Gino Bartali

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Bartali
Gino Bartali pendant le Tour de France 1938
Informations
Naissance
Décès
Sépulture
Nationalité
Distinctions
Équipes professionnelles
1935Frejus
1936-1943Legnano
1945-1948Legnano
1949-1954Bartali
Principales victoires

5 grands tours
Tour de France 1938 et 1948
Tour d'Italie 1936, 1937 et 1946
9 classiques
Milan-San Remo 1939, 1940, 1947 et 1950
Tour de Lombardie 1936, 1939 et 1940
Championnat de Zurich 1946 et 1948
9 classements annexes de grands tours
Meilleur grimpeur du Tour de France 1938 et 1948
Meilleur grimpeur du Tour d'Italie 1935, 1936, 1937, 1939, 1940, 1946 et 1947
4 courses à étapes
Tour du Pays basque 1935
Tour de Suisse 1946 et 1947
Tour de Romandie 1949
4 championnats nationaux

Champion d'Italie sur route 1935, 1937, 1940 et 1952

Gino Bartali (né le Modèle:Date sport à Ponte a Ema, près de Florence en Italie - mort le Modèle:Date sport) est un coureur cycliste italien, professionnel de 1935 à 1954. Excellent grimpeur, il a notamment gagné trois Tours d'Italie (1936, 1937, 1946) et deux Tours de France (1938, 1948). Sa foi chrétienne et la manifestation de celle-ci lui ont valu le surnom « Gino le pieux ». Grand adversaire de Fausto Coppi, leur rivalité a divisé l'Italie dans l'immédiat après-guerre.

Biographie

Jeunesse et carrière amateur

Maison natale de Gino Bartali à Ponte a Ema.

Gino Bartali naît le Modèle:Date sport à Ponte a Ema, près de Florence. Son père, Torello, est terrassier. Il a deux sœurs aînées et un frère cadet, Giulio[1].

À partir de l'âge de 13 ans, Gino Bartali est réparateur de bicyclette à la boutique de cycles d'Oscar Casamonti, à Florence. Ce dernier est également coureur cycliste indépendant. Il découvre les prédispositions du jeune Gino pour ce sport, alors que celui-ci ne possède pas encore de vélo de course, son père y étant réticent. Grâce à ses économies et avec l'aide de Casamonti, il parvient à en acheter un. Il est déjà considéré comme un bon espoir dans la région[2] lorsqu'en juillet 1931 il dispute et remporte sa première course. Cette victoire lui est aussitôt retirée : ayant fêté ses 17 ans la veille, il n'aurait pas dû participer à cette course. Son père finit par céder devant l'insistance de Casamonti et Gino Bartali dispute ses premières courses officielles en catégories débutants. Il rejoint « L'Aquila », club du village, et obtient de nouvelles victoires. Il devient une « vedette locale », si bien que le club lui adjoint un secrétaire. En 1932, il est troisième du championnat d'Italie des débutants et une rivalité s'installe avec Aldo Bini, considéré alors comme le meilleur Italien dans cette catégorie[3]. Au championnat d'Italie juniors en 1933, Bartali bat Bini au sprint pour la deuxième place. En mai 1934, une chute lors d'une course à Grosseto lui cause une commotion cérébrale et une fracture du nez. Il reste un jour dans le coma. Cet accident le rendra réticent à disputer les sprints à l'avenir, et l'amènera à subir une opération chirurgicale au nez en 1937. Durant l'automne 1934, il revient à Grosseto et y accomplit un exploit en terminant deuxième d'une course dont il a pris le départ 18 minutes après les autres coureurs. Il gagne la course de montagne Bassano-Monte Grappa et le championnat de Toscane. Désirant se mesurer aux professionnels, il s'inscrit au Grand Prix Fiume à Turin. Il arrive dans le groupe de tête au vélodrome, accélère, se retrouve seul et gagne la course sans s'en rendre compte, croyant qu'il lui reste encore un tour. Cette victoire, comme la première trois ans plus tôt, lui est retirée car il n'est pas Piémontais. Il s'est néanmoins montré au niveau des professionnels. Il gagne sa dernière course chez les amateurs à Ponte a Ema avec 17 minutes d'avance. Il passe dans la catégorie des indépendants en décembre, puis est recruté par la société Frejus[4].

Début de carrière professionnelle

Learco Guerra

L'équipe Frejus dans laquelle Gino Bartali devient coureur professionnel a pour leader Giuseppe Martano, deuxième du Tour de France 1934. La première course importante à laquelle participe Bartali est Milan-San Remo. Il compte deux minutes de retard sur la tête de la course à Voltri et parvient à revenir sur celle-ci en suivant Learco Guerra, retardé par une chute. Au Capo Cervo, il profite d'un passage à niveau dont les barrières se baissent pour s'échapper. Il compte jusqu'à deux minutes d'avance. Cependant, son dérailleur se bloque, ce qui l'empêche de changer de vitesse. Il est rejoint à huit kilomètres de l'arrivée par Giuseppe Olmo, Learco Guerra et Mario Cipriani. À l'arrivée, Bartali ne dispute pas le sprint et prend la quatrième place derrière ces derniers. Il gagne le prix du plus bel animateur de la course et reçoit les éloges de La Gazzetta dello Sport. Il est sélectionné pour disputer en mai le Tour d'Italie, avec un rôle de « porteur d'eau » de Giuseppe Martano. Il remporte la première étape de montagne, à L'Aquila, après avoir distancé tous les autres coureurs au col de Capanelle. Il continue de s'illustrer en montagne mais perd du temps lors des contre-la-montre. Il termine à la septième place du classement général et s'adjuge le Grand Prix de la montagne. Peu après ce Giro, il gagne le Critérium des Nations à Turin, puis le Grand Prix de Reuss en Espagne. Il termine troisième du Critérium du Midi, en France, en aidant son coéquipier Antonio Negrini à s'imposer. En août, il triomphe à nouveau en Espagne au Circuit de Montjuich et au Tour du Pays basque, montrant dans cette course ses « qualités de grimpeur, rouleur et sprinter ». En fin de saison, il remporte le titre de champion d'Italie. Celui-ci est décerné sur la base d'un classement par points, attribués lors de courses d'un jour. Parmi elles, Bartali est notamment vainqueur de la Coppa Bernocchi, deuxième du Tour de Lombardie et du Tour de Romagne. Lors de cette course, Learco Guerra, lauréat des cinq derniers titres de champion d'Italie, reconnaît en Bartali le nouveau champion national et lui fait cette proposition : « Tu vas me laisser gagner cette dernière épreuve et, l'an prochain, je serai ton domestique. » Bartali accepte et rejoint Guerra en 1936 dans l'équipe Legnano, dirigée par Eberardo Pavesi[5].

Première victoire au Tour d'Italie

En 1936, Bartali obtient un premier résultat en avril, en terminant quatrième du Tour de Toscane. Le mois suivant, il est aligné au Tour d'Italie. Il bénéficie du travail de ses équipiers de Legnano dès la première étape, lors de laquelle il casse une roue, pour faire face à l'équipe Bianchi de Giuseppe Olmo. Ce dernier et Aldo Bini portent le maillot rose durant les huit premières étapes. Comme l'année précédente, Bartali s'impose lors de la première étape de montagne, en arrivant seul à L'Aquila avec plus de cinq minutes d'avance. Il prend la tête du classement général, avec plus de six minutes d'avance sur Severino Canavesi et près de neuf sur Olmo. Celui-ci refait une partie de son retard en gagnant sept étapes durant la suite de ce Giro. Bartali perd du temps en contre-la-montre, mais gagne deux autres étapes et conserve le maillot rose. Il s'impose devant Olmo et Canavesi, et remporte également le classement de la montagne[6]. Quelques jours après ce succès, son frère Giulio, coureur amateur prometteur, meurt des suites d'une chute en course. Gino Bartali décide alors d'arrêter le cyclisme. Il ne reprend la compétition qu'à la fin du mois de juillet. En septembre, il dispute le championnat du monde sur route. Le comportement de Bartali et Bini, respectivement septième et deuxième de cette course, est fustigé par la presse italienne, qui leur reproche de s'être contrés et empêchés mutuellement de remporter le titre. Après avoir remporté avec Leandro Guerra le Circuit milanais, disputé en binôme, Bartali termine sa saison en gagnant le Tour de Lombardie[7].

Deuxième victoire au Giro et première participation au Tour de France

En début d'année 1937, alors que Gino Bartali prépare Milan-San Remo, un médecin lui diagnostique une bronchopneumonie et juge son état « alarmant ». Il guérit toutefois de cette maladie. À court d'entraînement, il prend le départ du Tour d'Italie. « Prudent » et en « rodage » les premiers jours, il porte une première fois le maillot rose grâce à la victoire de Legnano en contre-la-montre par équipes, puis prend définitivement la première place du classement général, grâce à une nouvelle victoire en montagne, au mont Terminillo. Il gagne trois autres étapes, le classement de la montagne et s'impose au classement général avec plus de huit minutes d'avance sur Giovanni Valetti. Après cette nouvelle victoire, il est appelé à disputer pour la première fois le Tour de France. Il décline d'abord cette invitation, suivant les conseils de ses médecins, puis se résigne à participer à la « grande boucle », pressé par une « campagne diffamatoire » du Popolo d'Italia[8]. Il est considéré comme l'un des favoris de ce Tour. Après avoir passé sans encombres les premières étapes, et notamment les pavés du nord de la France, il s'illustre lors de l'ascension du Ballon d'Alsace en distançant tous ses adversaires. Il est deuxième de l'étape, n'ayant pu rattraper l'Allemand Erich Bautz, échappé plus tôt. Après cette étape, Henri Desgrange, directeur du Tour, écrit dans L'Auto : « Je me moque du classement, je n'ai jamais rien vu d'aussi beau que Bartali dans le Ballon d'Alsace. » Troisième ex æquo à Aix-les-Bains, il s'impose à Grenoble lors de la principale des Alpes. Il passe seul en tête au col du Galibier, puis est aidé par son équipier Francesco Camusso. Il joint l'arrivée avec près de deux minutes d'avance sur ce dernier, et davantage sur tous ses adversaires. Il revêt pour la première fois le maillot jaune. Lors de l'étape suivante, il chute avec ses équipiers Rossi et Camusso dans une descente humide, entre Embrun et Briançon. Tombé dans un torrent en contrebas, il lui faut plusieurs minutes pour reprendre la route, aidé par Camusso. Il arrive à Briançon avec dix minutes de retard mais garde le maillot jaune. Diminué, il passe à la sixième place du classement général lors de l'étape suivante et perd encore du temps les jours suivants. Il se retire de la course sur ordre de son directeur technique. En septembre, il est à nouveau champion d'Italie et remporte le Tour du Piémont. Au Tour de Lombardie, il fait l'erreur de ne pas prendre l'attaque de Bini au sérieux et prend la deuxième place, arrivant cinq minutes après ce dernier[9].

Première victoire au Tour de France

Septième de Milan-San Remo 1938, Bartali renonce à participer au Tour d'Italie 1938 afin de se préparer au Tour de France. Il est poussé en ce sens par le pouvoir politique italien, et l'opinion répandue alors selon laquelle il n'est pas possible de gagner les deux grands tours la même année[10].

Volontairement en retrait en début d'épreuve, Bartali occupe la 18e place du classement général au départ de la première étape de montagne, à sept minutes du maillot jaune André Leducq[11],[12]. Lors de cette journée entre Pau et Luchon, il « s'envole » dans l'ascension du col d'Aubisque. Suivi d'Edward Vissers, il passe le col avec six minutes d'avance sur Antonin Magne, plus de huit sur Leducq. Aux cols de Tourmalet et d'Aspin, il accroit encore cette avance, et est virtuellement maillot jaune. Il perd cependant une partie importante de son avantage dans la descente à cause d'une crevaison, d'une brisure de roue et d'une chute. Dépassé par Félicien Vervaecke et Vissers, il est troisième de l'étape et deuxième du classement général, à deux minutes de Vervaecke. Lors de l'étape suivante, il attaque à l'approche du portet d'Aspet, seule difficulté du jour, et y obtient la bonification en temps attribuée au premier. Il est rattrapé dans la descente par un groupe de coureurs. Lors du contre-la-montre entre Béziers et Narbonne, il perd près de quatre minutes sur Vervaecke, vainqueur, puis il prend une minute de bonification en gagnant au sprint à Marseille[13]. Lors de l'étape Digne-Briançon, Bartali obtient un « succès éclatant »[14]. Il attaque une première fois à 400 mètres du col d'Allos, puis est repris dans la descente. Une nouvelle attaque au col de Vars lui permet de créer un écart plus grand. La descente est marquée par de nombreuses crevaisons, dont une pour Bartali, trois pour Vervaecke et Cosson. Au col d'Izoard, Bartali accroît son avance pour passer la ligne d'arrivée avec cinq minutes d'avance sur ses poursuivants. Il prend la tête du classement général avec 18 minutes d'avance sur le deuxième, Clemens[15]. À l'arrivée, de nombreux supporters italiens acclament la victoire de Bartali. Le général Antonelli, président de la fédération de cyclisme, y écarte la foule en s'écriant : « N'y touchez pas, c'est un Dieu ! »[16]. Entre Briançon et Aix-les-Bains, Vervaecke et ses équipiers tentent de distancer Bartali, qui se retrouve sans équipier après le col de l'Iseran à cause de crevaisons. Les Belges n'y parviennent pas et Bartali termine l'étape avec eux. Il gagne la dernière bonification du Tour en passant en tête au col de la Faucille lors de l'étape suivante. Il est ainsi arrivé premier lors de neuf des douze ascensions attribuant des bonifications. Il gagne ce Tour de France avec 21 minutes d'avance sur Vervaecke, deuxième[17].

1939-1940 : émergence de Fausto Coppi

En début d'année 1939, Gino Bartali remporte Milan-San Remo. Il gagne le Tour de Toscane en avril. Au Tour d'Italie, il porte une première fois le maillot rose après avoir gagné au sprint la deuxième étape, à Gênes. Il le perd lors de l'étape suivante, accusant un retard de onze minutes à cause d'une crevaison. Il gagne le deuxième secteur de la neuxième étape, à Florence, puis la quinzième, à Trente, dans les Dolomites. Il y reprend le maillot rose et compte alors deux minutes d'avance sur Giovanni Valetti, à deux étapes de l'arrivée. Encore retardé par une crevaison, il perd le maillot rose au profit de Valetti lors de l'étape suivante. Il remporte au sprint la dernière étape, à Milan, et termine deuxième de ce Giro[18].

En juin, Bartali s'impose au Tour du Piémont, qui révèle le jeune Fausto Coppi, coureur indépendant, attaquant et troisième de la course[19]. Il ne peut défendre son titre au Tour de France, les coureurs italiens, comme les Allemands, n'y participant pas[20],[21],[22]. Bartali termine sa saison en dominant le Tour de Lombardie en octobre[23].

L'année 1940 voit Fausto Coppi faire ses débuts professionnels au sein de l'équipe Legnano, aux côtés de Bartali. Il est une aide précieuse pour la victoire de ce dernier lors de la classique Milan-San Remo en début de saison. Après avoir contesté la tactique proposée par Bartali et obtenu gain de cause du directeur d'équipe Eberardo Pavesi, Fausto Coppi respecte son engagement en poursuivant toutes les échappées, jusqu'à épuisement. Bartali gagne également le Tour de Toscane en ce début d'année[24].

Le Tour d'Italie, qui part de Milan le 19 mai, est annoncé comme un duel entre Bartali et Giovanni Valetti, et leurs équipes respectives, Legnano et Bianchi. Lors de la deuxième étape, Bartali tombe dans la descente du col de la Scoffera en voulant éviter un chien, et arrive avec plus de cinq minutes après le vainqueur, Pierino Favalli. Bien qu'un médecin lui prescrive un repos de cinq jours après avoir constaté une hémorragie interne au genou, Bartali continue la course. Deux jours plus tard, Coppi est autorisé à se lancer seul à la poursuite des échappés et accède à la deuxième place du classement général. Il prend le maillot rose à l'issue de la onzième étape, qu'il gagne à Modène. Alors que Bartali, toujours souffrant et perdant du temps de jour en jour, songe à abandonner, il est convaincu par Pavesi de continuer en se mettant au service de Coppi. Lors de la 17e étape, les deux coureurs s'échappent en début de parcours et passent ensemble les cols du Falzarego, du Pordoi et de la Sella, non sans se mettre mutuellement à l'épreuve. Bartali gagne l'étape et Coppi garde le maillot rose. Bartali s'impose à nouveau lors de la 19e étape, Vérone. Coppi gagne ainsi son premier Giro, lors de sa première participation. Bartali termine à la neuvième place et gagne le Grand Prix de la montagne[25].

En remportant le Tour de Campanie, en juillet, puis le Grand Prix de Rome, Bartali conforte sa première place au championnat d'Italie et décroche son troisième titre. Il est autorisé par la fédération italienne à porter le maillot distinctif avant la dernière épreuve, le Tour de Lombardie. Bartali remporte cette course en dominant ses concurrents. Retardé par une roue endommagée au début de l'ascension du col de Ghisallo, il rattrape tous les coureurs qui le précèdent avant le sommet[26].

Bartali pendant la Seconde Guerre mondiale

Au cours de l'année 1940, les courses internationales et professionnelles se raréfient. Des coureurs sont mobilisés, les fabricants de cycles sont mis au service de l'industrie de guerre[27]. Henri Desgrange renonce à organiser un Tour de France avant même l'offensive allemande du mois de mai : l'impossibilité de longer la frontière italienne et d'approcher les villes portuaires, devenues zones militaires, réduisent le parcours à une « vessie dégonflée », et les transmissions téléphoniques et télégraphiques sont difficiles[28]. Les championnats du monde sur route prévu en août à Varèse sont annulés[29].

En 1941, Bartali est engagé dans l'aviation, puis dans le 60e bataillon territorial. Il obtient d'être messager à bicyclette afin de s'entraîner et est autorisé à disputer quelques courses. Il en gagne deux durant cette année[30]. C'est en 1941 qu'il prend conscience, selon ses mots du « danger Coppi ». Lors du Tour d'Émilie, celui-ci demande à pouvoir s'échapper en début de course, prétendant être malade et incapable de l'emporter. Il distance cependant son compagnon d'échappée, et n'est jamais rattrapé par Bartali[31].

La Villa Triste de Florence

Bartali est lauréat en 1942 d'un Tour d'Italie jugé aux points, lors de cinq courses disputées dans diverses régions italiennes. « Affecté à la garde des voies ferrées », puis à la police de la route à Florence en juillet 1943, il décide en septembre de « démissionner du corps qui était devenu un organe du parti politique ». Il quitte la ville et part près de Castello, dans les Apennins. Il est arrêté en novembre en voulant « chercher refuge au Vatican » et reste enfermé 45 jours. Alors qu'il doit être traduit devant un tribunal spécial de guerre, il bénéficie d'une liberté sous caution, payée par des amis. Les évènements lui sont favorables : « les tribunaux de guerre durent plier rapidement bagages et mon jugement n'eut jamais lieu ». De retour à Ponte a Ema, il participe à l'envoi de colis de vivres au Vatican, destinées à des populations dans le besoin. À la suite de l'interception d'un message du Vatican, il est convoqué à la Villa Triste de Florence. Il en ressort libre, grâce au « bons offices » de deux jeunes fascistes qui interviennent en sa faveur auprès du major qui l'interroge[32].

En 2003 et 2012, des recherches révèlent que Gino Bartali « a fait partie d'un réseau financé et abrité par le Vatican ». Il aurait ainsi contribué à sauver 800 Juifs en profitant de ses entraînements pour faire passer des documents falsifiés, cachés dans sa selle et son guidon [33],[34],[35]. En septembre 2013, le Mémorial de Yad Vashem lui décerne le titre de Juste parmi les nations en raison de cette activité[36].

Reprise des compétitions internationales

À la Libération, les compétitions cyclistes internationales reprennent progressivement. En 1945, Bartali gagne le Tour des quatre provinces, à Rome, et le Tour de Campanie, et se classe troisième du Tour de Lombardie[37]. Milan-San Remo en mars 1946 voit la participation des coureurs français. Coppi, passé à l'équipe Bianchi, devient un adversaire de Bartali, qui reste chez Legnano. Lors de cette course, Coppi s'échappe dès le départ avec le Français Lucien Teisseire. Il lâche ce dernier à mi-parcours et s'impose à San Remo en ridiculisant la concurrence[38].

Bartali gagne à Zurich et Oerlikon, en Suisse, puis se rend au départ du Tour d'Italie. Il prend le maillot rose lors de la treizième étape, entre Udine et Auronzo di Cadore, empruntant le Valico del Macerone, remportée par Fausto Coppi. Il conserve la première place jusqu'à l'arrivée à Milan et remporte ce Giro sans gagner d'étape, avec 47 secondes d'avance sur Coppi. Deux semaines plus tard, il domine le Tour de Suisse, gagnant outre le classement général, quatre étapes et le Grand Prix de la montagne[39].

En 1947, Bartali remporte en début de saison Milan-San Remo. Lors de cette édition rendue « incroyablement dure » par une tempête, Bartali est retardé à Novi Ligure par un bris de rayons, puis effectue « un retour magnifique dans les cent derniers kilomètres ». À 35 km de l'arrivée, il rattrape Ezio Cecchi, échappé en début de course et sur lequel il a compté treize minutes de retard. Bartali s'impose à San Remo avec 3 minutes d'avance[40].

En mai, il prend la deuxième place de la première édition du Tour de Romandie et se rend une semaine plus tard au départ du Tour d'Italie. Son coéquipier Renzo Zanazzi gagne la première étape et porte le maillot rose les trois jours de course suivants. Bartali s'impose lors de la deuxième étape à Gênes, puis récupère le maillot rose à l'issue de la quatrième étape, qui voit la victorie de Fausto Coppi. Il garde la première place pendant douze jours, jusqu'au soir de sa victoire à Pieve di Cadore (15e étape), dans les Dolomites. Lors de la seizième étape entre Pieve di Cadore et Trente, il est retardé par des problèmes de dérailleur et finit septième. Coppi réalise ce jour là un des plus grands exploits de sa carrière pour s'impose et prend définitivement la tête du classement général. Bartali gagne le Grand Prix de la montagne et est deuxième au classement général, à 1 min 43 de Coppi. Durant l'été 1947, le Tour de France reprend après 8 ans d'interruption. Bartali ne peut y participer car la Legnano s'y oppose[41]. S'étant engagé sur diverses courses à l'étranger, Bartali obtient de Learco Guerra, commissaire technique de l'équipe nationale, de ne pas disputer les épreuves de sélection en vue des championnats du monde sur route. Ce choix déplait à l'Union vélocipédique italienne, qui demande à Bartali de rentrer au pays. Accusé de « désertion», il reçoit un blâme. En août, il dispute le Tour de Suisse à la tête d'une équipe d'Italie, une seconde ayant Fausto Coppi pour leader. Bartali domine ses adversaires et remporte deux étapes et le classement général. Coppi termine cinquième, avec 40 minutes de retard[42].

1948 : deuxième victoire au Tour de France

En début d'année, Bartali met un point d'honneur à remporter le Tour de Toscane, où Coppi est venu le défier. Il termine le Tour d'Italie à la huitième place du classement général, troisième du classement de la montagne. Cette mauvaise performance est alors expliquée par Bartali par la priorité qu'il donne au Tour de France[43]. Il dira quelques années plus tard : « ce n'était pas vrai, mais il fallait bien trouver une excuse à ma défaite [44]! »

Dix ans après sa première victoire, Bartali retrouve le Tour de France au départ de Paris à la fin du mois de juin, avec l'équipe d'Italie dirigée par Alfredo Binda. Il endosse le maillot jaune dès la première étape, qu'il remporte de manière inattendue à Trouville-sur-Mer. D'abord « noyé » par les attaques, puis par l'orage, il accompagne Briek Schotte jusqu'à l'arrivée, où il le devance. Bartali abandonne le maillot jaune dès le lendemain. Après une semaine, au départ de la première étape pyrénéenne entre Biarritz et Lourdes, il est 24e du classement général, à vingt minutes du premier, le jeune Français Louison Bobet. Suivant le conseil de Binda, Bartali fait une course d'attente, et gagne l'étape en battant Bobet et Jean Robic au sprint. Il s'impose de la même manière le lendemain à Toulouse, après le franchissement des cols du Tourmalet, d'Aspin, de Peyresourde et des Ares. Il passe à la huitième du classement général. Lors des dixième et onzième étapes, Bobet, souffrant d'un furoncle à un pied, perd presque toute son avance et est près de quitter la course. Il surprend cependant ses adversaires le lendemain en s'imposant à Cannes. Bartali, qui a mésestimé Bobet et a été retardé par une crevaison, perd plus de cinq minutes et à 21 minutes et 28 secondes à rattraper[45].

Ce jour-là, en Italie, le leader communiste Palmiro Togliatti est victime d'un attentat et se trouve entre la vie et la mort. Au soir de l'étape, le Premier ministre Alcide de Gasperi téléphone à son ami Gino Bartali, qu'il a connu à l'Action catholique, et lui demande de gagner pour l'Italie. Sur la route menant au col de Vars, Bartali part seul. Dans la descente, il rejoint Robic, parti plus tôt dans l'ascension du col d'Allos, et le distance. Il effectue le reste de l'étape seul à l'avant, accroit son avance et s'impose à Briançon. Bobet passe la ligne avec 19 minutes de retard et son maillot jaune ne tient plus que pour une minute[46]. Le lendemain, entre Briançon et Aix, Bartali passe les cols du Lautaret, du Galibier, du Télégraphe et de la Croix de Fer dans un groupe de tête comprenant Bobet, Schotte, Lapébie. Il attaque dans l'ascension vers les col de Porte et sème définitivement ses adversaires. Il passe le Cucheron et le Granier et franchit la lignée d'arrivée à Aix avec sept minutes d'avance sur Bobet, qui perd le maillot jaune. Bartali remporte une troisième étape consécutive à Lausanne, le jour de ses 34 ans. Il s'assure la victoire finale lors de l'étape suivante : Bobet perd vingt minutes sur les favoris et abandonne la deuxième place à Schotte. Bartali s'adjuge une septième victoire d'étape à Liège, acclamé par les travailleurs italiens immigrés. Il gagne son deuxième Tour de France dix ans après le premier, avec une avance de 26 minutes 16 secondes sur le deuxième, Briek Schotte. Seul Coppi, en 1952, est depuis parvenu à gagner le Tour avec une avance supérieure.

Au championnat du monde à Fauquemont aux Pays-Bas, Bartali et Coppi s'observent durant la course et laissent plusieurs coureurs s'échapper, chacun des deux préférant s'assurer que l'autre ne gagne pas. Ils finissent par se retirer de la course, consternant leur public et leurs dirigeants. En septembre, la fédération italienne prononce une suspension de deux mois à leur encontre, puis annule cette décision en décembre[47].

1949 : dauphin de Fausto Coppi

En 1949, Bartali quitte la Legnano pour créer sa propre équipe, à son nom. Malgré la présence de Ferdi Kübler pour les courses en Italie, son effectif est de faible qualité. Gino Bartali connaît un début de Tour d'Italie difficile, diminué après avoir bu un bidon tendu par un spectateur. La victoire finale se joue lors de la 17e étape entre Cuneo et Pinerolo. Coppi reste échappé seul pendant 200 kilomètres et s'empare du maillot rose à l'arrivée. Bartali arrive deuxième et termine ce Giro à la même place, à 24 minutes de Coppi[48].

Après une difficile répartition des rôles au sein de l'équipe d'Italie, Bartali et Coppi prennent le départ du Tour de France à Paris[49]. Découragé après une chute entre Rouen et Saint-Malo, Coppi est au bord de l'abandon et remotivé par Bartali. Après la journée de repos, il remporte la septième étape, un contre-la-montre, à La Rochelle[50]. À Pau (10e étape), Magni gagne et prend le maillot jaune. Il le garde jusqu'à Cannes (15e étape), avant d'entamer les Alpes. Bartali gagne la seizième étape à Briançon et prend le maillot jaune. Le lendemain, Coppi et Bartali attaquent à nouveau ensemble, mais Bartali est retardé par une crevaison, puis une chute. Coppi gagne à Aoste et est à son tour premier du classement général. Il gagne encore l'avant-dernière étape, contre-la-montre, à Nancy, devant Bartali. Il remporte ce Tour devant Gino Bartali.

Saisons 1950 à 1952

En début d'année, Gino Bartali remporte au sprint Milan-San Remo et le Tour de Toscane. Il fait ainsi figure de favori au départ du Tour d'Italie[51]. Il en remporte la neuvième étape, dans les Dolomites, battant au sprint à Bolzano Ferdi Kübler et Hugo Koblet. Celui-ci s'impose au classement général, avec plus de 5 minutes d'avance sur Bartali, deuxième.

Coppi blessé lors du Tour d'Italie, Bartali est seul à la tête de l'équipe d'Italie au Tour de France. Les coureurs italiens gagnent cinq des neuf premières étapes. Lors de la onzième étape, entre Pau et Saint-Gaudens, Bartali passe le col d'Aubisque avec Kléber Piot, avec plus d'une minute de retard derrière un groupe formé par Louison Bobet, Ferdi Kubler, Stan Ockers et Meunier, tandis que Jean Robic fait la course seul en tête. Après avoir rejoint le groupe au col du Tourmalet, Bartali tombe avec Robic au col d'Aspin. Malgré cette chute, Bartali gagne l'étape en battant au sprint les huit coureurs qui l'accompagnent[52]. Parmi eux, son coéquipier Fiorenzo Magni prend le maillot jaune. Cependant, après l'arrivée, Bartali dit avoir été frappé lors de sa chute et annonce le départ de la course des coureurs italiens[53]. Le Tour repart ainsi le lendemain sans maillot jaune. Il est remporté par le Suisse Ferdi Kübler.

Lors du Tour d'Italie 1951, Bartali est très retardé lors de la première étape. Il figure mieux par la suite[54]. Alors qu'il refuse de disputer le Tour de France avec un rôle d'équipier pour Coppi, Bartali gagne le Tour du Piémont en faisant suffisamment impression pour obtenir une place équivalente à celle de Coppi au sein de l'équipe d'Italie. Ce Tour du Piémont est marqué par la mort de Serse Coppi, tombé en sprintant à l'arrivée. Comme Bartali quelques années plus tôt, Coppi perd son jeune frère en course[55].

Durant la première semaine du Tour, Bartali est notamment cinquième à Gand (2e étape) et septième du contre-la-montre à Angers (7e étape). Il prend la troisième place de la 14e étape, entre Tarbes et Luchon, derrière Koblet, nouveau maillot jaune, et Coppi. Ce dernier perd ses chances de gagner le Tour lors de la 15e étape. Epuisé, il arrive avec plus d'une demi-heure de retard à Montpellier. Lors de la 17e étape, le Tour emprunte pour la première fois le mont Ventoux. Bartali passe en deuxième position derrière Lucien Lazarides et prend la troisième place à Avignon. Il est ensuite deuxième à Gap, après être passé en tête au col de Sagnes. À l'arrivée à Aix-les-Bains, où Coppi s'impose, Bartali est quatrième du classement général. Le lendemain, bien que rattrapé par Koblet lors du contre-le-montre, il se classe septième de l'étape et assure sa place au classement général. Il termine à 19 minutes du vainqueur, Koblet[56].

Fausto Coppi lors du Tour de France 1952

Gino Bartali participe au Tour de France 1952 avec l'équipe d'Italie en s'engageant à tenir un rôle d'équipier pour Fausto Coppi. Celui-ci, vainqueur du Giro, refuse de voir Bartali dans son équipe s'il cherche comme lui à bien figurer au classement général, voire à gagner. Coppi gagne une étape contre-la-montre à Nancy durant la première semaine de course, puis prend le maillot jaune en gagnant à l'Alpe d'Huez (10e étape). Bartali est alors septième à près de 14 minutes. Coppi s'impose à nouveau lors de l'étape suivante, à Sestrières, où Bartali est cinquième. Entre Sestrières et Monaco, Coppi subit une crevaison et est dépanné par Bartali, qui lui donne une roue. Coppi bénéficie encore de l'aide de Bartali durant la suite de la course, et en retour lui délègue deux équipiers lorsqu'il est victime d'une chute. Bien qu'équipier, Bartali reste en course pour une place au classement général. Quatrième à Bagnères, il accède à la troisième place du classement général, puis perd une place à Pau. Il se classe troisième au puy de Dôme, où Coppi gagne sa cinquième étape sur ce Tour. Bartali termine quatrième du Tour de France, à plus de 35 minutes de Coppi, dont c'est la deuxième et dernière victoire sur cette course[57].

Par loyauté envers Bartali, Coppi ne cherche pas à menacer sa victoire au championnat d'Italie lors de la Coppa Bernocchi. Vainqueur auparavant du Tour d'Émilie et du Tour de la province de Reggio de Calabre, Bartali est en tête du classement par points. La neutralité observée par Coppi lui permet de se contenter de surveiller les trois coureurs dangereux pour le titre. 65e de la course, il obtient à 38 ans son deuxième titre de champion d'Italie[58].

Fin de carrière

En 1953, Bartali se classe quatrième du Giro, sans gagner d'étape mais en obtenant plusieurs places d'honneur. L'union vélocipédique italienne se soumet à l'ultimatum de Coppi, qui n'accepte de participer au Tour de France qu'à condition que Bartali n'y soit pas. Coppi renonce cependant à la « grande boucle », et Bartali se rend donc au départ de celle-ci, à Strasbourg, après avoir gagnéle Tour de Toscane. Au moment d'aborder les Pyrénées, Bartali est 29e du classement général, à 12 minutes du maillot jaune. Neuvième de l'étape Pau-Cauterets et sixième de Cauterets-Luchon, il passe à la douzième place du classement général. Il recule ensuite de cinq places entre les Pyrénées et les Alpes. Lors de l'étape Monaco-Gap, il s'échappe du peloton après 200 km de course, rattrape un groupe d'échappés et se classe deuxième. Le lendemain, tandis que Bobet effectue une longue échappée seul, Bartali est neuvième et assure une deuxième place au classement général[59].

Malgré la contre-performance de Coppi et Magni lors de la course de pré-sélection, Bartali n'est pas sélectionné pour le championnat du monde sur route, dont il avait reconnu le parcours à Lugano. Coppi y remporte le maillot arc-en-ciel[60].

Le 18 octobre, Gino Bartali est victime d'un accident de la circulation en se rendant en voiture avec un ami au Grand Prix Vanini à Lugano. Il souffre d'une fracture de l'apophyse des deux vertèbres lombaires et est opéré deux jours plus tard. Après avoir craint de ne plus pouvoir être cycliste professionnel, il reprend l'entraînement trois mois plus tard, puis la compétition en début d'année 1954. Il obtient quelques places d'honneur en début d'année puis participe au Tour d'Italie. Il est onzième du critérium des As, sa dernière course en France, et septième du Cirucit Cologne-Monzese, sa dernière course. Le 9 février 1955, il annonce la fin de sa carrière de coureur[61].

Morphologie, capacités et style de course

Gino Bartali mesurait 1,71 m, pour 67 à 68 kg[Notes 1]. Son pouls au repos était de 42 à 44 battements par minute et sa capacité pulmonaire de 5,5 litres : « Je n'ai jamais fait de ma vie un mouvement de culture physique. Ma poitrine est assez peu développée, car mes muscles sont longs. La capacité thoracique d'environ 5 litres ou 5 litres et demi est simplement moyenne pour un athlète[62],[63]. »

Grand grimpeur, il a obtenu ses principaux succès en montagne. Sur ce terrain, « où il est capable de produire des accélérations foudroyantes », il « écrase ses rivaux »[64]. Jean Routier le décrit ainsi pendant le Tour de France 1938 : « C'est le grand, le vrai champion de la montagne et nous sommes restés muets de stupeur devant son allure harmonieuse et puissante à la fois, devant la facilité inouïe de son style. On a beau évoquer le souvenir de tous les meilleurs grimpeurs, aucun d'eux n'a jamais fait pareille impression[11]. » Chany note qu'il « présente cette particularité peu banale d'augmenter soudain son développement au passage des forts pourcentages, alors que ses adversaires sont contraints à réduire le leur, manœuvre insolite qui lui permet de les laisser tous sur place[65]. » Le journaliste Raymond Huttier voit Bartali ainsi  :

« [Il] n'est pas de ces stylistes de la montagne, genre Binda, Vietto ou Antonin Magne, qui mettaient un point d'honneur à ne jamais se soulever de leur selle. Bartali met plus de fantaisie dans son action : il se déhanche quelquefois par saccades rapides, rester un moment bien en ligne, puis se met en danseuse et saute allègrement d'une pédale sur l'autre pour retomber, quelques secondes après, torse impeccablement droit, bien au milieu de sa selle ; un buste pas très large, mais très long et très épais et qui doit contenir certainement un puissant soufflet ; les cuisses solides avec un muscle arrière qui se détache très nettement dans la montagne, mais des jambes très menues avec des mollets de coq et des bras plus frêles encore ; au fond, le vrai type du champion routier, avec de bons poumons, un cœur solide, des bielles puissantes et pas de poids inutile[66]. »

Surnommé « l'homme de fer » pour sa résistance[67], « son endurance hors du commun le prédispose aux courses de longue haleine les plus exigeantes[68]. » Il a la particularité rare d'allier une supériorité en montagne avec des talents de sprinteur : « il était capable de battre les meilleurs finisseurs tels que Rik Van Steenbergen ou Guy Lapébie, dans le dernier kilomètre[68]. »

Bartali a eu une carrière remarquablement longue, ce qui lui a valu d'être surnommé « Il Vecchio » (« Le Vieux », en italien) durant ses dernières années d'activité. Sa longévité lui a permis de remporter deux Tours de France à dix ans d'intervalle, exploit qu'aucun autre coureur n'a réalisé. Entretemps, la Seconde Guerre mondiale l'a empêché d'étoffer son palmarès : sans cela, « il est probable qu'il possèderait le palmarès le plus riche en ce qui concerne les grands tours », selon Jean-Pierre de Mondenard[63].

Selon Jacques Augendre, « Bartali avait pris fermement position contre le dopage. En félicitant Poulidor pour sa victoire dans Milan-San Remo (1961), il lui donna ce conseil : « Ne touche pas aux stimulants et ne fréquente pas les pharmacies, sauf si tu as une angine ou une sinusite[68]. » Bartali narre toutefois comment il a cherché à connaître les techniques adoptée par Fausto Coppi, y compris des produits qu'il trouvait et dont il essayait de connaître la nature.

Gino le Pieux

Gino Bartali reçoit le surnom « Gino le Pieux » pendant le Tour de France 1937. Envoyé par le pouvoir fasciste à des fins de propagande, il s'y fait davantage remarquer par sa foi et son mysticisme : « les soirs d'étapes, il médite sur la vie de Sainte-Catherine de Sienne et les jours de repos, il va entendre la messe[69]. »

C'est à la suite de la mort de son frère Giulio en 1936 qu'il devient « mystique »[64] :

« L'émotion [...] provoqua en moi une métamorphose totale. J'avais été jusque là un homme assez libre, primesautier, ne dédaignant pas des amusements parfois assez frivoles. Il faut dire que je découvrais l'Italie en même temps qu'elle me découvrait. La griserie de la gloire me tournait la tête. Plusieurs relations féminines m'avaient ouvert les yeux sur la vie, et je commençais à croire en... Bartali Gino. Un terrible rappel de notre condition fit jaillir en moi une foi religieuse ardente. Je fis une brusque volte-face intérieure. Je devins grave.La mort de mon frère m'avait frappé comme un avertissement divin à un moment où, peut-être, j'aurais pu commettre les pires erreurs. Je me mis à prier avec fanatisme pour l'âme de Giulio[70]. »

Membre de l'Action catholique, il n'a jamais dissimulé son aversion pour le fascisme, même si son succès dans le Tour 1938 avait été exploité par la dictature mussolinienne. Mais il faut attendre 2013 pour que soit reconnue sa participation clandestine au sauvetage des Juifs et résistants persécutés par les autorités fascistes : sous couvert de sorties d'entraînement, il quittait régulièrement son domicile florentin pour se rendre à Assise (Ombrie), mais aussi à Gênes et dans les Abruzzes, des trajets de plus de 350 km aller-retour, pour porter en particulier de fausses cartes d'dentité dissimulées dans sa bicyclette, en liaison avec le réseau de résistance conduit par le rabbin Nathan Cassuto[71] et par l'archevêque de Florence, le cardinal Elia Dalla Costa. Peu après ce dernier, le 23 septembre 2013, Gino Bartali a été reconnu à titre posthume Juste parmi les nations par le mémorial de Yad Vashem[72],[73].

Coppi-Bartali, ou l'Italie coupée en deux

La rivalité entre Gino Bartali et Fausto Coppi apparaît dès les débuts professionnels de ce dernier. Engagé par Legnano comme « domestique » de Bartali pour le Tour d'Italie 1940, il s'impose à sa place, Bartali hors de forme daignant l'aider après avoir songé à abandonner. La Seconde Guerre mondiale interrompt leur carrière. La rivalité réapparaît rapidement avec la victoire de Coppi lors de Milan-San Remo 1946, et « s'exacerbe, [...] soigneusement entretenue par la presse »[35]. Elle atteint un sommet au championnat du monde sur route de 1948, lorsqu'ils se neutralisent et abandonnent la course. Leur rivalité rend également difficile la composition de l'équipe italienne pour le Tour de France, dirigée par Alfredo Binda. Elle n'empêche cependant pas des ententes : ainsi ils dominent à deux le Tour de France 1949, s'échappant ensemble en deux occasions, et Coppi permet à Bartali de gagner l'étape le jour de ses 35 ans. La mort de Fausto Coppi en 1960 anéantit le projet de collaboration au sein de l'équipe San Pellegrino, lancée par Gino Bartali avec Coppi pour capitaine de route[74].

Agacé de la supériorité que Coppi tire en étant le premier à adopter « les progrès de la médécine sportive » et « les perfectionnements du vélo », Bartali s'échine à découvrir ses « secrets » et établit un « plan d'investigation » pour connaître ses découvertes : en course, il descend dans les mêmes hôtels que lui, et fouille sa chambre une fois que Coppi l'a quittée, au risque d'arriver en retard au départ : « Je raflais tous les flacons, bouteilles, fioles, tubes, cartons, boîtes, suppositoires,...[...] J'étais devenu si expert dans l'interprétation de toute cette pharmacie que je devinais à l'avance le comportement que Fausto allait avoir au cours de l'étape[75]. » Lors du Tour d'Italie 1946, il voit Coppi boire dans une fiole et s'en débarrasser en la lançant dans un pré. Il revient la chercher après le Giro et la fait analyser : son contenu se révèle être « reconstituant de marque française que l'on pouvait couramment acheter sans ordonnance médicale. [...] J'en commandai une caisse entière ! »[75].

Bartali traque également les faiblesses de Coppi : « Je l'étudiais, le regardais, le scrutais, le passais au crible, longtemps, sans me lasser, avec la volonté forcenée de trouver quelque chose. Tandis que nous roulions dans le peloton, mes yeux, irrésistiblement attirés par ses mollets, ne pouvaient s'en détacher, guettant le moindre indice de ce qui pouvait révéler une faiblesse. Et puis, un jour, ma ténacité reçut sa récompense. [...] Dans le creux de son genou droit, une veine se gonflait et apparaissait sur cinq à six centimètres dès que le prenait la toxémie musculaire à laquelle est soumis tout coureur pendant l'effort. [...] À ce moment, Fausto devenait vulnérable et sa plastique s'altérait. » Il dit avoir utilisé cette faille lors du Tour d'Italie 1948 : plaçant derrière Coppi son équipier Giovanni Corrieri, il attaque dès que celui-ci lui crie : « La veine ! La veine ! » : « à l'arrivée, Fausto avait 4 minutes de retard[76],[77]. »

Fausto Coppi et Gino Bartali jouissent tous deux d'une grande popularité durant leur carrière. Celle de Coppi égale celle de Bartali après sa victoire au Tour de France 1949. Marcel Hansenne écrit ainsi dans Le Parisien libéré le 21 juillet 1949 : « Il y a en Italie une religion que je ne soupçonnais pas : celle de Bartali et de Coppi »[78]. Leurs triomphes dans l'après-guerre, en 1948 et 1949, en font des « icônes [de la] reconstruction » italienne[79].

Outre leur rivalité sportive, les personnalités de Coppi et Bartali révèlent un antagonisme, ainsi décrit par Curzio Malaparte :

« Bartali appartient à tous ceux qui croient aux traditions et à leur immuabilité, à ceux qui acceptent le dogme. Il est un homme métaphysique protégé par les saints. Coppi n'a personne au Ciel pour s'occuper de lui. Son manager, son masseur n'ont pas d'ailes. Il est seul, seul sur sa bicyclette. Il ne pédale pas avec un ange perché sur son épaule droite. Bartali prie en pédalant. Coppi, rationaliste, cartésien, sceptique et pétri de doutes, ne croit qu'au moteur qu'on lui a confié : c'est-à-dire son corps[80],[77]. »

Leur rivalité illustre la dualité de l'Italie d'après-guerre. Tandis que l'Italie du Nord, qui « aspire à une libération des mœurs » s'identifie à Coppi, engagé dans une relation adultérine et soutenu par une frange plus libérale de la population, le Sud, où l'« on se réfère au dogme de l'Église », adopte Bartali, « le pieux ». Les deux piliers de la vie politique italienne se disputent, en vain, les deux champions : le parti communiste contacte Coppi pour qu'il soit des leurs aux élections législatives de 1948 et la démocratie chrétienne tente d'attirer aussi bien Bartali que Coppi[81],[82],[77].

Palmarès, résultats et distinctions

Palmarès par années

Résultats sur les grands tours

Tour d'Italie

  • 1935 : 7e, vainqueur du Grand Prix de la montagne et de la 6e étape
  • 1936 : Vainqueur du classement général, du Grand Prix de la montagne et des 9e, 17eb et 18e étapes. 11 jours en rose
  • 1937 : Vainqueur du classement général, du Grand Prix de la montagne et des 5ea (contre-la-montre par équipes), 8ea (contre-la-montre), 10e, 16e et 17e étapes. 13 jours en rose
  • 1939 : 2e, Vainqueur du Grand Prix de la montagne et des 2e, 9eb, 15e et 17e étapes. 2 jours en rose
  • 1940 : 9e, Vainqueur du Grand Prix de la montagne et des 17e et 19e étapes
  • 1946 : Vainqueur du classement général et du Grand Prix de la montagne. 4 jours en rose
  • 1947 : 2e, Vainqueur du Grand Prix de la montagne et des 2e et 15e étapes. 12 jours en rose
  • 1948 : 8e
  • 1949 : 2e
  • 1950 : 2e, Vainqueur de la 9e étape
  • 1951 : 10e
  • 1952 : 5e
  • 1953 : 4e
  • 1954 : 13e

Tour de France

Gino Bartali fait partie des coureurs ayant remporté au moins deux étapes du Tour de France sur plus de dix années, ainsi que sept étapes au cours d'un même Tour de France.

  • 1937 : abandon (12e étape), vainqueur de la 7e étape. 2 jours en jaune
  • 1938 : Vainqueur du classement général, du Grand Prix de la montagne et des 11e et 14e étapes. 8 jours en jaune
  • 1948 : Vainqueur du classement général, du Grand Prix de la montagne et des 1re, 7e, 8e, 13e, 14e, 15e et 19e étapes. 9 jours en jaune
  • 1949 : 2e du classement général et vainqueur d'une étape. 1 jour en jaune
  • 1950 : abandon (12e étape) et vainqueur d'une étape
  • 1951 : 4e du classement général
  • 1952 : 4e du classement général
  • 1953 : 11e du classement général

Distinctions

 : il est fait Grand officier de l'Ordre du Mérite de la République italienne le [83] , sur proposition de la Présidence du Conseil des Ministres.

 : il est fait Chevalier grand-croix de l'Ordre du Mérite de la République italienne le [84]

Le 23 septembre 2013, Gino Bartali a été reconnu à titre posthume Juste parmi les nations par le mémorial de Yad Vashem[85].

Notes et références

Notes

  1. « Hiver comme été, mon poids est invariable : 68 kg. S'il variait, je sens qu'il y aurait alerte » (Bartali et Costes 1949, p. 17).

Références

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  5. Ollivier 1983, p. 29-38
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  83. Grande Ufficiale Ordine al Merito della Repubblica Italiana Sig. Gino Bartali, sur le site quirinale.it
  84. Cavaliere di Gran Croce Ordine al Merito della Repubblica Italiana Sig. Gino Bartali, sur le site quirinale.it
  85. Yad Vashem

Bibliographie

Biographies

  • Gino Bartali et André Costes, Mes mémoires, S.E.P.E., , 48 p. (BNF 31972142)
  • Jean-Paul Ollivier, Gino le pieux, PAC, , 214 p. (ISBN 978-2853362054) Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Jean-Paul Ollivier, Le lion de Toscane : la véridique histoire de Gino Bartali, Les Éditions de l'Aurore, , 234 p. (ISBN 2903950571)

Autres ouvrages

  • Dino Buzzati (trad. Yves Panafieu), Sur le Giro 1949 : le duel Coppi-Bartali, Robert Laffont, , 203 p. (ISBN 2221012704)
  • Sandrine Viollet, Le Tour de France cycliste : 1903-2005, L'Harmattan, , 256 p. (ISBN 9782296025059) Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Pierre Chany, La fabuleuse histoire du cyclisme : Des origines à 1955, Nathan, , 539 p. (ISBN 2092864300) Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Pierre Chany, La fabuleuse histoire du Tour de France : livre officiel du centenaire, Minerva, , 959 p. (ISBN 2830707664) Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Pierre Lagrue, Le Tour de France : reflet de l'histoire et de la société, Paris, l'Harmattan, (ISBN 2-7475-6675-7), « La rivalité Coppi-Bartali dans l'Italie du divismo » Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Jacques Augendre, Abécédaire insolite du Tour, Paris, Solar, , 427 p. (ISBN 978-2-263-05321-4) Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Fabien Conord, Le Tour de France à l'heure nationale, PUF, (ISBN 9782130621669) Document utilisé pour la rédaction de l’article

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

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