Image mentale

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Gravure d'une idée mentale

Le terme image mentale est utilisé en philosophie, dans le domaine de la communication et en psychologie cognitive pour décrire la représentation cérébrale mémorisée ou imaginée d’un objet physique, d'un concept, d’une idée, ou d'une situation. La capacité particulièrement développée des êtres humains à former, mémoriser et utiliser des images mentales, pour appréhender l’environnement et communiquer avec les autres, est intimement liée à l’intelligence. Les biologistes et anthropologues sont partagés sur ce type de capacité chez les autres espèces[1].

Ce débat, présent en biologie, est généralement ignoré dans les autres domaines qui tendent à se concentrer sur la connaissance humaine. Pourtant, l’intelligence adaptative, qu’elle soit humaine ou animale, semble être fortement liée à la capacité à stocker, traiter et faire évoluer un capital d’images et de représentations mentales[2],[3].

Naissance et évolution des images mentales[modifier | modifier le code]

Durant toute notre vie, en partant probablement de la phase prénatale du fœtus, nos expériences vécues font naître une multitudes d’éléments de représentation mentale qui viennent construire dans notre esprit des images nouvelles, ou modifier, enrichir des images existantes[4]. Un réseau d’images est ainsi maintenu, chacune d’entre elles pouvant faire appel à d’autres. Certains enchaînements privilégiés forment de véritables méta-images dynamiques, à l’instar des chemins neuronaux à la base du fonctionnement cérébral de plus bas niveau.

Trois types d’expériences participent à ce processus :

  1. les perceptions par l’un ou plusieurs de nos cinq sens, en particulier la vue qui constitue le plus puissant, mais pas le seul, générateur d'images mentales. Certaines de ces perceptions et sensations sont subies, d’autres recherchées,
  2. l’imagination et la réflexion, sur lesquelles nous avons une certaine emprise,
  3. le rêve, les visions éveillées et hallucinations qui échappent à notre contrôle conscient et font émerger spontanément des images inédites.

Dans chacun de ces cas, le cerveau manipule des représentations mentales, les évalue, les compare, les associe, les combine, avec ou sans stimuli externes. Dans son fonctionnement normal (vs. pathologique), le cerveau cherche à maintenir un stock d’images qui lui permet de trouver des solutions efficaces aux situations présentes et anticipées. Ainsi, les stratégies cognitives, plus ou moins conscientes, privilégient l’évolution de nos représentations vers ce que nous croyons être la réalité et, dans les domaines artistiques et de l’imaginaire, les images sources de plaisir et de satisfaction, souvent volontairement dissociées de la réalité. Dans une boucle incessante, ces images, ainsi que leurs séquences, sont évaluées en fonction de leur efficacité à réaliser nos besoins et objectifs de toute nature, puis modifiées en conséquence. La psychologie cognitive s'intéresse aux opérations que peuvent subir les images mentales.

Approches philosophiques[modifier | modifier le code]

Le concept d’images mentales est central en philosophie classique et moderne, car indissociable de l’étude de la connaissance. Dans son livre VII de la République, Platon utilise la métaphore bien connue de prisonniers dans une caverne, enchaînés et immobilisés, qui tournent le dos à l'entrée et ne voient sur le mur qui leur font face que leurs ombres et celles projetées d'hommes et d'objets se déplaçant ou placés loin derrière eux. Cette métaphore expose en termes imagés le périlleux cheminement des hommes vers la connaissance de la réalité réduite dans l’esprit des êtres humains à des représentations construites à partir d’images simplifiées et déformées perçues par nos sens (C.f. Allégorie de la caverne). Platon évoque également la non moins difficile transmission des connaissances qui se heurte à l’aveuglement et à la laborieuse confrontation des représentations mentales issues d’expériences différentes.

Au XVIIIe siècle, George Berkeley a développé des idées semblables dans sa théorie de l’idéalisme. Selon Berkeley, la réalité n’existerait qu’à travers nos images mentales, celles-ci n’étant pas des représentations de réalité matérielle, mais la réalité elle-même. Cependant, Berkeley, a clairement distingué les images relatives à la connaissance du monde extérieur, des images issues de l'imagination individuelle, ces dernières ne faisant d'après lui pas partie de l’« imagerie mentale » au sens contemporain de cette expression[5],[6].

Toujours au XVIIIe siècle, l'écrivain britannique et docteur Samuel Johnson à qui, au cours d'une promenade en Écosse, on demanda son avis sur l'idéalisme, fit la réponse suivante : « voyez comme je le réfute ! », qu'il accompagna d'un coup de pied assez violent contre un rocher pour faire rebondir sa jambe. C'était une façon pour lui de montrer que faire tenir l'existence du rocher à une pure image mentale, dépourvue de support matériel à proprement parler, serait une bien piètre explication pour la douleur qu'il venait d’éprouver.

Les critiques du réalisme scientifique se demandent comment se produit réellement la perception intérieure des images mentales. On se réfère quelquefois à l'« hypothèse de l'homoncule » (voir également l'œil de l'esprit). Ce problème revient à se demander sous quelles formes les images affichées par un écran d'ordinateur existent dans la mémoire de ce dernier.

Pour le matérialisme scientifique, les images mentales et leur perception ne peuvent être issues que d’états mentaux. Selon ces philosophes, les réalistes scientifiques ne peuvent pas trouver la localisation des images et de leurs percepteurs dans le cerveau. Ces critiques avancent que les neurosciences n’ont pas réussi à identifier dans le cerveau de composants, processus ou mémoire qui traiteraient et stockeraient des images de la même façon que le font, dans un ordinateur, une carte graphique et sa mémoire.

Utilisation dans l'apprentissage[modifier | modifier le code]

Les styles d'apprentissage sont largement déterminés par les capacités de représentation et de mémorisation qui privilégient les caractéristiques visuelles, auditives, ou kinesthésique (se rapportant au sens ou aux sensations du mouvement ou de la posture corporelle) d'une expérience[7].

Selon les théoriciens de l'éducation, l'acquisition des connaissances est facilitée par la mise en œuvre simultanée de plusieurs domaines sensoriels (visuels, auditifs, ou kinesthésiques). Les méthodes d'enseignement mettant en œuvre la parole, des gestes et l'affichage/animation de représentations graphiques et textuelles répondent à ce besoin.

L'utilisation d'images mentales existantes sans perception sensorielle ou action physique contribue à l'apprentissage[8]. Par exemple, répéter un exercice de piano, sans piano, uniquement en visualisant le clavier (pratique mentale) permet d'améliorer de façon significative l'exécution ultérieure (bien que moins efficacement que la pratique physique). Les auteurs de l'étude associée à cette expérience ont déclaré que «la seule pratique mentale semble être suffisante pour favoriser la modulation des circuits neuronaux impliqués dans les premières phases d'acquisition des automatismes moteurs » (Pascual-Leone 1995).

En psychologie expérimentale[modifier | modifier le code]

Les psychologues cognitifs et, plus tard, les neurologues ont étudié empiriquement comment le cerveau humain utilise l’imagerie mentale dans la construction des connaissances.

Une métaphore des années 1970 tentait de rapprocher le fonctionnement du cerveau à celui de l’ordinateur en tant que processeur séquentiel de l’information. Zenon Pylyshyn[9] présentait la cognition comme une forme de calcul et soutenait que le contenu sémantique des états mentaux était codé de la même façon que celui des représentations d'ordinateur - État d’un réseau formé par l’ensemble des états des neurones et interconnexions y participant.

Le psychologue Zenon Pylyshyn a développé une théorie selon laquelle l'esprit d'humain traite des images mentales en les décomposant en propositions mathématique fondamentale[10].

Roger Shepard et Jacqueline Metzler (1971) se sont opposés à cette affirmation en présentant à des personnes une figure composée de lignes représentant un objet en trois dimensions et en leur demandant de déterminer si d'autres figures étaient la représentation du même objet après rotation dans l'espace. Shepard et Metzler ont supposé que si nous décomposions, puis recomposions mentalement les objets en propositions mathématiques de base - comme le suggérait la pensée dominante de l'époque par analogie au traitement d'un ordinateur - le temps pour déterminer si l'objet était identique ou pas aurait alors été indépendant du degré de rotation de l'objet. Or, cette expérience montrait, au contraire, que ce temps était proportionnel au degré de rotation qu'avait subi l'objet sur la figure. Shepard et Metzler ont ainsi pu en déduire que le cerveau humain maintient et manipule les images mentales en tant qu'entités topographiques et topologiques globales[11].

Des études plus récentes ont confirmé ces résultats en mettant en évidence que les gens sont plus lents à orienter mentalement des représentations de membres tels que des mains dans des directions incompatibles avec la rotation des articulations du corps humain (Parsons 2003) et que les patients dont un bras est blessé et douloureux sont plus lents à tourner mentalement un dessin de la main du côté du bras blessé (Schwoebel 2001).

Certains psychologues, y compris Stephen Kosslyn[12],[13], suggèrent que ces résultats sont dus à une interférence entre les zones du cerveau qui traitent les représentations visuelles et celles qui gèrent les représentations motrices. Kosslyn (1995 & 1994) conforte cette hypothèse, dans une série d'imageries cérébrales, en montrant où des objets tels que la lettre « F » sont maintenus et manipulés, en tant qu'images globales, dans le cortex visuel.

Les sciences cognitives ont abouti à un relatif consensus sur le statut neural des images mentales. La plupart des chercheurs en psychologie et neurologie conviennent qu'il n'y a aucun homoncule (un système central qui gouvernerait l’ensemble ou une partie du cerveau) ni processus qui structurait la vision des images mentales. La façon dont ces images sont stockées et traitées, en particulier dans le langage, la communication et en relation avec notre environnement physique, demeure un domaine d'étude fertile (Rohrer 2006) à la croisée de plusieurs domaines : psychologie, neuroscience, philosophie[14],[15].

En préparation mentale sportive[modifier | modifier le code]

En préparation mentale, l'imagerie mentale est utilisée en général pour améliorer la confiance en soi en aidant à visualiser les images de succès passés et de résultats obtenus lors de rencontres particulièrement réussies (différent de la répétition mentale). La technique d'imagerie commence par un état de détente (respirations, relaxation…), puis par la visualisation du déroulement d'actions de réussites sélectionnées pour leur caractère stimulant et leur capacité à ancrer un comportement gagnant.

Toutefois, il ne faut pas abuser de cette technique. En général, plus la confiance est forte et intense, plus elle risque de provoquer un désarroi en cas d'échec. Cette technique doit donc être utilisée seulement lorsque le doute s'installe chez l'athlète.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Dynamique des formes et représentation: vers une biosymbolique de l'humain - Michaël Hayat - Publié par L'Harmattan, 2002]
  2. L'image mentale: (Évolution et dissolution) - Jean Philippe - Publié par F Alcan, 1903]
  3. Image mentale et représentation, Jean-Max Albert, Publié par Mercier & associés, 2018
  4. L'Image mentale chez l'enfant: étude sur le développement des représentations imagées - Jean Piaget, Bärbel Inhelder - Publié par Presses universitaires de France, 1966]
  5. Berkeley et le voile des mots - Geneviève Brykman - Publié par Vrin, 1993
  6. Les principes de la connaissance humaine - George Berkeley - Publié par A. Colin, 1920
  7. Images mentales et stratégies d'apprentissage: explication et critique, les outils modernes de la gestion mentale - Elisabeth Grebot - Publié par Esf Éditeur, 1994
  8. Magali Bovet & Daphné Voellin, Le rôle de l'image mentale dans le raisonnement opératoire : auxiliaire ou structurant ?, Paris, Presses universitaires de France, 2003
  9. Computation and Cognition : Toward a foundation for Cognitive Science, MIT Press, 1984
  10. (en) Return of the mental image: are there really pictures in the brain?
  11. (en) Recent Publications on Shepard-Metzler
  12. (en) Image and Brain: The Resolution of the Imagery Debate - Stephen Michael Kosslyn - Publié par MIT Press, 1996]
  13. Image Mentale et Développement (préface) - J. Bideaud & Y. Courbois - PUF, 1998
  14. (en) Seeing and Visualizing: It's Not what You Think - Zenon W. Pylyshyn - Publié par MIT Press, 2003]
  15. (en) Critical Review of Zenon Pylyshyn’s Seeing and Visualizing: It’s Not What You Think - Catharine Abell, 2005]

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]