Emmurement

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Reconstitution : un chevalier du XVIe siècle, que l'on croyait emmuré dans un mur du château de Kuressaare, en Estonie.

L'emmurement signifie littéralement être mis dans des murs. Emmurement était le mot utilisé au Moyen-Âge pour désigner l'emprisonnement[1]. Il désigne aussi le fait d'être enseveli vivant dans un mur. Dans ce dernier cas, les cas d'emmurement sont bien souvent légendaires.

Châtiment[modifier | modifier le code]

Supplice d'une vestale
Henri-Pierre Danloux, 1790.

On trouve les premières traces de la pratique dans la Grèce antique. Elle est clairement mentionnée dans le mythe d'Antigone et le récit de la mort de Pausanias. Dans la Rome antique, il s'agissait d'une méthode d'exécution très rare appliquée aux vestales qui rompaient leur vœu de chasteté, telle Rhéa Silvia[2], ou laissaient s'éteindre le feu dont elles avaient la garde. Elles étaient descendues dans une petite cellule avec une lampe à huile et un peu de nourriture pour que leur agonie soit prolongée[3],[4]. Un cas célèbre, relaté par Pline le jeune[5], concerne le supplice de la vestale Cornelia, condamnée injustement par l'empereur Domitien. On utilisait parfois l'expression enterrée vive, alors même qu'il ne s'agissait pas d'une mise en terre directe.

Au Moyen Âge, la condamnation à l'emmurement, soit à être « pris dans des murs », était en général synonyme d'emprisonnement pour une durée indéterminée[6]. Il existait le « mur étroit », soit la prison proprement dite, et le « mur large », avec un statut comparable à notre actuelle mise en résidence surveillée. En cas de deuil familial, de maladie ou pendant les périodes de fêtes religieuses, les prisonniers pouvaient obtenir des permissions qu’ils passaient chez eux. « Le pouvoir d’atténuer les sentences était fréquemment exercé », souligne Henry Charles Lea[7], la peine d'emprisonnement étant alors commuée en obligation d'effectuer un pèlerinage, le plus souvent en Terre Sainte, ou en condamnation à une amende. Il existait toutefois une aggravation du mur étroit, le carcer strictissimus, où le condamné était enchainé dans un cachot, et privé de tout contact jusqu'à sa mort[8].

Rite de protection[modifier | modifier le code]

Une coutume barbare qui semble ne pas avoir été uniquement légendaire, au moins dans l'Antiquité, consistait à sacrifier un être vivant qu'on enterrait dans les soubassements d'une maison pour garantir sa solidité et assurer sa protection :

Selon Henry O'Shea « De là cette coutume chez tant de peuples d'origine touranienne, d'emmurer des victimes, humaines ou pas, dans les fondations de la maison en l'honneur du fondateur qui, le premier, avait allumé la flamme du foyer. En Écosse et dans le Pays de Galles, on enterrait sous la première pierre des fondations soit un corps humain soit celui d'un animal. Le fait est presque universel, depuis les Hébrides jusqu'à l'île de Bornéo. »[9].

Ce rituel sinistre a été repris dans de nombreuses légendes dont beaucoup concernent des enfants ensevelis sous des ponts[10].

Si les sacrifices humains réels ont disparu au fil du temps, l'emmurement d'animaux, fréquemment des chats ou des coqs, a perduré au moins jusqu'à la Renaissance[11],[12] et était destiné à payer tribut le Malin (le Diable)[13],[14]. Ainsi, lors de travaux d’archéologie ou de restauration, on a trouvé des chats que la pierre et le temps avaient conservés momifiés, desséchés, par exemple dans une partie édifiée au XVIe siècle du château de Saint-Germain-en-Laye[14],[15],[13] ou une tour de la même époque au château de Combourg[16].

Réclusion religieuse volontaire[modifier | modifier le code]

Emmurement d'une moniale recluse.

Certains moines ou moniales, appelés reclus, décidaient librement d'adopter une forme extrême de pénitence en se faisant volontairement enfermer, pour un temps ou jusqu'à leur mort, dans un espace restreint appelé cellule ou reclusoir. Le reclusoir des Innocents était le plus célèbre de tous ceux de Paris.
En général la porte en était simplement scellée mais, dans les cas extrêmes, on bâtissait un mur devant l'entrée en ne laissant subsister qu'une étroite fente pour faire passer quelques nourritures[17].

Dans l'art et la littérature[modifier | modifier le code]

Peinture[modifier | modifier le code]

Littérature[modifier | modifier le code]

  • Marguerite Yourcenar, dans l'une de ses Nouvelles orientales (1938), reprend le sujet d'une légende serbe et intitule son récit « Le Lait de la mort ». Trois frères construisent une tour qui s'effondre régulièrement. On leur dit d'enfermer une personne vivante dans les fondations et que la tour tiendra. Ils décident de sacrifier l'une de leurs épouses, que le hasard désignera. La plus jeune, avant d'être emmurée, prie que l'on laisse une ouverture à la hauteur de ses seins, pour qu'elle puisse nourrir son enfant.
  • Edgar Poe, dans la nouvelle La Barrique d'amontillado, évoque un traquenard destiné à emmurer vif un ennemi.
  • René Meurant « Le Folklore poétique universel - L'emmurement de la femme du maçon », Le Journal des Poètes, Bruxelles, vol. XXVIII, no 2,‎ .
  • Ismail Kadaré dans Le Pont aux trois Arches (1978) mentionne la pratique d'un tel sacrifice dans les Balkans ottomans afin de s'assurer de la bonne construction de ponts.
  • Carole Martinez dans Du domaine des murmures, publié le 18 août 2011 aux éditions Gallimard et ayant obtenu le prix Goncourt des lycéens en 2011, qui raconte l'histoire d'Esclarmonde, personnage fictif qui choisit l'emmurement plutôt que le mariage.
  • Dans le tome 5 « Julienne » de la bande dessinée Les Maîtres de l'orge de Jean Van Hamme et Francis Vallès, Adrien Steenfort emmure vivant Garcin, meurtrier de son fils.

Cinéma[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. « Emmurement - Rameau - Ressources de la Bibliothèque nationale de France », sur data.bnf.fr (consulté le ).
  2. Elizabeth Abbott, Histoire universelle de la chasteté et du célibat, Fides, (lire en ligne)
  3. Vilfredo Pareto, Traité de sociologie générale, édition française par Pierre Boven, revue par l'auteur. Préface de Raymond Aron, Genève, Librairie Droz, 1968 Lire en ligne
  4. Denys d'Halicarnasse, Antiquités de Rome, II, 67, 3-5.
  5. Pline le jeune, Lettres, Livre IV, Lettre XI
  6. Jean Sévillia, Historiquement correct, Pour en finir avec le passé unique, Perrin, Saint-Amand-Montrond 2003, p. 61.
  7. Cité par Jean Guiraud, L'Inquisition Médiévale, Grasset, collection « La Vie chrétienne », 1929
  8. Didier Le Fur, L'Inquisition: Enquête historique : France XIIIe - XVe siècle, Tallandier, p. 40
  9. Henry O'Shea, La maison basque : notes et impressions, Imprimerie de L. Ribaut, Pau, 1887 pp. 25-26 Lire en ligne
  10. Revue des traditions populaires, édité par la Société des traditions populaires au Musée d'ethnographie du Trocadéro, 17e année, tome 17, no 5 pp. 277-278 Paris Lire en ligne
  11. « M. W. Webster cite le fait, dont il a eu personnellement connaissance, de l'emmurement d'un coq avec toutes ses plumes au milieu d'un mur au centre d'une maison du XIVe siècle, qu'il vit démolir sous ses yeux à Borce, dans la vallée d'Aspe » cité par Henry O'Shea, La maison basque : notes et impressions, Imprimerie de L. Ribaut, Pau, 1887 p. 26 Lire en ligne
  12. Revue des traditions populaires, édité par la Société des traditions populaires au Musée d'ethnographie du Trocadéro, 6e année, tome 6, no 5 pp. 288-289 Paris Lire en ligne
  13. a et b Micetto
  14. a et b Le chat momifié de Saint-Germain, 1862
  15. « Les chats emmurés », article du « Petit Parisien » du 3 septembre 1904, n° 10172
  16. Bruno Martinet, Maisons et paysages du Loiret, Créer, Collection Architecture, 1988 p. 161 (ISBN 978-2902894598)
  17. Louis-Antoine-Augustin Pavy, Les recluseries, Briday, Lyon 1875 lire en ligne

Articles connexes[modifier | modifier le code]