François Vatel

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François Vatel
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François Vatel.
Naissance
près de Péronne, Drapeau du royaume de France Royaume de France
Décès
Chantilly Drapeau du royaume de France Royaume de France
Profession

François Vatel, de son vrai nom Fritz Karl Watel, né à Tournai en 1631 et mort à Chantilly le , d’origine suisse, est un pâtissier-traiteur, intendant, et maître d'hôtel français, successivement au service de Nicolas Fouquet, surintendant des Finances de Louis XIV, et du prince Louis II de Bourbon-Condé. Grand organisateur de fêtes et de festins fastueux d’exception au château de Vaux-le-Vicomte puis au château de Chantilly sous le règne de Louis XIV, il est passé à la postérité pour s’être suicidé pendant une réception alors que la livraison de la pêche du jour avait du retard.

Biographie

En 1631, François Vatel naît d'un père laboureur[1]. En 1646 le jeune homme, âgé de 15 ans, plutôt que de suivre les traces paternelles, préfère entrer en apprentissage chez le parrain de son frère, le pâtissier-traiteur Jehan Heverard chez qui il reste sept ans.

Le service du Surintendant Fouquet

En 1653, âgé de 22 ans, il est engagé comme écuyer de cuisine au château de Vaux-le-Vicomte, alors en cours de construction, par le maître d’hôtel du vicomte et marquis Nicolas Fouquet, qui vient d’être nommé surintendant des Finances par le cardinal Premier ministre et régent Mazarin de Louis XIV, alors âgé de 15 ans. Actif et doué pour l’organisation, Vatel est rapidement nommé maître d’hôtel de Fouquet.

Nicolas Fouquet par Lacretelle.

Le , Nicolas Fouquet invite le roi Louis XIV, alors âgé de 23 ans, la reine mère Anne d’Autriche et toute la cour du roi à l’inauguration de Vaux-le-Vicomte.

À la fois chef du protocole et maître d’hôte, François Vatel organise une grandiose et somptueuse fête et un dîner de 80 tables, 30 buffets et cinq services de faisans, cailles, ortolans, perdrix… avec de la vaisselle en or massif pour les hôtes d’honneur et en argent pour le reste de la cour. Vingt-quatre violons jouent de la musique de Lully, surintendant de la musique du Roi. Molière et Lully font jouer les Fâcheux, une comédie-ballet composée exprès pour la circonstance. Pour le dessert, Vatel sert une crème fouettée et sucrée alors peu connue, par la suite répandue sous le nom de crème chantilly : cette originalité lui vaut souvent l'attribution (à tort) de l'invention de la recette.

Toujours en proie aux difficultés financières, Louis XIV, qui a dû faire fondre sa vaisselle en métal précieux pour faire face aux importantes dépenses de la guerre de Trente Ans, est profondément blessé dans son orgueil par tout ce faste et ce génie des festivités qui dépasse celui de sa cour, qui se trouve à cette époque au château de Fontainebleau pendant la construction du château de Versailles. Louis XIV est alors décidé à abattre son surintendant des Finances, en le faisant arrêter sur le champ et déclare : « Il faudra faire rendre gorge à tous ces gens ! » mais sa mère l’en dissuade. Après le feu d'artifice tiré au-dessus du château, il refuse la chambre que son hôte lui a préparée et retourne à Fontainebleau à 21 km de là.

Le 5 septembre suivant, le roi fait arrêter Fouquet par d'Artagnan lors d’un conseil à Nantes. Il change la peine de bannissement en détention perpétuelle pour cet homme qu’il trouve trop puissant et trop ambitieux, dont il se méfie et qu’il remplace par Jean-Baptiste Colbert.

Château de Chantilly du prince Louis II de Bourbon-Condé.

Le service de Monsieur le Prince

François Vatel ignore que le roi désire reprendre le personnel du château de Vaux-le-Vicomte pour son nouveau château de Versailles et s’enfuit en exil en Angleterre par peur d’être emprisonné lui aussi. Il y rencontre Gourville, un ami de Fouquet avec qui il se rend en Flandres, où Gourville convainc le Prince Louis II de Bourbon-Condé, dit « le Grand Condé », de l’engager pour son château de Chantilly à 40 km au nord de Paris.

Le Grand Condé, par David Teniers le Jeune.

En 1663, François Vatel est promu « contrôleur général de la Bouche » du Grand Condé au château de Chantilly. Il est chargé de l’organisation, des achats, du ravitaillement et de tout ce qui concernait « la bouche » au château.

En 1671, le 21 avril, après plusieurs années de patience et d’importants travaux de rénovation de son château, le prince de Condé, en disgrâce depuis son rôle dans la tentative de renversement de Louis XIV enfant pendant la Fronde, et au bord de la ruine, invite Louis XIV, alors âgé de 33 ans, et toute sa cour de Versailles.

Une grande fête de trois jours et trois nuits (du jeudi soir au samedi soir), comprenant trois banquets somptueux, est donnée par le prince de Condé pour mener cette réconciliation stratégique et pour séduire Louis XIV et les 3 000 membres de la cour de Versailles, dont 200[2] à 600 courtisans et de nombreux domestiques. Cette réception (dont le coût s'élève à 50 000 écus) doit marquer son complet retour en grâce et le pardon du roi après sa participation à la Fronde vingt ans plus tôt. Il doit également regagner les faveurs du roi pour renflouer d’urgence ses caisses en louant son armée (une des plus puissantes du royaume) pour la guerre que le roi prépare contre les Hollandais. La destinée de la maison de Condé dépend en grande partie du succès des festivités et le prince fait peser tout le poids de ce succès sur son maître d’hôtel de génie. Vatel n’a que quinze jours pour préparer des menus très élaborés et des mises en scènes grandioses, dont le roi et la cour raffolent.

Le soir du jeudi , les invités pénètrent au château de Chantilly, après une grande partie de chasse. Les invités d’honneur sont installés à vingt-cinq tables dans le château magnifiquement illuminé. Le souper est suivi d’un spectacle de deux heures, dont un feu d’artifice d'un coût de 16 000 francs[réf. nécessaire] qui est un échec partiel en raison du brouillard. Mais environ 75 invités de plus que prévu se sont présentés, et du rôti vient à manquer à deux tables. Vatel sous pression se sent touché dans son honneur, répétant à plusieurs reprises qu'il a perdu son honneur et ne peut survivre à une telle disgrâce. N'ayant pas dormi depuis douze nuits, il demande à Gourville de le seconder pour donner les ordres. Après le dîner, le Prince vient le voir dans sa chambre pour le rassurer de l'excellence du repas et lui dit de ne pas porter d'importance au manque de viande sur les deux tables en question[2].

Pour le dîner du vendredi 24 avril, jour maigre de carême, Vatel décide de ne pas présenter aux invités des poissons pêchés en rivière : soit ils sont trop communs, soit leur pêche au mois d'avril est trop aléatoire (saumon, truite) pour assurer le ravitaillement complet (cependant Vatel aurait pu les conserver dans un vivier comme cela se faisait à l'époque)[3]. Le fait qu'il ait envoyé des acheteurs dans plusieurs ports indique qu'il recherchait plusieurs produits de mer. Les spéculations sur la nature des poissons à servir ce jour-là se tournent vers la sole[2],[4], le turbot et la barbue, et peut-être la raie, le carrelet ou la limande, toutes espèces sédentaires et abondantes en la saison[4]. Des coquillages sont également cités par ailleurs.

Pour une vente du vendredi sur les marchés de la région de Paris, les pêcheurs doivent rentrer au port entre le mercredi après-midi et les premières heures du jeudi. Vatel a donc quelques jours auparavant envoyé des gens passer commande de poissons de qualité dans plusieurs ports de Haute-Normandie. Boulogne-sur-Mer est à 217 km de Chantilly, et nous sommes déjà fin avril : à cette saison seuls une vingtaine de ports, tous situés en Haute-Normandie, peuvent approvisionner Paris et ses environs. Et tous n'offrent pas la même qualité ni quantité pour le même type de poisson. Outre un acheteur habituel à Dieppe (le plus gros port de pêche de la Manche à l'époque), Vatel avait probablement des acheteurs dans les ports du côté de la baie de Somme, notamment celui d'Ault dont la marée provenait des meilleurs fonds[4] et avait une excellente réputation ; d'ailleurs Ault, à l'époque, rivalisait avec Dieppe et Boulogne pour la pêche[5] ; et probablement dans d'autres ports aussi.

Au petit matin du vendredi 24 avril, Vatel attend sa commande de poisson à 4 heures du matin. Mais à cette heure, seulement deux paniers arrivent. Il attend jusqu'à 8 heures - toujours rien de plus. Pour Vatel, c’est le comble du déshonneur. Il déclare au contrôleur en second Gourville : « Monsieur, je ne survivrai pas à cet affront-ci, j’ai de l’honneur et de la réputation à perdre. » Gourville se moque de lui. Selon la Marquise de Sévigné, il monte alors dans sa chambre et se jette à trois reprises sur son épée calée dans la porte pour sauver son honneur, au moment où son importante commande de poisson arrive[4]. Il avait 40 ans.

Le Prince de Condé, estimant fort Vatel, pleura à l'annonce de sa mort. Le roi dit à Condé qu'il n'était pas venu à Chantilly depuis cinq ans car il savait quels soucis d'intendance ses visites causaient ; que Condé aurait dû faire mettre seulement deux tables et ne pas s'occuper des autres ; et que lui, le roi, ne supporterait plus que Condé se sentît obligé de mettre autant de faste. Bien que le poisson fût arrivé, les convives se privèrent toutefois de ce plat par respect pour Vatel[4]. Gourville qui essaie de se faire pardonner, l’enterre discrètement pour ne pas gêner la fin des festivités. L'historien Auguste Jal considère que Vatel est « déposé probablement dans une fosse non bénite » car l'Église considère le suicide comme un péché grave[6] mais l’acte mortuaire de Vatel retrouvé dans les archives de la mairie de Vineuil-Saint-Firmin atteste qu'il a été inhumé dans le cimetière de cette commune[7]. Le suicide étant de plus interdit par la loi, le fait qu'il n'ait fait l'objet d'aucune poursuite pénale et de traitement alors infligé aux suicidés (notamment « être traîné sur la claie », cadavre traîné face contre terre puis jeté aux ordures) suggère l'indulgence et l'intervention du roi[3].

Cette somptueuse fête admirée par toute la cour et par le roi marque le retour en grâce du Grand Condé auprès de Louis XIV, et François Vatel entre dans la légende des grands organisateurs des festins d’exception associés à l’histoire de France et à ses fastes, même si les chefs de cuisine blâment généralement Vatel pour avoir perdu son sang-froid et avoir été incapable de faire face à l’urgence, qualité primordiale dans la restauration.

Blâmer Vatel, c'est ne pas tenir compte des difficultés auxquelles il devait faire face. En effet son rôle habituel, déjà lourdement chargé, n'incluait pas l'approvisionnement à proprement parler des denrées de cuisine. Son rôle dans ce domaine se limitait à passer commande dans le cadre des marchés de pourvoierie. Mais les fournisseurs ajoutaient des clauses limitatives à leurs contrats pour se prémunir contre les aléas des déplacements des grands seigneurs : leurs guerre et/ou villégiatures obligeaient en effet à modifier les circuits d’approvisionnement et, au-delà d'une certaine distance du lieu habituel de résidence, ou bien les pourvoyeurs exigeaient un surcroît de rémunération (le marché de pourvoierie du prince d'Orléans pour 1670, par exemple, revendiquait un supplément de 25 % au-delà de vingt-huit lieues), ou bien ils se désistaient purement et simplement de la responsabilité de l'approvisionnement. Les fournisseurs se prémunissaient également contre les dépenses extraordinaires des fastes au-delà des coutumes journalières ; concernant la maison de Condé précisément, son marché de pourvoierie pour l'année 1670 excluait les denrées de bouche spécifiquement dans le cas où le Prince offrirait un banquet au roi ou aux membres de la famille royale. Il n'y a pas trace du marché de pourvoierie pour l'année 1671 mais, comme la fête d'avril regroupait les deux éléments (présence du roi et distance de Paris) contre lesquels les pourvoyeurs se prémunissaient de façon habituelle, il est peu vraisemblable que cette clause exclusive n'ait pas été exercée dans ce cas, d'où Vatel se retrouvait dans la nécessité d'assurer l'approvisionnement en sus de la charge extraordinaire des festins proprement dits.

Les pourvoyeurs habituels ne pouvaient guère l'aider dans le cas particulier du poisson frais car, outre qu'ils n'étaient pas maîtres des circuits d'approvisionnement de façon générale (ils achetaient en gros sur les marchés de Paris), eux-mêmes ne connaissaient pas les marchands puisque d'une part ces derniers restaient souvent dans leurs ports et envoyaient des commis livrer à leur place, et d'autre part la vente en gros des poissons aux Halles de Paris se faisait non de gré à gré entre vendeurs et acheteurs, mais aux enchères et par l’intermédiaire d’officiers publics. Enfin il n'avait pas l'opportunité de s'approvisionner par avance, par manque de moyens de conservation : les poissons choisis ne pouvaient rester en vivier d'eau douce en attente de leur consommation, et contrairement à l'Italie et l'Espagne où la glace était utilisée pour conserver la nourriture, dans la France du XVIIe siècle elle n'était utilisée que pour rafraîchir les boissons[8].

Geste devenu mythique d'un homme mu par un besoin de reconnaissance sociale, tenaillé d'anxiété devant l'enjeu de ces fêtes ou jugeant son honneur blessé par l'affront qui lui semble signifier sa perte, ce suicide concourt par ailleurs à la célébration et à l'élaboration du discours gastronomique français depuis le XVIIIe siècle en donnant un aïeul héroïque aux générations de chefs cuisiniers à venir[3].

François Vatel dans la littérature

Nature morte au gobelet argenté, par Willem Claesz. Heda, 1635.
  • 1671 : La marquise de Sévigné, à qui l’un des courtisans invités de la fête raconte ce suicide, rapporte cet événement dans deux de ses célèbres lettres à sa fille, madame de Grignan (lettres du 24 avril et du 26 avril) : « Mais voici ce que j’apprends en entrant ici, dont je ne puis me remettre, et qui fait que je ne sais plus ce que je vous mande : c’est qu’enfin Vatel, le grand Vatel, maître d’hôtel de Monsieur Fouquet, qui l’était présentement de Monsieur le Prince, s’est poignardé[9] ».
  • Le duc de Saint Simon en parle également dans ses Mémoires.
  • Alexandre Dumas porte sur Vatel un jugement péremptoire : « Le suicide de Vatel indique plutôt l’homme de l’étiquette que l’homme du dévouement : laisser manquer le poisson dans une saison où, grâce à la fraîcheur de l’atmosphère et à la glace sur laquelle on l’étend, on peut conserver le poisson trois ou quatre jours, c’est d’un homme imprévoyant qui ne va pas au-devant, par l’imagination, des accidents dont peut l’écraser la mauvaise fortune[10]. »
  • Alexandra David-Néel y fait allusion, en plaisantant au sujet de sa soupe de fortune, dans son livre Voyage d’une Parisienne à Lhassa.

François Vatel au cinéma

Notes et références

  1. David Alliot, Philippe Charlier, Olivier Chaumelle, Frédéric Chef, Bruno Fuligni et Bruno Léandri, La tortue d'Eschyle et autres morts stupides de l'histoire, Les Arènes, , 200 p. (ISBN 978-2352042211), chap. I (« Trop gourmands »)
  2. a b et c Chef Vatel (1613 - 1671). tallyrand.info. Contient une transcription en anglais de la lettre de Mme de Sévigné à sa fille, qui est à peu près la seule source d'information ayant survécu sur les détails de la mort de Vatel.
  3. a b et c Documentaire d’Anaïs Kien, « Le dernier festin de Vatel », émission La Fabrique de l'histoire sur France Culture, 27 décembre 2012.
  4. a b c d et e Aux origines du suicide de Vatel : les difficultés de l’approvisionnement en marée au temps de Louis XIV. Reynald Abad.
  5. Ault : son histoire, sur le site de la commune.
  6. Auguste Jal, Dictionnaire critique de biographie et d'histoire, Plon, (lire en ligne), p. 1301.
  7. Vatel, « perdu d’honneur », se suicide lors du festin donné en 1671 par le prince de Condé à Louis XIV.
  8. L’usage de la glace, de la neige et du froid. Pierre Barra, Lyon, 1676, p. 31. Cité dans Aux origines du suicide de Vatel : les difficultés de l’approvisionnement en marée au temps de Louis XIV, de Reynald Abad.
  9. Extrait des lettres de madame de Sévigné à propos des festivités et de la mort du grand Vatel.
  10. Alexandre Dumas, Le Grand dictionnaire de cuisine, 1873 Quelque mots au lecteur.

Bibliographie

Liens externes