. Jean Tulard Guide des films, Rober Laffont - Paris 1990, page 313
  8. voir citations dans la biographie de Visconti : les Feux de la passion de Laurence Schifano (éd. Flammarion).
  9. Sandro Cassati, Jean Marais, une histoire vraie, City Éditions, 2013 (ISBN 978-2-8246-0377-3)
  10. Carole Weisweiller et Patrick Renaudot, Jean Marais, le bien-aimé, Éditions de La Maule, 2013, pages 156-157 - (ISBN 978-2-87623-317-1)
  11. voir article dans Le Monde du , page 19
  12. voir article dans Télérama du , page 52

Liens externes[modifier | modifier le code]