Les Décombres

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Les Décombres
Auteur Lucien Rebatet
Pays Drapeau de la France France
Genre Pamphlet
Éditeur Denoël
Date de parution 1942
Nombre de pages 670

Les Décombres, écrit de juillet 1940 à mai 1942 entre Moras-en-Valloire, Vichy et Neuilly-sur-Seine, est un pamphlet antisémite et collaborationniste de Lucien Rebatet, écrivain et critique de cinéma, publié à l'été 1942 aux éditions Denoël. Il est souvent qualifié de « best-seller de l'Occupation ».

Description[modifier | modifier le code]

Lucien Rebatet y expose sa critique du maurrassisme et son soutien au national-socialisme allemand, il vilipende les juifs et notamment Henri Bergson, Heinrich Heine, Julien Benda, Chaïm Soutine, Darius Milhaud, « ces bêtes malfaisantes, impures, portant sur elles les germes de tous les fléaux »[1] et les politiciens de la IIIe République qu'il désigne comme les responsables de la ruine de la France.

Les Décombres se distingue par son ton particulièrement polémique. Rebatet y attaque ainsi violemment l'Action française, au journal de laquelle il avait collaboré à ses débuts, rebaptisée « Inaction française[2] », et notamment son chef, Charles Maurras, qu'il qualifie de « faux fasciste[3] ». L'historien Jacques Bainville est de même écorné au passage pour ses positions antihitlériennes[4] ; Rebatet rappelle par ailleurs que le livre de Bainville Les Dictateurs a été aux trois quarts écrit par des nègres, dont sans doute Robert Brasillach pour la partie consacrée à l'Italie et à l'Espagne, et lui-même pour les Soviets et le Portugal[4]. Il attaque également avec violence le régime de Vichy, dont il constate, alors qu'il y travaille, que Radio Vichy se révèle souvent antigermaniste, voire largement pro-gaulliste, au point par exemple de se voir interdire l'usage du qualificatif de « général félon » pour désigner Charles de Gaulle ou de se voir reprocher de trop parler des victoires allemandes et trop peu des succès de la Résistance. C'est ce dégoût qui l'aurait incité à démissionner pour gagner la France occupée, peu après son ami Alain Laubreaux.

Malgré sa violence, ce livre constitue un témoignage historique sur la collaboration et le fascisme en France.

Le livre est dédié : « À ma mère. Aux amis qui me restent ».

Composition[modifier | modifier le code]

Le livre comprend six parties numérotées et une conclusion :

  1. Entre Maurras et Hitler : L'auteur évoque la montée du nazisme, ses souvenirs de soldat en Rhénanie, le 6 février 1934 et le Front Populaire. Il reprend un récit chronologique en septembre 1938 avec la crise des Sudètes et des accords de Munich. Il critique l'Action Française et de Charles Maurras tout en reconnaissant sa filiation avec le mouvement. Il vitupère contre la diplomatie française qui suit aveuglément l'Angleterre, alors que selon lui le pays aurait eu intérêt à traiter avec l'Allemagne.
  2. Le Camp des pitres : Le chapitre commence en avec la crise de Danzig et s'achève en par l'attaque de la Finlande par l'Armée rouge.
  3. L'Alpin : L'auteur raconte sa mobilisation tardive dans l'infanterie alpine près de Romans. Il décrit des soldats de réserve manquant d'équipement, quasiment livrés à eux-mêmes et ne s'entraînant pas.
  4. Ceux du S.R. : Rebatet poursuit son récit de la drôle de guerre en , lorsqu'il est muté au Cinquième Bureau, service du renseignement militaire, chargé de la récolte du renseignement (le Deuxième Bureau l'exploitant). Il brosse un portrait au vitriol des cadres de l'armée, décrivant leur stupeur et leur panique lors de l'invasion de la Belgique et des Pays-Bas en . Il raconte également l'arrestation d'Alain Laubreaux et de Charles Lesca sur ordre de Georges Mandel et sa crainte de subir le même sort.
  5. Jusqu'au bout : Alors qu'au début du mois de , les premiers soldats français battant en retraite arrivent à Paris, l'auteur est réaffecté au Deuxième centre d'organisation automobile de l'armée. Le , son groupe évacue Chambourcy devant l'avancée ennemie. Il évoque l'exode vers le Sud-Ouest et apprend en chemin l'épisode de Dunkerque et l'entrée des Allemands à Paris. Le chapitre se clôt avec l'armistice du 22 juin 1940.
  6. La France Vichyssoise : Rebatet passe le mois de juillet 1940 dans son village natal, avant de gagner Vichy au mois d'. Il constate rapidement que les groupes d'intérêt qu'il haïssait (armée, clergé, parlementaires, capitalistes) se reconstituent à Vichy autour du maréchal Pétain et que les positions fascistes de Je suis partout sont indésirables. En , il regagne ParisAlain Laubreaux et Charles Lesca sont libres.

L'auteur achève son livre avec une conclusion intitulée Petite méditation sur quelques grands thèmes dans laquelle il pousse à outrance ses opinions sur le clergé, l'armée, les Juifs, l'Angleterre, la Révolution nationale, Edouard Daladier, Paul Reynaud, Maxime Weygand. Il termine en raillant ses contemporains qui attendent d'être libérés par des forces étrangères, selon lui ennemies de leurs intérêts. Il reconnaît les difficultés d'une révolution fasciste purement française, mais l'appelle néanmoins de ses vœux.

Réaction de Charles Maurras[modifier | modifier le code]

Dans le numéro d'Action française du 11 septembre 1942[5], Maurras commente l’œuvre de Rebatet comme « un gros crachat de 664 pages produit d'un cacographe maniaque, nabot impulsif et malsain »[5]. L'écrivain vichyste a en effet déclaré auparavant ne pas apprécier les collaborationnistes pro-allemands[5] : « Je ne reverrai jamais les gens qui admettent de faire des tractations avec les Allemands »[5] disait-il à propos de Brasillach en mars 1941[5].

Ventes et rééditions[modifier | modifier le code]

Ce livre fut un livre à succès durant l'Occupation, souvent qualifié de « best-seller de l'Occupation »[6] : tiré à environ 65 000 exemplaires, la commande atteignait en réalité le chiffre de 200 000, mais ne put être satisfaite à cause de la pénurie de papier[7]. Il a été réédité (expurgé de 125 de ses pages les plus antisémites) par Jean-Jacques Pauvert en 1976 sous le titre Mémoires d'un fasciste (deux tomes : le tome 1 reprend Les Décombres, le tome 2 en est la suite), puis en 2005 par les Éditions de La Reconquête, en 2006 par les Éditions de l'Homme libre[8].

En 2015 paraît une édition critique annotée par Bénédicte Vergez-Chaignon aux Éditions Robert Laffont dans la collection « Bouquins » sous le titre Le dossier Rebatet. Cette dernière réédition, préfacée par Pascal Ory[6], replace l'ouvrage dans son contexte historique, propose de nombreuses notes explicatives ainsi qu'une longue suite inédite rédigée par l'auteur en prison. Elle connaît également un vif succès : les 5 000 exemplaires imprimés sont écoulés dès le jour de la sortie, le . Les Éditions Robert Laffont lancent alors une réimpression de 3 000 exemplaires supplémentaires pour faire face à la demande[9].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Ramon de Dominique Fernandez, La question juive, Nouvelle édition Le livre de poche (2010), p. 654 & 655.
  2. Lucien Rebatet, Les Décombres, Éditions Denoël, 1942, p. 111.
  3. « Along with endless anti-Semitism, he also mocked his former mentor Maurras as a “false Fascist” for not backing Germany. » Alan Riding, And the Show Went On : Cultural Life in Nazi-occupied Paris, New York, Knopf Doubleday Publishing Group, 2010, 416 p., (ISBN 978-0-30759-454-9)
  4. a et b « Plus la France bêtifiait, s'avachissait, et plus nous nous sentions lucides. L'arithmétique de Maurras, “Hitler ennemi no 1”, nous portait sur les nerfs […] Jacques Bainville, l'homme le plus averti de l'Allemagne dans l'Action Française, avait couvert de son nom des phrases comme celles-ci : “Hitler parle toujours des Juifs avec une haine profonde et une absence complète d'esprit critique… Les idées que semble se faire l'auteur de Mein Kampf sur le développement de la « nation juive » à travers le monde sont si grossières qu'on se demande s'il ne s'agit pas d'images frappantes destinées à la foule, aux troupes, aux sections d'assaut, de mythes créateurs d'énergie beaucoup plus que de raisonnements sincères.” » (Les Décombres, p. 53).
  5. a b c d et e François Broche, jean françois Muracciole, Histoire de la collaboration 1940 - 1945, Tallandier, pages 139-140.
  6. a et b « Le Dossier Rebatet / Lisez! » [livre], sur Lisez! (consulté le ).
  7. « Les Décombres : un best-seller sous l'occupation » par Robert Belot, L'Histoire no 148, octobre 1991, p. 43.
  8. Tristan Rouquet, « Belot (Robert), Lucien Rebatet. Le fascisme comme contre-culture , Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2015, 440 p., réédition refondue, revue et augmentée de Lucien Rebatet, un itinéraire fasciste (Paris, Le Seuil, 1994) », Politix, vol. 3, no 115,‎ , p. 229–232 (ISSN 0295-2319, DOI 10.3917/pox.115.0229).
  9. Jérôme Dupuis, « "Les Décombres", le brûlot antisémite de Rebatet, best-seller en 2015 », sur www.lexpress.fr, L'Express, (consulté le ).

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Pierre-André Taguieff (dir.), L'antisémitisme de plume. 1940-1944. Études et documents, Berg International éditeurs, .
  • Robert Belot, « Les lecteurs des Décombres de Lucien Rebatet : un témoignage inédit du sentiment fasciste sous l'Occupation », Guerres mondiales et conflits contemporains, no 163,‎ , p. 3.
  • Bénédicte Vergez-Chaignon, Pascal Ory (préface), Lucien Rebatet, Le dossier Rebatet, Robert Laffont, 1152 p., 2015.
  • Aurélien d'Avout, Écrire la débâcle de 1940, d'Aragon à Claude Simon, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2023.