Tempérament (musique)

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En musique, un tempérament est un système d'accord des intervalles d'une gamme musicale. Par extension on utilise le mot « gamme » pour désigner un tempérament (par exemple, la gamme tempérée pour le tempérament égal).

Les tempéraments servent à l'accordage des instruments à sons fixes, c'est-à-dire la majorité des instruments, sauf, principalement, les instruments à cordes sans frettes (violons, guitares sans frettes), le trombone, la voix.

Un tempérament est un système d'accord construit par altération d'une gamme naturelle (une gamme basée sur des intervalles purs)[1]. On parle donc d'accord pour un système basé sur des intervalles acoustiquement justes (« accord pythagoricien ») et de tempérament pour les systèmes comportant des intervalles raccourcis (« tempérament mésotonique »)[2].

Le tempérament égal, le système d'accord utilisé sur la quasi-totalité des instruments modernes, espace tous les demi-tons de manière égale.

Les écarts introduits par les tempéraments ne sont pas toujours facilement perceptibles par les oreilles non entraînées. De manière générale, quand ils sont anciens (exemple : mésotonique), ils sont assez facilement perceptibles, donnant parfois une coloration très prononcée, et à l'inverse, plus ils sont modernes, plus ils ont tendance, en général, à se rapprocher relativement du tempérament égal, et ils sont alors plus difficilement perceptibles.

Cependant, ces écarts, même faibles, structurent la perception globale du morceau : les instruments accordés sur des tempéraments inégaux restituent la mélodie avec une atmosphère tantôt plus douce, plus dure ou mélancolique, colorée par la tonalité dans laquelle ils jouent.

Histoire

Les tempéraments utilisés en occident sont chronologiquement :

Jusqu'à la fin du Moyen Âge, la théorie musicale ne reconnaissait comme consonants que les intervalles d’unisson, d’octave, de quinte et de quarte. La tierce majeure en était exclue, car la tierce pythagoricienne est relativement fausse, étant supérieure à la tierce pure d’un comma syntonique, ce qui fait une différence rédhibitoire. À cette époque, les musiciens commencèrent à admettre la consonance de la tierce, ce qui conduisit à abandonner le tempérament pythagoricien au profit des tempéraments mésotoniques, puis des tempéraments inégaux. Le nombre de sept notes diatoniques par octave fermement établi, les théoriciens ont pu formaliser des gammes « naturelles » — dont celle de Zarlino — assez proches de la gamme pythagoricienne mais attribuant un rôle important à la tierce et à d’autres rapports harmoniques simples. Les intervalles divisant l’octave restaient inégaux et un autre inconvénient surgissait : la division de la tierce majeure en un ton majeur et un ton mineur différents. La modulation était pratiquée, mais pas dans tous les tons – et ne pouvait guère l’être.

Le tempérament égal généralisé depuis le milieu du XIXe siècle[2], succède à de nombreux tempéraments très inégaux où certains intervalles sonnaient purs, mais d'autres très faux (voir quinte du loup). Des tempéraments très variés ont donc vu le jour, favorisant certains intervalles ou certaines tonalités, au détriment des autres (chacun donnant une couleur spécifique). Ces tempéraments ont progressivement évolué depuis le début de la Renaissance jusqu'au XIXe siècle pour rendre le maximum d'intervalles acceptables, mais tous ne pouvant pas être purs en même temps. Le tempérament égal s'est finalement imposé, même si tous n'en étaient pas partisans au départ (Bach notamment).

Marc Texier illustre ainsi l'importance des tempéraments, dans son essai Une nouvelle frontière de la musique :

«Si pour l'essentiel de la musique médiévale, qui est vocale, la fausseté des tierces n'est pas un problème majeur, car bien sûr les chanteurs prennent instinctivement des libertés par rapport au carcan du tempérament en usage; les limites du tempérament pythagoricien[3] ont eu pour la musique instrumentale, et tout particulièrement la musique pour clavier, une incidence remarquable, retardant de près de trois siècles l'éclosion de la polyphonie sur ces instruments par rapport à la polyphonie vocale. Ce n'est qu'à partir du moment où de nouveaux tempéraments, multipliant les tierces justes, ont été utilisés que la littérature pour clavier a pu s'épanouir, à deux voix au XIVe siècle, à trois au XVe, alors que la musique vocale était à quatre parties dès la fin du XIIe.

Le choix d'un tempérament n'est donc en rien négligeable, il induit pour des siècles l'évolution de la musique.» [4]

Le nombre de tempéraments qui ont été inventés pendant la Renaissance et la période baroque est considérable ; ils peuvent se répartir entre les catégories suivantes, selon les principes mis en œuvre (mais d'autres critères de répartition sont possibles) :

Le plus utilisé de nos jours pour la musique baroque est le tempérament de Vallotti (ou « Tartini-Vallotti »), en raison de son caractère peu marqué.

Accord des instruments avec des intervalles purs

Les musiciens et les amateurs de musique s'accordent généralement à trouver consonants :

  • un son fondamental et l'un de ses premiers harmoniques ;
  • deux sons qui sont en rapport de fréquence rationnelle simple (par exemple : 3/2, 4/3, 5/3).

Le problème c'est qu'il n'est pas possible d'accorder un instrument à sons fixes sur plusieurs octaves en ayant à la fois tous les intervalles d'octaves, de quintes et de tierces purs (les intervalles aux rapports les plus simples).

Si l'on accorde les notes d'un instrument à sons fixes (piano, flûte,...) avec le plus possible de ces rapports de fréquences rationnelles simples (intervalles purs), on obtient un ou plusieurs intervalles dissonants et donc non utilisables. Cet instrument ne peut jouer que dans les tonalités qui ne contiennent pas ces intervalles (ou alors il faut le réaccorder).

Les tempéraments

Les accords à bases d'intervalles purs ne posaient pas de problèmes dans la musique modale où l'accordage imparfait permettait de jouer un morceau entier. Mais au fur et à mesure du développement de la musique, qui utilisait de plus en plus les transpositions, les modulations, et les échelles chromatiques, il devenait compliqué de limiter les instruments à quelques modalités. Il n'était plus possible d'avoir des intervalles dissonants : la transposition ou la modulation entre des tonalités trop différentes (par leur coloration ou leurs intervalles dissonants) n'est pas toujours possible. Nombre de tempéraments anciens permettent toutes les modulations que l'on veut, mais avec une forte coloration de la justesse sur les tonalités éloignées, coloration que certaines oreilles modernes ne considèrent plus acceptables.

Seul le tempérament égal permet n'importe quelle transposition sans aucune coloration (utile pour l'accompagnement des chanteurs) mais ceci au prix d'un « aménagement » de la justesse qui n'a pas toujours séduit les musiciens.

C'est sur la base de ce consensus - à l'origine, inconscient - qu'ont été élaborées la gamme heptatonique occidentale et ses différentes variantes.

Construction

Cette question d'esthétique musicale se traduit assez directement en termes mathématiques, du fait que les sons harmoniquement consonants sont dans un rapport de fréquence s'exprimant par une fraction simple. Il y a plusieurs aspects de la question, mais les deux principaux problèmes numériques (qui se reflètent dans la pratique musicale) sont ceux-ci:

  • En partant d'une note donnée, douze quintes diffèrent quelque peu de sept octaves. L'écart (de l'ordre d'un huitième de ton) est le comma pythagoricien ou ditonique.
  • En partant d'une note donnée, quatre quintes successives ne donnent pas du tout une tierce pure. Par exemple, la succession do-sol-ré-la-mi donne un mi qui est très différent de celui obtenu par une tierce pure). L'écart est le comma syntonique.

La quasi-équivalence entre ces deux commas est un fait mathématique remarquable. (23,5 cents pour le comma pythagoricien et 21,5 cents pour le comma syntonique). De fait, la plupart des tempéraments inventés au cours de l'histoire se chargent de répartir essentiellement le comma pythagoricien dans le cycle des quintes, mais, pour autant, l'essentiel de ces tempéraments travaillent à une plus grande justesse des tierces (dont la fausseté s'illustre par le comma syntonique) tout en gardant les quintes acceptables. La différence entre ces deux commas est le schisma, très petit intervalle de 2 cents, dont on tient parfois compte dans la réalisation de certains tempéraments au clavecin.

De façon annexe, les tempéraments ont souvent eu pour but complémentaire de faire coïncider les dièses et les bémols, afin d'améliorer la « jouabilité » des instruments. Il faut toutefois noter que cette préoccupation n'a pas toujours prévalu, et que des instruments à clavier qui disposaient de touches distinctes pour les deux altérations ont été construits avant le XVIIIe siècle.

Cette constatation a imposé de trouver des compromis pour pouvoir pratiquer la musique sur de tels instruments. On appelle « tempérament » de tels compromis qui peuvent tendre :

  • à éliminer autant que possible l'effet sensible des commas, en plaçant ou en répartissant ceux-ci dans des intervalles inusités ;
  • à simplifier les échelles musicales en confondant les notes enharmoniques ;
  • à permettre ou faciliter les transpositions et modulations.

Les premières échelles théoriques

Accord pythagoricien

Quinte du loup dans le cycle des quintes

L'accord pythagoricien est construit par concaténation de quintes justes. Mais après douze quintes une telle série dépasse l'octave d'un comma.

Pour conserver les quintes justes il faut accepter une quinte réduite de ce comma sachant qu'elle est inutilisable : c'est la « quinte du loup » désagréable à l'oreille. Aussi, la tierce pythagoricienne, plus grande que la tierce majeure, est musicalement instable[5].

Gamme de Zarlino

Gioseffo Zarlino (15171590) fut le premier à reconnaitre l'importance de la tierce majeure comme intervalle fondateur de l'harmonie. La juste intonation qu'il conceptualise (voir Zarlino) est induite par les imperfections constatées dans l'accord pythagoricien et le souhait d'avoir le maximum d'intervalles sonnant juste dans un système à douze intervalles par octave.

Il élabore une gamme naturelle en reconnaissant donc une place importante à l'intervalle de tierce « pure », et plus généralement aux intervalles purs, c'est-à-dire correspondant à un rapport de fréquence s'exprimant par une fraction simple.

La tierce est basée sur des harmoniques qui multiplient ou divisent la fréquence par cinq, au lieu d'un facteur trois comme dans la gamme de Pythagore. Entre la quarte et le ton majeur, l'introduction de facteurs « cinq » permet de travailler sur les rapports 5/4 (=1,25) et 6/5 (= 1,2). Ces deux rapports sont particulièrement simples, acoustiquement ils sonnent bien avec la fondamentale. Enfin, puisque (5/4) x (6/5) = 6/4 = 3/2, on voit que leur addition donne une quinte. Ces intervalles, respectivement nommés « tierce majeure » et « tierce mineure » vont jouer un rôle de premier plan, avec l'octave et la quinte, dans la construction des gammes naturelles, qui ont de nombreuses variantes.

Pour construire la gamme de Zarlino, nous allons exprimer les intervalles recherchés en fonction « pythagoricienne » de la tierce majeure puis appliquerons la formule obtenue à la tierce majeure « pure » (5/4). Nous disposons déjà des intervalles, notes et rapports suivants :

  • Fondamentale = do = 1
  • Ton majeur = = 9/8 (deux quintes pures transposées d’une octave : 3/2 × 3/2 ÷ 2)
  • Tierce mineure = mibémol = 6/5
  • Tierce majeure = mi= 5/4 (contrairement à 81/64, soit 4 quintes, selon Pythagore)
  • Quarte = fa = 4/3 (comme pour Pythagore)
  • Quinte = sol = 3/2 (comme pour Pythagore)
  • Sixte (majeure) = la = 5/3 (addition d'une tierce majeure et d'une quarte : 5/4 x 4/3 = 5/3 - contrairement à 27/16 selon Pythagore)
  • Septième (majeure) = si = 15/8 (addition d'une tierce majeure et d'une quinte: 5/4 x 3/2 = 15/8, contrairement à 243/128 selon Pythagore)
  • Octave = do = 2.

Les autres intervalles se calculent de façon analogue, en déterminant, selon la gamme de Pythagore, une formule à base d'additions ou soustractions de tierces (T), quintes (Q) et octaves (O) donnant le résultat correct. Comme le montre le tableau ci-dessous, les fractions des intervalles purs sont relativement simples, sauf la seconde mineure (16/15) et son symétrique la septième (15/8), et surtout le triton (45/32).

Par rapport à la gamme tempérée, les écarts de la gamme de Zarlino sont (en supposant la gamme accordée sur une tonique de do) :

Note do bémol mibémol mi fa fadièse / solbémol sol labémol la sibémol si
Rapport 1/1 16/15 9/8 6/5 5/4 4/3 45/32 ou 64/45 3/2 8/5 5/3 9/5 15/8
Écart 0 +11.73 +3.91 +15.64 -13.69 -1.96 ± 9.78 +1.96 +13.69 -15.64 +17.6 -11.73

On voit que les écarts par rapport à la gamme tempérée sont assez importants sur les tierces et sixtes (de l'ordre de 14 cent), ainsi que sur la septième (17 cent). On peut en fait lire ces écarts dans l'autre sens: par rapport à une gamme formée d'intervalles purs, c'est le degré de fausseté perceptible sur la gamme tempérée. Ces intervalles commencent à être audibles pour une oreille exercée.

Après avoir déterminé ces intervalles, on peut vérifier les valeurs des différentes tierces et quintes de la gamme de Zarlino :

  • les tierces sont toutes justes (rapport de fréquences = 5/4) sauf la tierce solbémol-sibémol dont le rapport est 81/64, légèrement supérieur ;
  • les quintes sont justes (rapport de fréquences = 3/2) sauf trois d'entre elles (rapport 40/27) qui ne le sont pas (valeur inférieure) : -la, fadièse-dodièse, sibémol-fa.

La gamme de Zarlino est donc particulièrement pure (pour la mélodie et les accords), mais elle est difficilement transposable. Il faut se souvenir que dans cette gamme, il y a un ton majeur et un ton mineur de valeurs différentes. On appelle comma zarlinien l'intervalle entre ces deux tons : il vaut 81/80 soit 1,0125 ; c'est le comma syntonique. Dans la gamme de Zarlino, la succession des 7 intervalles constituant une octave est la suivante :

  • ton majeur
  • ton mineur
  • 1/2 ton diatonique
  • ton majeur
  • ton mineur
  • ton majeur
  • 1/2 ton diatonique

Ce qui précède montre que la gamme de Zarlino ne peut être utilisée dans la pratique lorsqu'on doit transposer ou moduler.

Prenons l'exemple très simple de la transposition de do majeur à sol majeur. L'intervalle do-ré dans la première tonalité a pour correspondant l'intervalle sol-la dans la seconde, or do-ré est un ton majeur, et sol-la un ton mineur.
Autre exemple: dans une pièce jouée sur la gamme de Zarlino de do, mais transposée en mi, l'écart de la tierce majeure sera de +27.38 (l'écart de labémol moins celui de mi) par rapport à la gamme tempérée, au lieu du -13.69 attendu, et donc au total de 41.07 cent par rapport à la tierce pure : près d'un quart de ton.

La gamme de Zarlino n'est pas la seule gamme « naturelle » envisageable : par exemple, Zarlino n'a pas inclus, dans sa gamme, de rapports harmoniques comportant le chiffre 7 (premier nombre premier après 2, 3 et 5), car à son époque, on commençait seulement à s'intéresser physiquement à la justesse des tierces. Pour exemple, un FAdièse fondé sur le rapport 7/5 (soit 1.4) est un rapport harmonique beaucoup plus simple que les rapports approchants, déduits de Pythagore (729/512) et de Zarlino (45/32). Par la suite, d'autres théoriciens ont proposé leur propre système, sans qu'aucun puisse vraiment présenter d'avantages décisifs.

Tempéraments réguliers ou irréguliers

On parle de tempéraments réguliers lorsque les corrections apportées aux intervalles s'appliquent également à tous, aucun intervalle particulier n'étant musicalement juste : ce sont donc les tempéraments mésotoniques et le tempérament égal (qui est un mésotonique particulier). Les tempéraments inégaux sont dits « irréguliers ».

Les tempéraments mésotoniques

L'idée des tempéraments mésotoniques est de diminuer toutes les quintes d'une certaine fraction du comma syntonique, de façon à rendre plus pures les tierces majeures sans pour autant trop fausser les quintes (l'écart résiduel venant du comma pythagoricien qui reste toujours concentré sur la quinte du loup).

Puisque la correction s'applique uniformément à toutes les quintes, les tierces majeures engendrées restent toujours égales à deux tons majeurs (les proportions sont conservées) ce qui n'est pas le cas avec les tempéraments inégaux. C'est cette propriété du « ton moyen » qui est à l'origine du terme « mésotonique » - on utilise aussi l'expression « tempérament régulier ».

Le tempérament mésotonique à quart de comma syntonique est le plus utilisé. S'il rend les tierces plus pures, il fausse légèrement les quintes (ainsi d'ailleurs que les quartes), et ceci n'est pas indifférent car l'oreille est plus sensible à la pureté des quintes qu'à celle des tierces.

D'autres tempéraments mésotoniques présentent un meilleur compromis en répartissant la « fausseté » de façon plus équilibrée entre tierces et quintes : c'est le cas du tempérament à 1/6 ou 1/8 de comma. A l'extrême, le tempérament à douzième de comma pythagoricien fait disparaître la quinte du loup : c'est le tempérament égal.

Les tempéraments mésotoniques sont assez pratiqués dans la musique baroque, ils permettent des modulations acceptables dans les tons voisins de la tonique.

Les tempéraments inégaux

L'idée des tempéraments inégaux vient du fait que, dans la pratique musicale, et spécialement à l'époque baroque avant que ne se généralise l'emploi de la gamme au tempérament égal, tous les intervalles de quinte et de tierce majeure ne sont pas également usités.

On va donc essayer de réduire les effets indésirables du comma syntonique, voire du comma pythagoricien, en les divisant de telle manière qu'on améliore la qualité de certains intervalles de quintes (donc de tierces), les intervalles les moins pratiqués pouvant se satisfaire de consonances moins bonnes.

À propos du clavecin et du clavicorde, C.P.E. Bach écrit : « Les deux sortes d'instruments doivent être bien tempérés : en accordant les quartes et les quintes, avec les tierces majeures et mineures et les accords complets pour preuves, il faut affaiblir un tant soit peu la justesse des quintes, en sorte que l'oreille la perçoive à peine et que les vingt quatre tons soient tous utilisables. »

Les possibilités sont extrêmement nombreuses et cette étude a mobilisé un grand nombre de théoriciens aux XVIIe et XVIIIe siècles, chacun proposant sa propre solution censée représenter le meilleur compromis : Werckmeister, Chaumont, Kirnberger, Rameau, Vallotti etc.

Dans le cadre d'un tempérament inégal, toutes les quintes (et conséquemment toutes les tierces) n'ont pas la même valeur en termes de rapports de fréquences : chaque tonalité possédait donc une « couleur sonore » particulière. Joie, tristesse, sérénité, mélancolie, etc. s'expriment dans le choix de tonalités censées mieux les représenter : ce critère est mis en pratique par les grands compositeurs tels que Bach et Couperin qui y attachent beaucoup d'importance. Tous ne s'accordent d'ailleurs pas exactement sur le caractère prêté à chaque tonalité. Le choix du tempérament utilisé peut, à l'inverse, être déterminé par la tonalité choisie et les modulations envisagées au cours d'une même pièce, certains étant mieux appropriés que d'autres.

Ces préoccupations ont complètement disparu depuis que la gamme tempérée a été adoptée de façon universelle par les compositeurs. Mais les tempéraments inégaux sont particulièrement adaptés à l'exécution du répertoire baroque, et les ensembles spécialisés les pratiquent couramment.

Le tempérament égal (gamme tempérée)

La gamme au tempérament égal, ou simplement tempérament égal, ou encore gamme tempérée (appellation contestable car toutes les gammes aux tempérament inégaux sont tempérées) est de nos jours utilisée de façon presque universelle dans la musique occidentale (à noter, cependant, que le piano sort de l'échelle du tempérament égal dans l'aigu : voir Inharmonicité du piano). Seuls les musiciens jouant sur des instruments dits « anciens » utilisent d'autres systèmes, selon le style en cours à l'époque de la composition.

Le tempérament égal, qui s'est imposé avec le changement de goût à l'époque de la Révolution française (voir Inégalités dans la musique baroque) consiste, pour ainsi dire, à « trancher le nœud gordien » des inconvénients de tous les autres systèmes qui tentaient des compromis entre justesse de certains intervalles, fausseté pas trop marquée des autres, possibilités de transposition et/ou de modulation. Connu depuis longtemps (déjà mentionné au XVIe siècle, par Mersenne et par Praetorius, à propos des violes), mais peu utilisé alors, il consiste tout simplement à diviser l'octave en douze intervalles chromatiques tous égaux.

Cette idée simple permet toutes les transpositions et toutes les modulations imaginables, puisque toutes les notes sont équivalentes quand on les considère comme toniques. Elle présente deux inconvénients. Le premier, qui est de taille, explique la réticence des musiciens à l'adopter avant la période dite « classique » : à l'exception des octaves, tous les intervalles sont légèrement faux. Toutefois, hormis certains cas particuliers concernant principalement des tierces majeures (voir : Justesse des tierces), les écarts sont suffisamment faibles pour être admissibles. Et l'habitude aidant, puisque de nos jours quasiment toutes les musiques que nous entendons l'utilisent, cette faible dissonance ne choque personne, et c'est au contraire les anciens tempéraments qui surprennent notre oreille lorsque nous les expérimentons pour la première fois. Le second inconvénient est que, dans le tempérament égal, toutes les tonalités ont la même couleur et ce n'est pas forcément ce que les musiciens recherchent. Chez Mozart, par exemple, le choix des tonalités conserve une grande importance, y compris dans toute sa musique de piano, ce qui va à l'encontre d'un système dans lequel toutes les tonalités sont strictement équivalentes.

Si l'on se rappelle qu'additionner des intervalles revient à effectuer des multiplications de rapports de fréquence, on voit que celui de l'octave égale celui du demi-ton chromatique élevé à la puissance douze ou encore que le rapport de fréquence du demi-ton chromatique vaut en l'absence d'inharmonicité.

La gamme tempérée présente l'avantage d'être totalement "neutre" par rapport aux problèmes de transpositions, qui précisément justifient la présence de tempéraments. Les écarts des différentes gammes par rapport à la gamme tempérée permettent donc d'apprécier comment un tempérament particulier présentera des irrégularités dans ses différentes transpositions.

Tableaux comparatifs

Comparaison des fréquences de notes de la gamme chromatique dans différents systèmes

Premier tableau : même la

Fréquences des notes dans 3 systèmes, la=440 Hz
Note Juste intonation Gamme de Pythagore Gamme tempérée
do 264,00 260,74 261,63
dodièse 275,00 278,44 277,18
297,00 293,33 293,66
mibémol 316,80 309,03 311,13
mi 330,00 330,00 329,63
fa 352,00 347,65 349,23
fadièse 371,25 371,25 369,99
sol 396,00 391,11 392,00
soldièse 412,50 417,66 415,30
la 440,00 440,00 440,00
sibémol 475,20 463,54 466,16
si 495,00 495,00 493,88
do 528,00 521,48 523,25

Dans ce tableau :

  • la note la est commune à 440 Hz (diapason actuel)
  • les gammes naturelles sont représentées par la « juste intonation » à partir de do
  • la gamme de Pythagore est montée de telle façon que la quinte du loup soit entre soldièse et mibémol.

Second tableau : même do

Fréquences des notes dans 3 systèmes, do=264 Hz
Note Juste intonation Gamme de Pythagore Gamme tempérée
do 264,00 264,00 264,00
dodièse 275,00 281,92 279,70
297,00 297,00 296,33
mibémol 316,80 312,89 313,95
mi 330,00 334,13 332,62
fa 352,00 352,00 352,40
fadièse 371,25 375,89 373,35
sol 396,00 396,00 395,55
soldièse 412,50 422,88 419,07
la 440,00 445,50 443,99
sibémol 475,20 469,33 470,39
si 495,00 501,19 498,37
do 528,00 528,00 528,00

Dans ce tableau :

  • la note do commune à 264 Hz donne la à 440 Hz (diapason actuel) dans la juste intonation
  • les gammes naturelles sont représentées par la « juste intonation » à partir de do
  • la gamme de Pythagore est montée de telle façon que la quinte du loup soit entre soldièse et mibémol.

Troisième tableau

Intervalles importants dans 3 systèmes
Intervalle Juste intonation Gamme de Pythagore Gamme tempérée
Quinte do-sol 1,500 1,500 1,498
Loup soldièse-mibémol 1,536 1,480 1,498
Tierce majeure do-mi 1,250 1,266 1,260

Dans ce tableau, les intervalles sont calculés à partir du tableau précédent :

  • dans la « juste intonation », la quinte et la tierce sont justes, la quinte du loup est horriblement fausse
  • dans la gamme de Pythagore la tierce et la quinte du loup sont légèrement fausses
  • dans la gamme tempérée, il n'y a pas de quinte du loup ; les quintes sont bonnes, et les tierces un peu trop grandes

Notes et références

  1. Pierre-Yves Asselin, Musique et tempéraments (Québec), éditions Jobert, 2000
  2. a et b Abromont 2001, p. 550
  3. l'expression « tempérament pythagoricien » est un abus de langage assez fréquent, mais la gamme ou échelle pythagoricienne n'est pas, à proprement parler, un « tempérament ».
  4. Homestudio - revue audiolab
  5. Abromont 2001, p. 299

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • Pierre-Yves Asselin, Musique et Tempérament, Jobert, Paris, 2000 (ISBN 2905335009)
  • Dominique Devie, Le Tempérament musical, philosophie, histoire, théorie et pratique, Librairie Musicale Internationale, Marseille (seconde édition 2004).
  • Patrice Bailhache, Une histoire de l'acoustique musicale - CNRS éditions Paris 2001 (ISBN 2-271-05840-6)
  • Jean Lattard, Intervalles, échelles, tempéraments et accordage musicaux, éditions l'Harmattan, juillet 2003 (ISBN 2747547477)[1].
  • Moreno Andreatta, Méthodes algébriques en musique et musicologie du XXe siècle : aspects théoriques, analytiques et compositionnels, thèse, EHESS/IRCAM, 2003 [2].
  • Edith Weber, La Résonance dans les échelles musicales, révision d’Edmond Costère, Revue de musicologie, T.51, N°2 (1965), pp. 241-243
  • Franck Jedrzejewski, Mathématiques des systèmes acoustiques. Tempéraments et modèles contemporains, L’Harmattan, 2002.
  • Heiner Ruland, Évolution de la musique et de la conscience, ÉAR, Genève 2005, (ISBN 2-88189-173-X)
  • Claude Abromont, Guide de la théorie de la musique, Librairie Arthème Fayard et Éditions Henry Lemoine, , 608 p. (ISBN 978-2-213-60977-5)

Liens externes