Escadrons de la mort (Uruguay)

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Les Escadrons de la mort (dont les DAN, les CCT ou Comando Caza Tupamaros, « Commandos de chasse aux Tupamaros », ou les JUP, Juventud Uruguaya de Pie ou « Jeunesse uruguayenne debout ») étaient des groupes paramilitaires d'extrême droite uruguayens, qui firent plusieurs attentats et assassinats dans les années 1960-70. Liés à l'armée, nombre de ses membres intégrèrent ensuite les services de sécurité de la dictature. Des rapports déclassifiés ont confirmé l'aide économique apportée par l'Argentine, le Brésil et le Paraguay, ainsi que le soutien apporté à ce groupe et d'autres escadrons similaires par le gouvernement de Jorge Pacheco Areco puis de Bordaberry[1]. Washington était au courant des liens entre les paramilitaires et le régime[1]. En , le photographe de la police Nelson Bardesio et Pedro Freitas ont été condamnés pour l'assassinat d'Héctor Castagnetto, l'arrêt reconnaissant que les escadrons agissaient sous la responsabilité des gouvernements constitutionnels de l'époque, d'abord celui de Jorge Pacheco Areco puis celui de Bordaberry[2].

Années 1970[modifier | modifier le code]

Les escadrons de la mort, désignés comme l'« Escadron de la mort », organisaient de nombreux attentats et assassinats contre des journalistes et militants politiques, ainsi que contre les locaux du Front large (coalition de gauche) [3]. Leurs agissements furent rendus publics avec la confession de Nelson Bardesio, un photographe de la police lié depuis 1967 avec la CIA [4], enlevé par les Tupamaros le et qui confessa les liens de la police et du gouvernement avec les paramilitaires[1]. Il détailla ainsi les circonstances de l'enlèvement et de l'assassinat du disparu Héctor Castagnetto (; sa sœur avait été incarcérée deux mois pour avoir distribué des flyers sur la Monty, une banque dont les Tupamaros avaient révélé la corruption), ajoutant que Miguel Sofía, le capitaine Jorge Nader et l'inspecteur de police Víctor Castiglioni avaient participé à cet assassinat [1].

Nelson Bardesio, qui ne fut pas torturé par les Tupamaros[2],[3], révéla que ces groupes remontaient jusqu'au plus haut de l'appareil d'État, étant dirigés par Armando Costa y Lara, sous-secrétaire du ministère de l'Intérieur [3] sous la présidence Jorge Pacheco Areco, tandis que le colonel Machado coordonnait, au sein du ministère de l'Intérieur, cinq groupes paramilitaires, dont le Commando de chasse aux Tupamaros (CCT) [3]. Ces différents groupes ont participé à la mise en place, en Uruguay, de l'Opération Condor [3], formellement créée en . Le major José "Nino" Gavazzo dirigeait Condor en Uruguay [5]. Selon Mauricio Rosencof, l'un des dirigeants tupamaro, Bardesio remplit plusieurs cahiers de confession, détaillant aussi les liens entre les escadrons de la mort et l'ambassade des États-Unis ainsi que la CIA [6].

Un autre membre de l'Escadron, le sous-commissaire Mario Benítez, informa mi-1972 le sénateur démocrate-chrétien Juan Pablo Terra (es) des actions de l'Escadron[6], qui transmit toutes ces informations au ministre de l'Education et de la Culture, Julio María Sanguinetti, celui-là même qui fit voter la loi d'amnistie en 1986 (Ley de Caducidad de la Pretensión Punitiva del Estado (es)). Juan Pablo Terra fit ainsi une déclaration publique à ce sujet devant le Sénat les 7 et [7].

La confession de Nelson Bardesio fut lue devant le Parlement par le député Enrique Erro[3]. La colonne 15 des Tupamaros annonça publiquement la condamnation à mort de plusieurs membres des Escadrons, malgré l'opposition de José Mujica, alors emprisonné, ainsi que de Mauricio Rosencof[3]. Le capitaine Ernesto Moto fut ainsi abattu le , en même temps que le sous-commissaire Óscar Delega et l'ex-sous-secrétaire de l'Intérieur Armando Costa y Lara, le plus haut responsable des escadrons de la mort[3] (malgré l'opposition du gouvernement de Tabaré Vázquez à de telles commémorations, la tombe d'Armando Costa y Lara fit l'objet d'une cérémonie des Forces armées uruguayennes en 2006[8]). Ces dernières répliquèrent, en assassinant quelques heures plus tard le journaliste tupamaro Luis Martirena et son épouse, fusillant aussi quatre Tupamaros dans une autre maison (Candán Grajales, Horacio Rovira, Gabriel Schroeder et Armando Blanco)[3]. Le dirigeant tupamaro Eleuterio Fernández Huidobro est alors arrêté dans la maison de Luis Martirena, ne devant la vie sauve qu'à l'arrivée d'un juge.

Le , l'état de guerre interne fut voté par le Parlement, les prisonniers politiques passant désormais sous la tutelle de la justice militaire, tandis que la torture était généralisée[3].

Sous la dictature (1973-1985), Nelson Bardesio travailla pour la CIA[9], puis se convertit en pasteur évangélique[9].

Transition démocratique[modifier | modifier le code]

Avec la transition démocratique, le député Nelson Lorenzo Rovira (Izquierda Democrática Independiente, groupe membre du Frente Amplio) et l'avocat José Luis Baumgartner, portèrent plainte contre l'Escadron de la mort, les accusant notamment de l'assassinat de Manuel Antonio Ramos Filippini ([9]) et d'Ibero Gutiérrez, un militant du Mouvement du 26 mars ( [10],[9]), et des disparitions forcées d'Abel Adán Ayala ([9]) et d'Héctor Castagnetto ()[1]. Aucune de ces personnes ne s'était engagée dans des actions armées[11].

Ils rendaient aussi responsable le groupe d'attentats contre Arturo Dubra, Alejandro Artucio, María Esther Gilio (es) et Manuel Liberoff, utilisant des explosifs faits à l'aide de produits obtenus via la SIDE argentine[1]. L'enquête ultérieure sur la disparition d'Héctor Castagnetto révéla que le groupe de Nelson Bardesio avait été entraîné par la SIDE[2].

Enquête sur la disparition d'Héctor Castagnetto[modifier | modifier le code]

En 2007, une enquête a été ouverte en Uruguay contre les agissements des Escadrons de la mort, sur la base d'un document des États-Unis montrant qu'ils avaient enlevé l'étudiant en agronomie Héctor Castagnetto le avant de l'assassiner. Castagnetto avait été enlevé par deux membres du Departamento 5 de Información e Inteligencia de l'armée uruguayenne, qui donnèrent ensuite son cadavre au capitaine Jorge Nelson Nader Curbelo, qui le jeta dans le Rio de la Plata[3], Castagnetto restant donc desaparecido[1]. Sa disparition est consignée dans le rapport de la Comisión para la Paz. L'enquête, qui aboutit à la condamnation en de Nelson Bardesio, après son arrestation en 2008 puis son extradition par l'Argentine[9], et de Pedro Freitas, montra que leur groupe était lié au sous-commissaire de police Hugo Campos Hermida (en)[2], qui aurait participé à l'assassinat, en , des parlementaires Zelmar Michelini et Héctor Gutiérrez à Buenos Aires[12], ainsi qu'à la disparition forcée des nièces du poète argentin Juan Gelman[12].

Chronologie criminelle des Escadrons de la mort[modifier | modifier le code]

  •  : attentat contre le domicile d'Arturo Dubra, avocat des Tupamaros [13];
  •  : attentat contre le domicile d'Alejandro Artucio, avocat des Tupamaros[13];
  •  : enlèvement puis assassinat de l'étudiant en médecine Abel Adán Ayala[3];
  •  : vague d'attentats contre des locaux du Front large[13];
  •  : assassinat de l'étudiant Hebert Nieto, tué par un sniper[3];
  •  : assassinat de l'étudiant Manuel Antonio Ramos Filippini[3], ex-collaborateur des Tupamaros[13], revendiqué par le « Commando de chasse aux Tupamaros »[13];
  •  : le cadavre d'Héctor Castagnetto est jeté dans le Rio de la Plata[3];
  •  : assassinat de l'étudiant en médecine Julio Cesar Espósito [3];
  •  : attaque par balles contre l'omnibus transportant le candidat présidentiel du Front large, Líber Seregni, et son colistier Juan José Crottogini (es); un enfant est tué[3];
  •  : assassinat d'Ibero Guttiérez, après avoir été torturé[3];

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d e f et g Actuaciones Escuadrones de la Muerte en Uruguay, 4 novembre 2007
  2. a b c et d Justicia probó actuación de "Escuadrones de la Muerte" en los años 60 y 70, La República (Uruguay), 11 novembre 2009
  3. a b c d e f g h i j k l m n o p q et r Alain Labrousse (2009), Les Tupamaros. Des armes aux urnes, Paris, éd. du Rocher, 446 p., p. 151-162
  4. Clara Aldrighi, L'antenne de Montevideo de la CIA, Brecha, 25 novembre 2005 (article traduit par El Correo, version originale disponible). L'historienne Clara Aldrighi est notamment l'auteur de trois tomes sur L’intervention des États-Unis en Uruguay (1965-1973).
  5. Roger Rodríguez, Uruguay era el "Cóndor 5" y Gavazzo figura como "el jefe" de "CONDOROP", La Republica, 5 janvier 2009
  6. a et b Ex agente del "Escuadrón" va hoy ante el juez como testigo, La Republica, 22 août 2008
  7. Déclaration de Juan Pablo Terra devant le Sénat, 7-8 juin 1972 (publié par le Journal officiel uruguayen n°18 837 de juin 1972, et mis en ligne par Radio 36, 31 juillet 2004)
  8. Pese a la derogación conmemoran día de los caídos, El País, 13 mars 2006
  9. a b c d e et f Extraditan de Argentina ex un policía uruguayo vinculado al "Escuadrón de muerte", El Economista, 5 novembre 2009
  10. Mauricio Pérez, "Yo estuve en la lista del Escuadrón", La Republica, 23 mars 2008
  11. Sanguinetti y Lacalle en el homenaje al Escuadrón de la Muerte, PCU-Madrid, 22 mai 2008
  12. a et b A los 73 años murió el inspector mayor (r) Hugo Campos Hermida, La Republica, 25 novembre 2001
  13. a b c d et e Alain Labrousse (2009), Les Tupamaros. Des armes aux urnes, Paris, éd. du Rocher, 446 p., p. 134

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Lien externe[modifier | modifier le code]