Kōan (bouddhisme)

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
(Redirigé depuis Koan (zen))
Le Maître Chan Yunmen Wenyan

Un kōan (transcription du japonais : こうあん, prononciation japonaise on'yomi du terme chinois : 公案, gōng'àn, littéralement : « arrêt faisant jurisprudence »), ou koan, est une brève anecdote ou un court échange entre un maître et son disciple, absurde, énigmatique ou paradoxal, ne sollicitant pas la logique ordinaire[1], utilisée dans certaines écoles du bouddhisme chan (appelé son en Corée, zen au Japon ou thiền au Viet Nam). Un hua tou (terme chinois ; japonais : wato) est semblable mais ne consiste qu'en une courte phrase, parfois issue d'un kōan[2].

Selon le dictionnaire encyclopédique chinois Cihai publié en 1936, le kōan est un objet de méditation qui serait susceptible de produire le satori ou encore de permettre le discernement entre l'éveil et l’égarement[3]. Le terme gōng'àn est emprunté au vocabulaire juridique de la Chine ancienne. Voisin du sens d'ukase, il désignait les décisions officielles des bureaux gouvernementaux qui faisaient force de loi.

Aujourd’hui les kōan sont l'un des principaux outils d'enseignement et de discipline de la tradition Rinzai. La tradition Sōtō a donné plus d'importance à la seule posture assise dite zazen qui repose sur l'enseignement de Dogen[4].

Origines[modifier | modifier le code]

Les Gong'an (koan en japonais) furent développés en Chine sous la Dynastie Tang (618 – 907)[5] d'après les enregistrements des paroles des maîtres Chan, qui citèrent de nombreuses histoires de « Un enregistrement célèbre d'une figure chan du passé avec des disciples ou d'autres interlocuteurs et y offrant alors leur propres commentaires »[6]. Ces histoires et les commentaires les accompagnant ont été utilisés pour l'éducation des étudiants et leurs analyses furent diffusées dans les enseignements bouddhistes.

Même si les premiers kōan japonais furent rédigés dès le IXe siècle, la plupart des kōan ont été compilés aux XIe et XIIe siècles de notre ère. Ils se comptent par centaines, et sont les témoins de plusieurs siècles de transmission du bouddhisme chan en Chine et bouddhisme zen au Japon.

Selon la légende, à sa naissance, Siddharta Gautama fit quelques pas, pointa vers le ciel une main et vers la Terre l'autre en disant : « Entre les Cieux et la Terre, je suis le seul vénérable » (Tenjo Tenge Yui Ga Doku Son). La phrase est souvent considérée comme le premier kōan[1].

Paradoxes[modifier | modifier le code]

Le kōan se présente comme un paradoxe, voire une aporie, impossible à résoudre de manière intellectuelle. Le méditant doit délaisser sa compréhension habituelle des phénomènes pour se laisser pénétrer par une autre forme de connaissance intuitive. Le kōan est souvent contenu dans le compte-rendu d'une discussion entre deux maîtres chan (ou zen). Nombre de ces discussions ont été reprises dans les anthologies de kōan.

Le kōan, dans sa forme pure, n'est pas une devinette, ni un mot d'esprit transmis par le maître au disciple. Il ne s'agit pas de répéter quelque obscurité, de triturer une énigme, mais de travailler avec un paradoxe de sagesse centenaire, qui serait transmis personnellement, dans l'intimité entre maître et étudiant. L'étudiant prend alors à cœur de résoudre le kōan, et la pratique durant des séances formelles, et plus largement durant chacune de ses activités quotidiennes. À terme et conjuguée à celle de zazen, cette pratique lui permettra d'atteindre le satori.

Le wato est le mot-clé ou une courte phrase sur lequel l'étudiant se concentre.

Un certain nombre de kōan ont été commentés. Mais il est dit que le commentaire ne fait pas comprendre le kōan : il en ouvre seulement la voie. C'est à chacun de comprendre, de vivre le kōan.

Il arrive qu'un moine se voie assigner un seul kōan pour toute sa vie monastique.

Niveaux de kōan[modifier | modifier le code]

Dans l'école Rinzai, on distingue cinq catégories de kōan[7], et la difficulté augmente à chaque niveau. L'étudiant commence par les hosshin kōan (hosshin = Corps de la Loi) qui lui permettent de découvrir l'éveil et de devenir progressivement familier de la Vraie Nature du Réel, la nature de bouddha. Au deuxième stade viennent les kikan kōan (kikan = auxiliaire, outil) qui aident l'étudiant à développer sa capacité de discrimination dans un monde qui est celui de la non-différenciation. Troisième niveau, celui des gonsen kōan (gonsen = clarification des paroles): ils amènent l'étudiant à examiner attentivement le sens des paroles des anciens maîtres, et ainsi à dépasser les définitions purement verbales. L'étudiant aborde alors le niveau quatre où il étudie les nanto kōan (nanto = difficile à réussir), particulièrement difficiles à résoudre, comme leur nom le laisse entendre. Au cinquième et dernier stade, le maître examine une fois encore attentivement la compréhension de l'étudiant, afin de s'assurer qu'elle est réelle et profonde. Il doit alors se confronter aux Go-i kōan, ou kōan des cinq degrés de l'illumination du vénérable Dongshan Liangjie[7].

Recueils[modifier | modifier le code]

Parmi les plus célèbres recueils de kōan, on peut mentionner les titres ci-après[7], venant de Chine et du Japon.

Chine[modifier | modifier le code]

Le Wu men guan (« La barrière sans porte ») est un des deux principaux recueils de kōans de la littérature chan et zen, compilé par Wumen Huikai (1183-1260). On a aussi le Bi yan lu (« Le Recueil de la Falaise Bleue »), plus ancien recueil de gong’an de la littérature chan, rédigé au XIIe siècle par le maître du chan Yuanwu Keqin (1063-1135), maître de la lignée Yangqi du chan de l’école Lin ji, d’originaire de Sichuan, Chine. Composé au XIIe siècle, le Cong rong lu (« Le livre de la sérénité ») regroupe les cent kōans du maître chan Hongzhi Zhengjue (1091-1157), de l’école Caodong de Chine.

Japon[modifier | modifier le code]

Le Denkoroku (« Le Livre de la transmission de la lumière ») de Keizan Jôkin réunit des histoires de transmission du Dharma dans la lignée des 52 patriarches de l'école Sôtô. On peut aussi mentionner un ouvrage important de Dôgen, le Shinji Shōbōgenzō (« Shôbôgenzô en chinois »)[Note 1], un recueil de 300 kōans, ainsi que le Zenrin-kushū (« Sentences du jardin du zen »), recueil de 6 000 kōans publié en 1688, qui est une version augmentée du Ku Zôshi de Tōyō Eichō[8] .

Exemples de kōan[modifier | modifier le code]

C'est à Hakuin Ekaku que l'on doit un des plus fameux kōans : « Deux mains applaudissent et il y a un bruit. Quel est le son d'une main[Note 2] ? »

La barrière sans porte comprend également plusieurs kōans très célèbres. En voici quatre exemples, dans la traduction de Catherine Despeux :

— Un jour, un moine demande au révérend Zhaozhou (japonais : Joshu) : « Un chien a-t-il aussi la nature de bouddha ou non ? » Joshu répond : « Non. [Wu][9],[Note 3]. »

— Un jour, un moine demanda à Porte-des-nuées (Yunmen) : « Qu'est ce que Bouddha ? » Porte-des-nuées: « Un bâton à sécher le bran [merde][10]. »

— Un moine demanda à Mont-de-la-Grotte (Dongshan) : « Comment c'est la bouddhéité ? » Dongshan répondit : « Trois livres de chanvre[11]. »

— Le révérend Ornement-parfumé (Xiyangyan (en)) dit un jour : « Il en est comme d'un moine dans un arbre, accroché à une branche uniquement par la bouche, sans que ses mains agrippent l'arbre ou que ses pieds s'y appuient. Si quelqu'un, au pied de l'arbre, lui demande quel est le sens de la venue de l'Ouest [de Bodhidharma], ne pas répondre est une offense à celui qui questionne; répondre, c'est perdre la vie. À cet instant précis, que faire ? »[12]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

Études[modifier | modifier le code]

Traductions[modifier | modifier le code]

  • WUMEN Huikai (trad. du chinois par du chinois, présenté (p. 8-48) et annoté par Catherine Despeux), La passe sans porte. Les énigmes des grands maîtres zen, Paris, Points, coll. « Sagesses », , 270 p. (ISBN 978-2--757-83468-8). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Le Recueil de la falaise verte : Kôans et poésies du zen (trad. et présentés par M. et M. Shibata, traduction partielle (choix de koâns), à côté d'autres textes zen), Paris, Albin Michel, , 178 p. (ISBN 978-2-226-11539-3)
  • (en) The Blue Cliff Record (trad. par Thomas Cleary et J.C. Cleary, préf. par Taizan Maezumi Roshi), Boston, Shambala, , 688 p. (ISBN 978-1-590-30232-3)
  • (en) The Book of Serenity : One Hundred Zen Dialogues (Cong rong lu) (trad. et introduction par Thomas Cleary), Boston, Shambhala Publications, , 512 p. (ISBN 978-1-590-30249-1)
  • (en) Keizan Jôkin (trad. et introduction Thomas Cleary), Transmission of Light : Zen in the Art of Enlightenment, Boulder, CO, Shambhala, (1re éd. 1999), 232 p. (ISBN 978-1-570-62949-5)
  • (en) Dôgen (trad. par Kazuaki Tanahashi et John Daido Loori; introduction et commentaires par J.D. Loori), The True Dharma Eye. Zen Master's Dôgen Three Hundred Kôans, Boston, Shambala, , liv, 472 (ISBN 978-1-590-30465-5)

Autres[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. On ne confondra pas ce Shôbôgenzô en chinois avec le Kaji Shôbôgenzô, le Shôbôgenzô en japonais, auquel on pense en général lorsque l'on mentionne ce titre.
  2. japonais : 隻手声あり、その声を聞け. On rencontre souvent ce kōan sous une la forme abrégée « Quel est le son d'une main qui applaudit ? » Les Nine Stories de J. D. Salinger s'ouvrent sur cette version du kōan. V. Nouvelles, Éditions Pocket, 2002, (ISBN 978-2-266-12633-5) p. 23.
  3. Wu (ou Mu) est le wato de ce kōan.
    (V. R. Buswell Jr. & D.S. Lopez Jr., The Princeton Dictionary of Buddhism, Princeton, Princeton University Press, 2014, p. 358 (art. « Huatou »)

Références[modifier | modifier le code]

  1. a et b John Daido Loori,Thomas Yuho Kirchne, Sitting with Koans : essential writings on Zen Koan introspection, Dharma Communications Press, (présentation en ligne)
  2. (en) Stuart Lachs, « Hua-t’ou : A Method of Zen Meditation », (consulté le )
  3. Selon l'édition 1999 du Cihai : « Gong’ an, terme bouddhique, recueil des actes, paroles et anecdotes de grands maîtres des générations antérieures du bouddhisme chan pour discerner le vrai du faux, l’éveil de l’égarement.» (« 公案 » 本意是官府断案的公文案牍。禅宗认为历代宗门祖师典范性的言行可以判别学人的 非迷悟,故亦称公案。)
  4. (en) Kiew Kit Wong, The Complete Book of Zen, Tuttle Publishing, (lire en ligne), p. 144-145.
  5. Schlütter 2008, p. 111.
  6. Schlütter 2008, p. 109.
  7. a b et c Kurt Friedrich et al., Dictionnaire de la sagesse orientale : bouddhisme, hindouisme, taoïsme, zen, Paris, Laffont, coll. « Bouquins », (1re éd. 1986), xii, 752 (ISBN 978-2-221-05611-0), p. 291-292 ("Kôan")
  8. (en) Helen J. Baroni, The Illustrated Encyclopedia of Zen Buddhism, New York, The Rosen Publishing Group, , xxi, 426 p. (ISBN 978-0-823-92240-6, lire en ligne), p. 389
  9. Despeux 2014, p. 58. Cas 1: Le chien de Zhaozhou
  10. Despeux 2014, p. 21. Cas 21: le bâton à sécher le bran de Porte-des-nuées
  11. Despeux 2014, p. 116. Cas 18: Les trois livres de chanvre de Mont-de-la-Grotte
  12. Despeux 2014, p. 73. Cas 5. Ornement-parfumé et le moine dans l'arbre

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Lien externe[modifier | modifier le code]