Guet-apens d'Oraison

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Le guet-apens d'Oraison est un épisode le la Résistance française pendant la Seconde Guerre mondiale, monté par la Sipo-SD de Marseille le à Oraison et qui lui a permis de démanteler entièrement le Comité de libération des Basses-Alpes[1], un mois avant le débarquement de Provence.

Contexte[modifier | modifier le code]

En prévision d'un débarquement allié en France, la Résistance s'organise pour être en mesure de ralentir une contre-offensive allemande et préparer la libération du pays, désormais probable. Cette organisation passe par la coordination sinon la fusion des mouvements de résistance. Au début de 1944, elle a très largement progressé. Le , une ordonnance d'Alger crée dans chaque département une structure de résistance civile, le Comité départemental de libération (CDL), les Forces françaises de l'intérieur (FFI) devenant la structure de résistance militaire.

Dans les Basses-Alpes, Louis Martin-Bret est chargé de constituer et de présider le CDL. Résistant de la première heure, il s'est imposé comme un organisateur et un chef respecté. En même temps, Alger et Londres augmentent très fortement les parachutages d'armes et de personnels de formation et d'encadrement pour les maquis.

Trahison d'un officier[modifier | modifier le code]

C'est ainsi qu'un officier, Maurice Seignon de Possel-Deydier, est parachuté dans la Drôme en . C'est un spécialiste des opérations de sabotage, formé en Algérie, dont la mission principale est de former et coordonner les maquis. Il prend le pseudonyme de « Noël ». Sa qualité d'officier et sa mission lui valent la confiance des chefs de la Résistance.

Il propose au chef-adjoint de la Sipo-SD de Marseille, Ernst Dunker, de lui livrer, contre la somme de deux millions de francs[2], les renseignements permettant de démanteler toutes les organisations de résistance en Provence. Ce sont ces renseignements qui vont permettre à la Gestapo de se saisir du CDL en montant un guet-apens à Oraison.

Le guet-apens[modifier | modifier le code]

Le , un détachement allemand s'installe dans un hameau d'Oraison. Le vers 10 h 30, plusieurs camions amènent des résistants qui se positionnent aussitôt aux différentes entrées d'Oraison. Les habitants croient qu'ils viennent capturer le poste allemand. Il s'agit en fait de soldats de la division Brandenburg, supplétifs de l’armée allemande parlant français, déguisés en maquisards. Les habitants, trompés, leur font bon accueil.

Une réunion du CDL a été organisée pour l'après-midi dans un bar d'Oraison. Les participants arrivent séparément. Certains sont étonnés de voir des maquisards en si grand nombre et qu'ils ne reconnaissent pas. Ils rebroussent chemin et se mettent en observation à distance. D'autres pénètrent dans Oraison. Ils se sentent en sécurité. Un membre du CDL, Émile Latil, se rend à la mairie, lacère le portrait du maréchal Pétain et réinstalle le buste de Marianne.

Vers 15 h, une fusillade éclate et les résistants sont arrêtés. Ceux qui n'ont pas voulu pénétrer dans le bourg entendent les coups de feu, croient leurs camarades en danger et accourent pour leur porter secours. Ils sont arrêtés à leur tour, ainsi que des civils qui ont manifesté leur sympathie pour la Résistance.

Les victimes[modifier | modifier le code]

Les six membres du CDL des Basses-Alpes arrêtés sont :

  • Louis Martin-Bret, alias « Michel », 46 ans, né le à Marseille, conseiller général socialiste de Manosque révoqué, directeur des silos et coopératives des Basses-Alpes, chef départemental des MUR, président du CDL ; un boulevard porte son nom à Digne et à Manosque et une place à Forcalquier.Un lycée professionnel à Manosque porte également son nom.
  • Marcel André, alias « Antoine », 44 ans, né le à Enchastrayes, socialiste, instituteur à Sigonce, membre de la direction départementale du Front national, chef de l'Armée secrète devenu corps francs de la libération (CFL), membre du CDL au titre de la CGT ; une avenue à Forcalquier porte son nom qui est aussi gravé à Sigonce sur une plaque dans l'école et sur le monument aux morts.
  • François Cuzin, alias « Étienne », 29 ans, né le à Dolomieu, ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de philosophie, professeur au lycée de Digne, chef départemental du réseau Franc-Tireur et du service de renseignements des MUR, représentant les MUR au CDL ; une avenue de Digne porte son nom, qui est gravé au Panthéon de Paris sur la liste des écrivains morts pour la France.
  • Maurice Favier, alias « Élan », 27 ans, né le à Marseille, adjoint aux commissaires de bord, représentant le PCF ; une rue de Marseille porte son nom, qui est gravé au Panthéon de Paris sur la liste des écrivains morts pour la France[3].
  • Émile Latil, 27 ans, né le à Marseille, représentant le Front national ; une rue d'Oraison porte son nom.
  • Jean Piquemal, alias « Jacqueline », né le à Saint-Raphaël, pharmacien de l'hôpital de Draguignan, révoqué car franc-maçon, réfugié à Digne, chef adjoint des MUR, responsable des NAP[4], représentant des MUR au CDL ; une place de Draguignan porte son nom.

Onze autres personnes sont aussi arrêtées, résistants et habitants d'Oraison, dont deux jeunes filles agents de liaison de la Résistance ; parmi elles :

  • Léon Agnel, alias « Dambois», 32 ans, né le à Oraison, agent FFI (section AS), participe à plusieurs parachutages et transports d'armes, tombera sous les balles allemandes, lors de la libération de N.D. de La Garde à Marseille le .
  • Roger Chaudon, 36 ans, né le aux Milles, directeur de la coopérative agricole d'Oraison, sous-lieutenant FFI dans la Section atterrissage parachutage (SAP) à Oraison[5], adjoint de René Char pour les parachutages dans le secteur de Forcalquier[6] ; une rue d'Oraison porte son nom.
  • Dr André Daumas, 44 ans, né en 1900 à Riez, médecin à Oraison
  • Dr Léon Dulcy, 32 ans, né le à Avignon, médecin à Bras-d'Asse, responsable des parachutages du SOE dans le secteur sud des Alpes
  • Terce Rossi, 29 ans, né le [7]
  • Roger Salom, agent de liaison FTP des Basses-Alpes.

Les dix-huit personnes arrêtées sont aussitôt conduites[8] au siège de la Gestapo à Marseille pour être interrogées, sans doute sous la torture[9]. Trois jours plus tard, le , les six membres du CDL et les cinq autres prisonniers ci-dessus sont amenés à Signes, avec vingt-cinq autres résistants détenus par la Gestapo à Marseille. Ils sont tous massacrés dans le Vallon des Fusillés, là où se trouve maintenant la Nécropole nationale de Signes.

Les onze victimes du guet-apens d'Oraison reposent dans cette nécropole ou pour certains dans leur sépulture familiale, comme François Cuzin à Dolomieu.

Les suites du guet-apens[modifier | modifier le code]

Le démantèlement du CDL, pas plus que l'exécution d'un grand nombre d'autres chefs de la Résistance de la région, livrés aussi par Seignon, n'a eu les conséquences que pouvaient espérer les Allemands. L'organisation et la coordination des mouvements sont devenus tels au printemps 1944 que les chefs exécutés sont remplacés par leurs adjoints. Le débarquement de Provence continue à être préparé et les maquis de Provence vont jouer tout leur rôle dans les combats. La libération des villes a lieu dans les jours qui suivent le débarquement, le à Digne, Forcalquier, Oraison, le 20 à Manosque. Joseph Fontaine, adjoint de Jean Piquemal, successeur de Martin-Bret à la présidence du CDL, est mis en place le par le commissaire de la République Raymond Aubrac à la tête de la délégation spéciale chargée d'administrer Digne, avant d'en être élu maire. Le charnier de Signes est découvert en et les martyrs d'Oraison de la Gestapo commencent à y être honorés.

Maurice Seignon, alias « Erick » pour la Sipo-SD, a fourni à cette dernière les renseignements qui ont entraîné l'exécution de nombreux autres chefs de la Résistance. Dunker qui méprise son indicateur (« J'avais de l'aversion pour ce traître. C'était un individu méprisable », déclare-t-il lors de son procès) l'abat lui-même le dans le quartier des Baumettes à Marseille[10]. Dans un premier temps, Seignon passe pour un résistant abattu par la Gestapo[11]. Sa trahison est bientôt connue grâce au rapport Antoine[12] du , établi par la Gestapo, retrouvé à Marseille. Elle a aussi été racontée par Dunker lors de son procès[10]. Ce dernier sera arrêté à Paris en , condamné à mort à Marseille le pour crimes de guerre[13] et exécuté à Marseille le .

Sources[modifier | modifier le code]

  • Histoire d'Oraison, "Les fusillés de Signes", en ligne sur le site de l'Office de tourisme de la ville d'Oraison
  • Signes, haut lieu de la Résistance provençale, "Le charnier du Vallon des Fusillés"
  • Le Var, la guerre, la Résistance, 1939-1945, Jean-Marie Guillon, ,CRDP, Nice, 1984 (ISBN 2-86629-025-9)
  • Un flic chez les voyous, Jean-Pax Méfret, 2009, Flammarion
  • "Ernst Dunker et la Gestapo de Marseille", Nicolas Balique et Vladimir Biaggi, 2016, Vendémiaire

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Aujourd'hui département des Alpes-de-Haute-Provence
  2. Cf. Jean-Pax Méfret.
  3. Bien que mort très jeune, Maurice Favier a laissé près de 200 poèmes, dont beaucoup sur la Résistance. V. Rolland Grimaldi, "Maurice Favier", p. 228-233, Anthologie des écrivains morts pour la France, 1939-1945, préface du maréchal Juin, 795 p., Albin Michel, Paris.
  4. Réseau Noyautage des administrations publiques
  5. Le fonds René Char à la bibliothèque Jacques Doucet conserve le texte d'une citation militaire de Roger Chaudon.
  6. Le poète René Char, alias « capitaine Alexandre » dans la Résistance, chef des SAP pour les Basses-Alpes, avait une vraie sympathie pour Roger Chaudon. Il a écrit dans Feuillets d'Hypnos : « Roger Chaudon qui était l'ami des blés et qui avait aménagé le silo à blé d'Oraison en forteresse des périls » ou encore « Peu de jours avant son supplice, Roger Chaudon me disait : "Sur cette terre, on est un peu dessus, un peu dessous." »
  7. Les dates et lieux de naissance sont extraits du fichier de la nécropole nationale de Signes.
  8. La Résistance, alertée par une résistante agent de liaison qui avait pu s'échapper d'Oraison, a tenté d'intercepter le convoi mais sans y parvenir ; v. le site Sigonce 04, article sur Marcel André.
  9. Maurice Percivalle, témoin qui a pu observer à Signes les victimes du 18 juillet lorsqu'elles devaient creuser leur tombe, a rapporté que plusieurs hommes étaient ensanglantés.
  10. a et b V. Jean-Pax Méfret.
  11. « Un héros marseillais », Le Populaire du Sud-Est, 1er octobre 1944
  12. V. Témoins de la Résistance, intérêt du témoignage en histoire contemporaine, Madeleine Beaudoin, p. 523-536, 1977
  13. V. Ils furent des hommes, C.L. Flavien, annexe n° 8 : Procès Dunker-Delage, rapport du commissaire principal G. Broussou.