Jacques Canetti

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Jacques Canetti à son bureau en 1960

Jacques Canetti, de son vrai nom Nissim Jacques Canetti, né le à Roustchouk en Bulgarie et mort le à Suresnes, est un directeur artistique et producteur musical chez Polydor et Philips.

Il consacre sa vie à la chanson française et, en particulier, aux auteurs–compositeurs-interprètes. Conjuguant courage et obstination à son instinct, Jacques Canetti a imposé des artistes auxquels personne ne croyait à leurs débuts. De Polydor à Philips, en passant par Radio Cité et le théâtre des trois Baudets, jusqu'aux Productions Jacques Canetti, il est un personnage central de la chanson française du milieu du XXe siècle : Édith Piaf, Charles Trenet, Les Frères Jacques, Juliette Gréco, Félix Leclerc, Charles Aznavour, Georges Brassens, Jacques Brel, Serge Gainsbourg, Guy Béart, Les Trois Ménestrels, Claude Nougaro, Serge Reggiani, Jeanne Moreau, Raymond Devos, Brigitte Fontaine et Jacques Higelin ont notamment bénéficié de son soutien. La plupart de ces artistes lui doivent leurs premiers pas.

Il est le frère d'Elias Canetti (1905-1994), écrivain d'expression allemande et prix Nobel de littérature en 1981, et de Georges Canetti (1911-1971), chercheur et professeur à l’Institut Pasteur spécialiste de la tuberculose.

Biographie

Nissim Jacques Canetti naît le dans la ville de Roustchouk (actuellement Roussé), sur la rive sud du Danube en Bulgarie, à la frontière roumaine. Ses parents, Jacques Elias (Elieser) Canetti et Mathilde née Arditti, sont tous deux issus de familles de commerçants juifs séfarades fortunés.

Avant-guerre, Polydor, Radio-Cité

À 20 ans, fou de jazz, Jacques Canetti organise les premières tournées de Jazz Hot dans toutes les villes universitaires, et il est le premier à faire venir en France Louis Armstrong, Cab Calloway, et Duke Ellington. Il monte le premier orchestre de musiciens noirs de jazz en France.

En 1930, par le biais d'une annonce disant simplement « Cherche jeune homme aimant la musique et parlant couramment allemand », Jacques Canetti quitte HEC pour entrer chez Polydor, alors qu’il n’a que 20 ans. Il persuade Marlène Dietrich d'enregistrer son premier disque en français (Assez et Moi j'm'ennuie, 1933).

Mais sa vie de promoteur des artistes commence avec Marcel Bleustein-Blanchet, fondateur de Radio Cité, qui confie à Jacques Canetti la direction artistique de la station : Il y apporte de grandes innovations dans les formats de la radio, alors encore toute jeune. Il crée des émissions qui demeurent encore aujourd'hui des classiques de la radio, telle Le music-hall des jeunes, où il donne sa première chance à Édith Piaf, puis à Charles Trenet. Il tient la première émission régulière de jazz à la radio. Il compose et enregistre (au pipeau) le premier jingle d’une radio. Il invente le principe du radio-crochet. Il dirige également les premières séances d’enregistrement d’Edith Piaf.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, avec la promulgation des lois anti-juives, l'actrice Françoise Rosay l'aide à rejoindre la Zone libre. Il organise avec elle des tournées dans le sud de la France et en Afrique du Nord, ce qui le conduit à diriger des théâtres ou à diriger des radios. Il fonde notamment avec Pierre-Jean Vaillard en 1943 le théâtre des Trois-Baudets à Alger (rue Mogador).

De 1947 à 1962, Les Trois Baudets

En 1947, il est de retour à Paris. Il crée alors la salle de spectacle les Trois Baudets, sur l'avenue de Clichy à Paris. De 1948 à 1962, il est directeur artistique chez Philips.

Il découvre alors et fait connaître nombre de vedettes de la chanson française, qu'il produit dans tous les secteurs (sur disque, à la radio, à la télévision - notamment belge - et les spectacles, notamment dans son théâtre Les Trois Baudets, mais aussi par des tournées).

Le découvreur de talents

En 1950, il découvre le jeune Félix Leclerc au Québec, en qui personne ne croit au Québec (pas même Félix Leclerc lui-même), mais Jacques Canetti le convainc de venir en France, et assure sa renommée parisienne. Symbole de la confiance en Canetti, Félix Leclerc avait spécifié comme clause de garantie sur son contrat la « présence divine » de Jacques Canetti.

Il lance Jacques Brel en 1954 en lui permettant d'enregistrer son premier album[1]. Entre 1953 et 1958, Canetti n'a pas lâché Jacques Brel, dont la maison de disques Philips ne voulait pas, en le programmant six fois de suite aux Trois-Baudets.

En 1967, alors au faîte de sa gloire, et que Canetti est devenu producteur indépendant, Brel lui lance : « Vous avez eu le mérite de me sortir de mon trou, mais, en somme, vous m'avez dit ce qui était probablement évident et, comme vous étiez Canetti, cela m'a donné l'élan nécessaire pour faire ce que j'avais envie de faire dans mon for intérieur. […] C'est vous qui devez me dire merci! J'ai fait honneur à votre réputation de découvreur […]. »

Entre 1947 et 1962, Jacques Canetti fait jaillir aux Trois Baudets la génération des auteurs-compositeurs interprètes français : Georges Brassens, Guy Béart, Roche et Aznavour, Boris Vian, Patachou, Serge Gainsbourg, Francis Lemarque, Mouloudji, Boby Lapointe, Ricet Barrier, Anne Sylvestre, Maurice Fanon, Leny Escudero, Claude Nougaro, Henri Salvador

Jacques Canetti révèle également une nouvelle génération d'humoristes : Pierre Dac, Francis Blanche, Robert Lamoureux, Fernand Raynaud, Darry Cowl, Raymond Devos, Philippe Noiret, Jean-Pierre Darras, Jean Yanne, Christian Duvaleix, Gérard Séty

Là se produisent de grands interprètes, tels Juliette Gréco, les Frères Jacques, Catherine Sauvage, Philippe Clay, les Quatre Barbus, Isabelle Aubret

Il signe également des contrats avec André Claveau, Pierre Dudan, Jacqueline François, Lucienne Vernay (qu'il épouse en 1947), Armand Mestral, Zizi Jeanmaire, les Garçons de la Rue, les Trois Horaces, Jean-Claude Darnal, Aglaé, Dario Moreno, etc.

Jacques Canetti y révèle une nouvelle génération de musiciens avec Michel Legrand.

Il y produit les premiers spectacles d'Yves Robert, Raymond Queneau, de Pierre Daninos et de Francois Billetdoux, avec des interprètes aussi variés que Rosy Varte, Pierre Etaix, Michel Roux, Gérard Séty, Michel de Ré

Les tournées Canetti

Parallèlement, il organise durant tous les étés - non seulement pour les artistes qu'il a découverts, mais également d'autres qui lui font confiance - les tournées Radio Programme (que tout le monde appelle tournées Canetti). Il propose des plateaux de quatre à dix artistes aux salles de province et des colonies françaises d'abord (théâtres municipaux, salles des fêtes, casinos ou scènes en plein air), puis à travers le monde. École difficile, au rythme effréné, dans laquelle les jeunes artistes apprennent le métier de la scène, tandis que leurs aînés y rôdent leurs nouvelles chansons avant leur rentrée parisienne. Il se rend ainsi aux États-Unis et au Japon avec Yves Montand et organise les récitals de Maurice Chevalier.

À partir de 1951, il crée pour les disques Philips le catalogue de référence de la chanson française. Le flair de Jacques Canetti devient incontournable, et il est une personne incontournable et très influente dans les métiers du spectacle.

Il détecte tous les nouveaux talents pour Philips, Polydor et Fontana, avec la conviction qu’un artiste met parfois des années à percer. Ainsi, il s’obstine à sortir les premiers albums de Serge Gainsbourg à partir de 1958, convaincu de son talent malgré des ventes qui ne dépassent pas quelques centaines d’exemplaires.

À partir de 1962, Les Productions Jacques Canetti

Le départ de chez Philips

En 1962, la direction de Philips s'approprie le jeune Johnny Hallyday aux disques Vogue, qui ne croient pas vraiment que le potentiel de sa musique puisse dépasser une saison de petits succès. La direction de Philips explique alors à Jacques Canetti que de gros efforts commerciaux vont être consentis pour développer la carrière de Johnny Hallyday et que toutes les énergies doivent se tourner vers l’exploitation de cette manne que représente le rock’n’roll, qui a tout écrasé sur son passage aux États-Unis. Or, Canetti pense que cette musique n’est qu’un vilain avatar du jazz et qu'elle ne durera pas. C'est ainsi qu'il claque la porte de Philips : il s'en va exercer ses talents de directeur artistique pour son compte, en pensant que ses principaux artistes vont le suivre.

Mais une clause de tacite reconduction de son contrat le lie pour encore trente mois à Philips. Pour s’en libérer, il doit accepter de ne pas travailler avec les artistes qui furent sous sa responsabilité chez Philips, Polydor ou Fontana…

Les Productions Jacques Canetti

Il crée donc les Productions Jacques Canetti à partir de rien, et devient au passage le premier producteur de disques indépendants, ceux qui prennent des risques en allant jusqu'au bout de leur passion.

Mais comme il a énormément signé chez Philips, il ne reste plus sur le marché que des artistes qui ne chantent pas…

Convaincu par sa prestation dans Jules et Jim de François Truffaut, dans lequel elle chante la chanson Le Tourbillon de la vie, il fait enregistrer un disque de chansons de Serge Rezvani à Jeanne Moreau. Il convainc ensuite Serge Reggiani d’entrer en studio pour un disque de chansons de Boris Vian, il fait enregistrer La Voix humaine de Jean Cocteau à Simone Signoret. Plus tard, il est le premier à enregistrer Jacques Higelin (un débutant de dix-huit ans), ainsi que Brigitte Fontaine[2].

Mais il ne retrouvera pas la splendeur de ses années Philips, privé des moyens auxquels il avait jadis accès, et précisément au moment où le disque, devenu une industrie de masse, exige des investissements de plus en plus lourds.

Il produit et enregistre alors les disques, de Simone Signoret, de Pierre Brasseur, de Michel Simon, Cora Vaucaire et de bien d'autres encore. Il crée les premières anthologies consacrées aux grands poètes de la chanson française, telles celles de Boris Vian et de Jacques Prévert.

Les Trois Baudets ferment leurs portes en 1967.

En 1978, il écrit ses mémoires : On cherche jeune homme aimant la musique[3].

En 1990, il produit Zazie dans le métro, adaptation d'Évelyne Levasseur, qu'elle interprète avec Claude Piéplu pour la collection « Le livre qui parle ».

En 1997, il quitte le métier. Ce sont ses enfants Bernard et Françoise Canetti[4] qui reprennent Les Productions Jacques Canetti. Distribué en 2005 par Wagram, le label est classé parmi les 30 premiers labels français.

Toute sa vie, Jacques Canetti a su rester un homme discret, enthousiaste, combatif et persévérant. Son collègue Charley Marouani, manager de Barbara, estime qu'il a sauvé la chanson française[5].

Jacques Canetti a eu trois enfants, Colette, Françoise et Bernard, tous trois actifs dans des domaines culturels. Il est enterré au Cimetière du Père-Lachaise (94e division).

Citations

« Directeur artistique n'est pas une activité, mais un sport, que je pratique passionnément. Le talent ne s'insuffle pas, mais il peut se détecter avec de la chance et de l'intuition. Je ne suis qu'un catalyseur. Et je donne de la confiance aux artistes, c'est épanouissant. »

Bibliographie

  • Jacques Canetti, On cherche jeune homme aimant la musique, Paris, Calmann-Lévy, coll. « Lignes de vie », , 276 p. (ISBN 978-2-7021-0253-4)
  • Alain Poulanges et Janine Marc-Pezet, Le théâtre des 3 Baudets : Brassens, Brel, Devos, Gainsbourg, Gréco, Lapointe, Leclerc, C. Sauvage, Vian-- au petit théâtre de Jacques Canetti, Paris, Du May, (ISBN 978-2-8410-2001-0)
  • Jacques Canetti (préf. Michel Legrand et François Morel), Mes 50 ans de chansons françaises, Paris, Flammarion, coll. « Pop Culture », (ISBN 978-2-0812-1107-0)
    176 pages et 1 CD
  • Jacques Canetti, 50 ans de chanson française, Productions Jacques Canetti (4 CD et 1 DVD)

Liens externes

Références

  1. Ainsi que plus tard son neveu Bruno Brel.
  2. Percevant le phénomène des café-théâtres à Saint-Germain-des-Prés, il inaugure la salle du Bilboquet, où il fera débuter Jacques Higelin et Brigitte Fontaine).
  3. Jacques Canetti, On cherche jeune homme aimant la musique, 1978, Éditions Calmann-Lévy, Paris
  4. « Biographie de Françoise Canetti à l'occasion de son passage au Magazine de France-Musique le 3 décembre 2012 » (consulté le )
  5. http://www.artsjournal.com/slippeddisc/2011/10/the-nobel-winning-german-writer-whose-brother-saved-the-french-chanson.html