La Tortue et les Deux Canards

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La Tortue et les Deux Canards
Image illustrative de l’article La Tortue et les Deux Canards
Dessin de Grandville

Auteur Jean de La Fontaine
Pays Drapeau de la France France
Genre Fable
Éditeur Claude Barbin
Lieu de parution Paris
Date de parution 1678
Chronologie

La Tortue et les Deux Canards est la deuxième fable du livre X de Jean de La Fontaine situé dans le second recueil des Fables de La Fontaine, édité pour la première fois en 1678.


Texte[modifier | modifier le code]

Peinture murale du groupe scolaire Jules Ferry à Conflans-Sainte-Honorine réalisée en 1936 par un peintre inconnu
Gravure de Pierre Quentin Chedel d'après un dessin de Jean-Baptiste Oudry, édition Desaint & Saillant de 1755-1759

Une Tortue était, à la tête légère,
Qui, lasse de son trou, voulut voir le pays,
Volontiers on fait cas d’une terre étrangère :
Volontiers gens boiteux haïssent le logis.
Deux Canards à qui la commère
Communiqua ce beau dessein,
Lui dirent qu’ils avaient de quoi la satisfaire :
Voyez-vous ce large chemin ?
Nous vous voiturerons[N 1], par l’air, en Amérique,
Vous verrez mainte République,
Maint Royaume, maint peuple, et vous profiterez
Des différentes mœurs que vous remarquerez.
Ulysse en fit autant. On ne s’attendait guère
De voir Ulysse[N 2] en cette affaire.
La Tortue écouta la proposition.
Marché fait, les oiseaux forgent une machine
Pour transporter la pèlerine[N 3].
Dans la gueule en travers on lui passe un bâton.
Serrez bien, dirent-ils ; gardez de lâcher prise.
Puis chaque Canard prend ce bâton par un bout.
La Tortue enlevée on s’étonne partout
De voir aller en cette guise[N 4]
L’animal lent et sa maison,
Justement au milieu de l’un et l’autre Oison.
Miracle, criait-on. Venez voir dans les nues
Passer la Reine des Tortues.
– La Reine. Vraiment oui. Je la suis en effet ;
Ne vous en moquez point. Elle eût beaucoup mieux fait
De passer son chemin sans dire aucune chose ;
Car lâchant le bâton en desserrant les dents,
Elle tombe, elle crève aux pieds des regardants.
Son indiscrétion[N 5] de sa perte fut cause.
Imprudence, babil, et sotte vanité,
Et vaine curiosité,
Ont ensemble étroit parentage[N 6].
Ce sont enfants tous d’un lignage[N 7].

— Jean de La Fontaine, Fables de La Fontaine, La Tortue et les Deux Canards, texte établi par Jean-Pierre Collinet, Fables, contes et nouvelles, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1991, p. 396

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Nous vous voiturerons : "Transporter de façon quelconque" (Littré)
  2. Ulysse : allusion aux voyages d'Ulysse que raconte l'Odyssée d'Homère la chèvre
  3. la pèlerine : la voyageuse ; "Ce mot dans le comique signifie une gaillarde, une éveillée et déniaisée" (dictionnaire de Richelet)
  4. guise : façon
  5. son indiscrétion : son manque de jugement, son "imprudence, action d'étourdie" (dictionnaire de Furetière)
  6. parentage : parenté
  7. d'un lignage : d'une même race

Source[modifier | modifier le code]

La Fontaine s'est inspiré d'un conte indien très ancien que l'on peut lire dans le Pañchatantra (vers 300 av. J.-C.), et dont une version abrégée a été donnée par son auteur présumé, Bidpaï (cité par La Fontaine sous le nom de Pilpaï) :

« Par une année de grande sécheresse, des canards abandonnèrent un étang où ils vivaient et vinrent faire leurs adieux à une tortue leur amie.

— Ce n'est pas sans peine que nous nous éloignons de vous, mais nous y sommes obligées, et quant à ce que vous nous proposez de vous emmener, nous avons une trop longue traite à faire et vous ne pouvez pas nous suivre parce que vous ne sauriez voler ; néanmoins, si vous nous promettez de ne dire mot en chemin, nous vous porterons ; mais nous rencontrerons des gens qui vous parleront et cela sans cause de votre perte.
— Non, répondit la tortue, je ferai tout ce qu'il vous plaira.
Alors les canards firent prendre à la tortue un petit bâton par le milieu, qu'elle serra bien fort entre ses dents et, lui recommandant ensuite de tenir ferme, deux canards prirent le bâton chacun par un bout et enlevèrent la tortue de cette façon. Quand ils furent au-dessus d'un village, les habitants qui les virent, étonnés de la nouveauté de ce spectacle, se mirent à crier tous à la fois, ce qui faisait un charivari que la tortue écoutait impatiemment. À la fin, ne pouvant plus garder le silence, elle voulut dire :
— Que les envieux aient les yeux crevés s'ils ne peuvent regarder.
Mais, dès qu’elle ouvrit la bouche, elle tomba par terre et se tua. »

La version complète de la fin du conte traduit du persan est la suivante :

« [...] La tortue garda quelque temps le silence, à la fin, ne pouvant plus tenir sa parole, elle voulut dire, que les envieux aient les yeux crevés, s'ils ne nous peuvent regarder ; aussitôt qu'elle ouvrit la bouche, elle tomba par terre et se mit en mille morceaux.
Je vois ai apporté cet exemple pour vous montrer qu'il ne faut pas mépriser les exhortations des amis. [...] »
[1].

Dans un article, publié dans la revue de l'université d'Ispahan, Mohammad Javad Kamali a indiqué les sources de la fable « La tortue et les deux canards », en la comparant avec ses adaptations orientales, les plus célèbres[2]. On la retrouve ainsi dans le Kacchapa Jātaka (N° 215), un des Jātaka de la tradition bouddhique. L'épisode relaté est ancien (entre -300 et -400 selon les sources) mais l'écriture des Jātaka est nettement plus récente.

Références[modifier | modifier le code]

  1. Pilpay (Bidpaï) (trad. Gilbert Gaulmin), Livre des lumières : ou la conduite des roys, traduite en français par David Sahid, d’Ispahan, ville capitale de Perse, Paris, Siméon Piget, , 286 p. (lire en ligne), p. 126
  2. Kamali, Mohammad Javad, Aux origines d’une fable de La Fontaine dans les recueils de contes orientaux, Iran, Université d’Ispahan, été et automne 2013 (ISSN 2322-469X, présentation en ligne), p. 41-50.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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