La Catrina

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« La Calavera Garbancera  »[note 1]. Gravure au burin sur zinc de José Guadalupe Posada.

La Catrina est un personnage populaire de la culture mexicaine ; il s'agit d'un squelette féminin vêtu de riches habits et portant généralement un chapeau, elle est inspirée de la Calavera garbancera dont on ne voit, sur l'illustration originale, que le buste.

La première apparition d'une « calavera » féminine attribuée à José Guadalupe Posada date du 4 novembre 1889 où elle apparait souriante, le crâne couvert de rubans regardant le lecteur de face, sur la page de couverture de la revue La Patria ilustrada (N° 44 an VII)[1].

On attribue en général son origine au personnage créé vers 1912 par le caricaturiste mexicain José Guadalupe Posada. Toutefois, Posada a été influencé par les travaux de Manuel Manilla, avec lequel il a travaillé dans l'atelier de Antonio Vanegas Arroyo (es). Ce personnage de squelette est inspiré de traditions européennes (notamment de l'art macabre médiéval) et peut-être préhispaniques (le tzompantli aztèque), mais aussi d'autres mises en scène de squelettes)[2],[3].

Au cours du XXe siècle, ce personnage a été décliné sous de nombreuses variantes, en particulier depuis sa reprise par le peintre Diego Rivera, et est devenu une figure emblématique de la fête des morts mexicaine et de la culture mexicaine en général.

Historique[modifier | modifier le code]

Sueño de una Tarde Dominical en la Alameda Central. Détail du centre d'une peinture murale de Diego Rivera où figure la « Calavera de la Catrina » en boa et chapeau à plumes, à côté de José Guadalupe Posada.

Parmi les précurseurs des représentations humoristiques de figures contemporaines sous la forme de squelettes, souvent accompagnées d'un poème (une calavera literaria), on trouve le caricaturiste Manuel Manilla (1830-1890)[4], avec lequel José Guadalupe Posada a travaillé dans l’atelier d'Antonio Vanegas Arroyo[5],[6].

Les spécialistes s'accordent à estimer que la création du dessin de José Guadalupe Posada, représentant un squelette féminin en buste et portant « un chapeau de dame française, orné de plumes d'autruche »[7], remonte à 1912, mais on n'a retrouvé aucun document antérieur à 1913 (voir illustration en tête d'article) qui permette de le prouver[8],[9].

Le titre de cette gravure est sujet à controverse : selon plusieurs sources, Posada l'aurait intitulée « La Calavera Garbancera »[4],[10] ; selon d'autres, il n'existerait aucun autre titre originel, c'était un poème spécifique à la fête des morts dit « calavera literaria » que cette gravure illustrait, dans une feuille de 1913[11] ; le titre de « Calavera Catrina » apparaît quant à lui avec certitude dans l'édition posthume des œuvres de Posada publiée en 1930[12].

Le processus de mythification nationaliste du personnage commence dès les années 1920. En 1921, Gerardo Murillo, dit le Dr. Atl, fit reproduire des gravures de Posada et Manilla pour une exposition d'art populaire[13].

En 1925, Jean Charlot publia un article sur Posada intitulé « Un précurseur de l'art moderne : le graveur Posada », considéré par Pierre Ragon comme le texte fondamental du mythe de Posada et de la Catrina[13]. La gravure de Posada fut reproduite en masse et devint un élément symbolique de l'art populaire officiel et de l'unification culturelle du pays, dans le contexte du muralisme mexicain voulue par les gouvernements nationalistes issus de la révolution mexicaine, qui a forgé à cette époque d'autres stéréotypes mexicains comme le charro ou la china poblana[14] (celle-ci bien antérieure).

Le peintre mexicain Diego Rivera a repris le personnage au centre de sa peinture murale Sueño de una Tarde Dominical en la Alameda Central[4], terminée en 1948[15]. Elle y apparaît en pied et entièrement vêtue, contrairement au personnage de José Guadalupe Posada, qui n'apparaît qu'en buste avec un chapeau. Reproduit et réinterprété depuis les années 1950 sous de nombreuses formes, ce personnage désormais célèbre sous le nom de « La Catrina » donné par Diego Rivera, est devenu un des symboles de la fête des morts mexicaine[16].

Outre son usage commercial en tant qu'imagerie pour le jour des morts, elle a aussi été réinterprétée sous de nombreuses formes, dont des sculptures et figurines vendues comme souvenir.

Plusieurs évènements ont été organisés au Mexique en 2012 pour fêter le centenaire de la création de la Calavera Garbancera, devenue « Catrina »[17].

Origine du terme[modifier | modifier le code]

Le mot « catrina » est la variante féminine du mot espagnol « catrín » qui désigne généralement en Amérique centrale et au Mexique une personne élégante, habillée avec goût[18]. Dans l'usage, il désigne un homme oisif à l'élégance excessive et qui aime le montrer, mais qui au sens propre décrivait, à l'origine, un homme élégant issu de la bourgeoisie[19],[20].

Le mot « calavera » qui lui est souvent apposé, désigne un crâne humain, une tête de mort.

Ce personnage, représentation d’un squelette de femme portant un chapeau très élégant, provenant d’Europe et caractéristique de la bourgeoisie porfirienne, a une fonction de memento mori, destiné à rappeler que les différences de statut social n'ont aucune importance face à la mort. En effet, la critique de Posada était explicitement dirigée contre les « garbanceras », des femmes d'origine indigène qui mangeaient[21] (ou vendaient, selon les sources[22]) des pois chiches (« garbanzos » en espagnol), ou une préparation à base de pois chiches (la garbanza)[23], qui méprisaient leur classe sociale[24] et copiaient la mode et les usages européens, en portant de grands chapeaux décorés de tous les ornements possibles[23], en délaissant et en méprisant leurs origines et les coutumes locales pour se donner l’air d'avoir accédé à un niveau social supérieur à leur condition, selon les critères des castes définies par la société coloniale de la Nouvelle-Espagne.

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Imprimée ici sur une feuille publiée par Antonio Vanegas Arroyo (es) en 1913 pour illustrer une calavera literaria, sous le titre de « Remate de cavaleras alegres y sandungeras. Las que hoy son empolvadas garbanceras pararán en deformes calaveras ». Source : Octavio Fernández Barrios (directeur du musée national de la gravure de Mexico de 2009 à 2013), (es) « José Guadalupe Posada : la línea que definió el arte mexicano », note 9, site officiel du musée.

Références[modifier | modifier le code]

  1. Barajas Durán R. : Posada Mito y Mitote, la caricatura política de José Guadalupe Posada y Miguel Alfonso Manilla - Fondo de Cultura Económica (2009) México - (ISBN 9786071600752)
  2. (es) José Guadalupe Posada o la invencion de una tradición - Víctor González Esparza, Investigación y Ciencia, p. 37, [PDF] : L'historien Víctor González Esparza indique que Posada s'est inspiré de traditions picturales antérieures, à la fois d'origine chrétienne européenne (danza de la muerte) et préhispanique (tzompantlis, coatlicues, citation de Paul Westheim, explications sur les volontés de fusion européo-indigènes des nationalistes de la « renaissance mexicaine » p. 40).
  3. Pierre Ragon signale même que cette tradition iconographique remonte à l'Antiquité, et a été perpétué par le courant baroque (L'image au Mexique : usages, appropriations et transgressions, p. 267).
  4. a b et c (es) La historia de La Catrina que todos llevamos dentro - Conaculta, 31 octobre 2011.
  5. (en) Ilan Stavanger, The Riddle of Cantinflas, p. 41 [lire en ligne].
  6. Pierre Ragon, L'image au Mexique : usages, appropriations et transgressions, pp. 261 et 266-267.
  7. (es) « en los huesos pero con sombrero francés con sus plumas de avestruz ».
  8. (es) José Guadalupe Posada : la línea que definió el arte mexicano - Octavio Fernández Barrios (directeur du musée de 2009 à 2013), site officiel du musée national de la gravure de Mexico, note 9.
  9. (es) Homenaje a la Catrina debe ser en 2013 - Agustín Sánchez González, El Universal, 26 décembre 2011.
  10. (en) La Catrina: Mexico's grande dame of death - Christine Delsol, SFGate, 25 octobre 2011.
  11. (es) José Guadalupe Posada : la línea que definió el arte mexicano - Octavio Fernández Barrios (directeur du musée de 2009 à 2013), site officiel du musée national de la gravure de Mexico, notes 1 et 9.
  12. Publication intitulée Monografía : las obras de José Guadalupe Posada, grabador mexicano, éditée par Frances Toor, Blas Vanegas Arroyo et Pablo O'Higgins, et préfacée par Diego Rivera (cf. (en) Jose Guadalupe Posada, Calavera Catrina (Dapper Skeleton) - Artofprint.com, ainsi que (es) José Guadalupe Posada : la línea que definió el arte mexicano - Site officiel du musée national de la gravure de Mexico, note 1.
  13. a et b Pierre Ragon, L'image au Mexique : usages, appropriations et transgressions, p. 261.
  14. (es) Las invenciones del México indio. Nacionalismo y cultura en México 1920 - 1940 - Dr. Ricardo Pérez Montfort, Bioetica.org.
  15. (es) Cronología ilustrada de Diego Rivera (1886-1957) - Susana Hermoso-Espinosa García, Homines.com, 24 janvier 2004.
  16. (es) « Diego Rivera fue quien bautizó a La Catrina, no su creador », El Informador, .
  17. Notamment, au musée José Guadalupe Posada d'Aguascalientes ((es) Celebran Centenario de La Catrina en el Museo José Guadalupe Posada - Carlos Olvera, La Jornada, 8 juin 2012) et lors du Festival international de cinéma d'horreur de Mexico ((es) Festival Macabro celebrará centenario de La Catrina - El Universal/Notimex, 10 août 2012).
  18. (es) Catrín, na : « Bien vestido, engalanado »], dans le dictionnaire de l'Académie royale espagnole
  19. (es) « ¿Qué es un catrín? », sur ngenespanol.com].
  20. « En México, petimetre, gomoso, holgazán, vago bien ataviado » : définition de « catrín » dans le Diccionario Porrúa de la lengua española, Editorial Porrúa, 2000 (ISBN 978-970-071-8668)
  21. (es) José Tomás de Cuéllar, Mauricio Magdalena, La Linterna mágica, UNAM, 1992, p. 119.
  22. (es) Diane Helen Miliotes, José Guadalupe Posada and the Mexican broadside, Art Institute of Chicago, 2006.
  23. a et b (es) Juan Carlos Tala,La Catrina inicia la celebración del centenario luctuoso de Posada - La Crónica, 18 janvier 2013.
  24. Agustín Sánchez González, Posada, Martínez Roca, 2008, p. 164.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]