Horum omnium fortissimi sunt Belgae

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Horum omnium fortissimi sunt Belgae, littéralement « De tous ceux-là les plus courageux sont les Belges », souvent traduite en français par « De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves. », est une locution latine. Elle est parfois réduite à la formule Fortissimi sunt Belgae, « Les Belges sont les plus braves ». Cette phrase est extraite des Commentaires sur la Guerre des Gaules de Jules César[1].

Contexte[modifier | modifier le code]

La citation de César doit être replacée dans sa phrase :

« Gallia est omnis divisa in partes tres, quarum unam incolunt Belgae, aliam Aquitani, tertiam qui ipsorum lingua Celtae, nostra Galli appellantur. Hi omnes lingua, institutis, legibus inter se differunt. Gallos ab Aquitanis Garumna flumen, a Belgis Matrona et Sequana dividit. Horum omnium fortissimi sunt Belgae, propterea quod a cultu atque humanitate provinciae longissime absunt, minimeque ad eos mercatores saepe commeant atque ea quae ad effeminandos animos pertinent important, proximique sunt Germanis, qui trans Rhenum incolunt, quibuscum continenter bellum gerunt. »

« Toute la Gaule est divisée en trois parties, dont l'une est habitée par les Belges, une autre par les Aquitains, la troisième par ceux qui, dans leur langue, se nomment Celtes, et dans la nôtre, Gaulois. Ces nations diffèrent entre elles par le langage, les institutions et les lois. Les Gaulois sont séparés des Aquitains par la Garonne, des Belges par la Marne et la Seine. Les Belges sont les plus braves de tous ces peuples, parce qu'ils restent tout à fait étrangers à la politesse et à la civilisation de la province romaine, et que les marchands, allant rarement chez eux, ne leur portent point ce qui contribue à énerver le courage : d'ailleurs, voisins des Germains qui habitent au-delà du Rhin, ils sont continuellement en guerre avec eux. »

Le récit de la conquête de la Gaule belgique[modifier | modifier le code]

Édition de 1783 des Commentaires sur la Guerre des Gaules. Le dictateur a réussi son pari : il est présenté habillé en foudre de guerre, mais penché sur son œuvre comme un véritable philosophe.

Jules César, chef militaire dévoré d’ambition, cherche vers 60 av. J.-C. la notoriété pour, un jour, prendre le pouvoir seul à Rome. Il a donc besoin de gagner les batailles qu’il mène au nom du Sénat et du Peuple de Rome et ses victoires doivent être acquises de façon éclatante de manière à renforcer sa popularité auprès des Romains. Dans ce but, il entreprend la conquête des Gaules et la rédaction en parallèle des fameux Commentaires dans lesquelles il raconte sa campagne. Dans cette opération de communication antique, il se dépeint lui-même en général brillant, quasi-invaincu et soucieux de ses hommes comme de la gloire de Rome.

Signification(s) de l'éloge du courage de barbares par un Romain[modifier | modifier le code]

Il faut tout d'abord avoir à l'esprit que, loin d'être vu comme dans la culture actuelle de certaines personnes comme la vertu martiale par excellence, le courage est pour les Romains une qualité secondaire dans ce domaine ; ou plus exactement ils l'interprètent comme une vertu guerrière et non à proprement dire martiale. Car ce dont Rome est le plus fier à propos de ses légions, c'est qu'elles ne sont pas, contrairement à nombre des adversaires qu'elle rencontre, un agrégat lâche de guerriers formés pour ainsi dire « sur le tas », mais une force de soldats professionnels organisés attribuant sans hésitation ses succès à la discipline et à l'entrainement. Bien sûr une âme ferme est nécessaire au légionnaire, mais celui-ci doit avant tout se dévouer à la cohésion du groupe au sein duquel il se bat. Le courage est en quelque sorte la vertu par défaut des barbares : incapables d'imiter les Romains, ils doivent compenser cela par la force brute et le courage. Jules César écrit sur ces mêmes peuples belges : « ils se jettent au combat sans stratégie cohérente »[2][source insuffisante].

On retrouve là une ligne de fracture entre peuples « barbares » (littéralement non-romains), soumis à leurs passions, et « civilisés » (lire : gréco-romains), faisant usage de leur raison et dévoués à la gloire de leur cité plutôt qu'à la leur propre. Le passage cité ci-dessus se prolonge d'ailleurs ainsi : « ils se jettent au combat sans stratégie cohérente, se vendent au plus offrant, renient leurs engagements selon leurs fantaisies, ne montrent aucune prudence lorsqu’ils exposent leurs femmes et enfants aux représailles de l’occupant, sont dirigés par des chefs qui les exploitent sans pitié, etc. »[3][source insuffisante]. Plus loin dans son ouvrage, il présente les Belges qu’il a vaincus comme des individus déloyaux et des traîtres et les nomme à plusieurs reprises « barbares » [4]. Pourtant, l'archéologie moderne contredit César : les Belges n'étaient nullement arriérés sur le plan matériel, ils ont même introduit les premières pièces de monnaie en Angleterre[5].

Par ailleurs, la notion de courage est aussi parfois rattachée à des officiers ou soldats romains et utilisée de manière méliorative[6], ce qui tempère la position évoquée ci-avant concernant l'usage univoquement dépréciatif qui en est faite par César[6].

Lorsque César écrit les Commentaires sur la Guerre des Gaules, il s’agit d’un moyen de propagande en sa faveur : la férocité des peuplades germaniques, la détermination bestiale des Belges à mourir plutôt qu'à se rendre,... Tout cela est une mine d’arguments particulièrement bienvenus pour valoriser la victoire de César[3]. On comprend donc mieux le poids des paroles de César, et « l'éloge de César » retrouve ainsi toute sa signification : celle du courage, qualité martiale forte qui valorise les Belges autant que César, mais qui implique la barbarie, de la sauvagerie et une part de bestialité[7]. Or toutes ces nuances dépréciatives disparaissent lorsqu’on retire la citation de sa phrase et de son contexte historique.

Quelles sont les populations réellement désignées par César ?[modifier | modifier le code]

Carte de la Gaule

Parmi les Bellovaques, les Suessions, les Nerviens, les Atrébates et la dizaine d'autres nations belges qui ont créé une vaste coalition d’opposition à César et ses alliés belges[8], seules trois ou quatre d’entre elles vivaient effectivement sur le territoire actuel de la Belgique[9]. En réalité, la plupart des tribus belges habitaient dans ce qui constitue aujourd’hui le nord de la France (jusqu’à la Seine et même la Loire selon Strabon et Posidonios, voir Belges et Armorique), le sud des Pays-Bas et la Rhénanie allemande[9]. Le territoire et les peuples concernés sont donc plus vastes que ceux de la Belgique actuelle. Il n'en reste pas moins que les Belges dont parle César sont effectivement "belges", d'autant plus que c'est César lui-même qui fit rentrer ce peuple dans l'Histoire et à la postérité. En réalité, l'historiographie belge à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle fait déjà cette distinction - et non cette confusion - entre Belges "antiques" et "modernes", supposant toutefois un certain héritage transmis des premiers aux seconds.

Références à cette citation[modifier | modifier le code]

Statue d'Ambiorix érigée sur la Grand-place de Tongres au XIXe siècle.

Dès la fin de l'Ancien Régime, les habitants des Pays-Bas autrichiens (qui se donnaient déjà le nom de Belges), cherchant dans le passé des traces du caractère propre de leur peuple, ont utilisé cette phrase pour le définir, sans se soucier du fait que les Belgae de César correspondaient lointainement aux Belges du XVIIIe siècle. Le premier à utiliser cette phrase dans ce but est Willem Verhoeven de Malines dans son Introduction générale à l'histoire de Belgique (1781)[10]. Charles-Lambert Doutrepont, une figure marquante de la Révolution brabançonne, fait également référence à la sentence de César dans ses écrits. Celle-ci sera largement utilisée pendant cette période[11].

Au XIXe siècle, la Belgique prit part au mouvement romantico-nationaliste qui gagnait l’Europe et cette définition élogieuse du peuple belge devint, dès cette époque, un des mythes fondateurs du Royaume de Belgique. Cette citation de Jules César, écartée de son contexte historique et retirée du reste de la phrase devint, pour les historiographes de la Belgique de l'époque, le fondement justifiant et légitimant l’indépendance de cet État[12]. Il s'agissait de se réclamer de la Gaule belgique, qui après avoir été conquise par Rome, et asservie durant dix-huit siècles, renaissait sous les traits du Royaume de Belgique et retrouvait ainsi sa place et son nom dans l'histoire. Par là même, les révolutionnaires de 1830 exaltèrent le souvenir glorieux de leurs ancêtres, et s'en réclamèrent, pour magnifier leur propre bravoure dans le combat pour leur liberté chérie.

S’il est vrai que César loue les « qualités martiales » du peuple belge, pour mettre en garde la société romaine contre la décadence de ses mœurs, il n’en reste pas moins que la citation de César a été réutilisée, on le comprend, dans un sens nationaliste par certains historiens belges du XIXe siècle. Ainsi ils ont procédé à des coupes dans le texte originel de César et ont donc escamoté la suite de la phrase à des fins idéologiques (voir ci-dessous), de sorte qu’on ne connait généralement plus que deux formes raccourcies de la citation initiale :

  • « De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus courageux » (Horum omnium fortissimi sunt Belgae)
  • « Les Belges sont les plus courageux » (Fortissimi sunt Belgae)
  • Formes qui ne peuvent paraître qu’élogieuses et qui donnent une description incomplète que César fait des Belges.

L’affirmation de la bravoure des Belges est, pour Baudouin Decharneux, une sorte « de prix de consolation visant à lever les angoisses d’un petit pays incapable de résister à quiconque et dont le plus grand titre de gloire fut d’adapter avec constance la fragilité de son existence aux tribulations de l’histoire[13] ». Elle s'inscrit par ailleurs parfaitement dans l'idée d'une Belgique martyrisée, « champ de bataille de l'Europe », où de la bataille de Waterloo à la Première Guerre mondiale les Belges ont toujours vaillamment défendu leur terre et leur prince, agressés par des ennemis bien plus puissants qu'eux.

Voici un exemple parmi tant d’autres de la mythologie nationaliste belge inculquée aux enfants : en 1931 V. Colbert écrit dans ses Leçons d’histoire aux élèves du degré moyen des Écoles Primaires : « Admirons la bravoure de nos ancêtres. L’union fait la force était déjà leur devise. A la voix de leur chef, ils ont marché contre les innombrables légions de César, ils ont arrosé de leur sang le sol sacré de la Patrie »[14]. La description de la conquête de la Gaule belgique est donc limitée à la bataille opposant les Légions romaines aux Nerviens, c’est-à-dire, au seul peuple plus ou moins réellement localisé dans l’espace territorial actuel du Royaume de Belgique[15].

L'intrigue de la bande dessinée Astérix chez les Belges (d'Albert Uderzo et René Goscinny) est basée sur cette citation de César.

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Jules César, Commentaires sur la Guerre des Gaules, livre premier, 1.
  2. Pour un texte synthétique sur la place du courage et de la discipline, voir L. Henninger et T. Widemann, Comprendre la guerre - Histoire et notions, III, 2, "la virtus". Pour une étude et une réflexion sur la place de la distinction opérée entre le barbare impulsif et l'homme civilisé dans l'idéologie romaine, voir l'œuvre de Peter Heather (en)
  3. a et b Decharneux 1995, p. 22.
  4. Jules César, Commentaires sur la guerre des Gaules, Livre V, XXXIV, etc.
  5. Stephen Oppenheimer The Origins of the British, p.12
  6. a et b Jules César, Commentaires sur la guerre des Gaules (lire en ligne), L.5, XLIV; L.7, XIX: L3, XX
  7. Pour Baudouin Decharneux, la « bravoure » des Belges serait « une composante de leur condition de barbares », de « sauvages indomptés » et « bestiaux » (cf. Decharneux 1995, p. 22).
  8. Plusieurs tribus belges, tels les Rèmes ou les Éduens, se sont alliées à César pour l'aider à envahir la Gaule belgique
  9. a et b Decharneux 1995, p. 25.
  10. Stengers 2000, p. 16-17.
  11. Stengers 2000, p. 140-141.
  12. Decharneux 1995, p. 21.
  13. Decharneux 1995, p. 31.
  14. V. Colbert, Leçons d’histoire aux élèves du degré moyen des Écoles Primaires et des sections préparatoires des Écoles moyennes, Lambert-de-Roisin, Namur, 1931
  15. Decharneux 1995, p. 28.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Articles connexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Baudouin Decharneux, « De tous les peuples de la Gaule les Belges sont les plus braves », dans Anne Morelli, Les Grands Mythes de l'histoire de Belgique, de Flandre et de Wallonie, Bruxelles, éditions Vie Ouvrière, (ISBN 2-87003-301-X), p.21-33.
  • Jean Stengers, La déconstruction de l'État-nation : Le cas belge, in Vingtième Siècle. Revue d'histoire, no. 50 (Avril-juin 1996), p. 36-54.
  • Jean Stengers, Histoire du sentiment national en Belgique : Les racines de la Belgique jusqu'à la Révolution de 1830, Bruxelles, Racine, , 304 p. (ISBN 978-2-87386-218-3)
  • Eliane Gubin et Jean Stengers, Histoire du sentiment national en Belgique : Le grand siècle de la nationalité belge 1830-1918, Bruxelles, Racine, , 240 p. (ISBN 978-2-87386-249-7)
  • Sébastien Dubois, L'invention de la Belgique : genèse d'un Etat-nation, 1648-1830, Bruxelles, Racine, , 440 p. (ISBN 2-87386-402-8)
  • Herman van der Linden, « Histoire de notre nom national », Bulletin de la classe des lettres et des sciences morales et politiques (Académie Royale de Belgique), vol. 16, no 5,‎ , p. 160-174
  • (en) Joseph Theodoor Leerssen, « Image and Reality - Belgium », dans Europa Provincia Mundi, Amsterdam, Joseph Theodoor Leerssen & Karl Ulrich Syndram, , 281-292 p. (ISBN 9051833814)