Délation

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Une « bouche de lion », boîte aux lettres pour les dénonciations anonymes au palais des Doges, à Venise (Italie). Traduction de l'inscription dans la pierre: « Dénonciations secrètes contre toute personne qui dissimule des faveurs ou des services, ou qui cherche à cacher ses vrais revenus ».

La délation désigne une dénonciation méprisable et honteuse[1]. Elle consiste à fournir des informations concernant un individu, en général à l'insu de ce dernier, souvent inspiré par un motif contraire à la morale ou à l'éthique et donc honteux.

Tournée contre un individu ou un groupe d'individus, la délation est faite par un délateur, individu ou groupe de personnes, pour son propre gain (s'enrichir et accaparer les biens d'autrui) ou pour lui nuire de manière malveillante (jalousie, envie, haine). La fonction de délateur peut être créée et rémunérée par un pouvoir qui cherche à obtenir des renseignements contre ses adversaires ou ses ennemis.

Cette forme de trahison et d'opportunisme se retrouve de manière récurrente dans l'histoire et dans un grand nombre de civilisations[2][source insuffisante], par exemple à travers l'image de l'usurpateur romain et ses espions (agent secret)[3]. Du point de vue de la stratégie, elle appartient aux modes de corruption. Elle peut également se manifester sous forme de faux témoignage ou de calomnie[4] .

Le langage populaire a produit un lexique fourni pour désigner le délateur : « mouchard », « balance », « donneur », « indic », « poucave », « sycophante », « cafard » et de manière plus étendue « collabo », « traître » ou « Judas ».

Encouragée par des régimes autoritaires ou dictatoriaux ou par des forces d'occupation[5], généralement occultée et anonyme, elle est facilitée par un pouvoir qui diffuse et défend des théories racistes et discriminatoires[6][source insuffisante].

Des études semblent démontrer que la délation de proches ou de personnes au sein d'une même famille aurait été une pratique répandue lors de la Seconde Guerre mondiale[7].

La délation ne doit en aucun cas être confondue avec la dénonciation d'infraction, de crime ou délit, ou encore le lancement d'alerte, activité désintéressée et risquée consistant à informer le public, les media, les élus de pratiques douteuses ou dangereuses de la part d'entreprises ou d'organisations diverses qui de la sorte menacent l'économie, la santé, la société en général.

Histoire

Cinq siècles avant notre ère, L'Art de la guerre (Sun tzu) fait déjà référence à cette notion dans son dernier chapitre, « De la concorde et de la discorde » (用間, Yòngjiàn) : « Quand ces cinq types d’espion sont au travail, personne ne peut découvrir le système secret d’information. Cela s’appelle la divine manipulation des esprits. C’est la plus précieuse faculté des souverains. » Sun tzu XIII-8[8].

On retrouve la marque de la délation volontaire dans les traditionnelles trahisons des hommes politiques de la Grèce antique[9] ou de l'Empire romain. Dans ce dernier, l'inquisitio sous le Principat encourage la délation fiscale et criminelle en faisant appel à des dénonciateurs extérieurs au tribunal, ce qui provoque des abus, des personnages se mettant au service du prince à l’occasion des grands procès, notamment pour crime de lèse-majesté (crimen laesae maiestatis)[10].

L'avatar du traître le plus célèbre reste Judas Iscariote[11] vendant le Messie, Jésus, aux autorités pour quelques pièces (Matthieu 26.15), se suicidant ensuite par pendaison pris de remords par l'immoralité de son acte.

Des événements dramatiques (guerre[12], attentat) peuvent inciter à franchir le pas. De telles situations peuvent servir à assouvir des vengeances contre un individu ou une haine à l'encontre des groupes déviants.

Elle fut largement utilisée, par le biais de promotions ou récompenses, dans le cadre du colonialisme et de l'oppression des occupants contre les indépendantistes dans les zones colonisées[13].

Durant la Seconde Guerre mondiale, elle est rendue obligatoire et encouragée par les services de renseignement du Troisième Reich. Elle devient une arme gouvernementale contre la Résistance, accusée de terrorisme, dans tous les pays alors occupés par l'Allemagne[14].

Aux États-Unis, le maccarthysme incite à la délation des personnes soupçonnées d'activités communistes. En URSS et dans les pays qu'elle occupe après la Seconde Guerre Mondiale, la délation est une pratique qui sévit dès l'école primaire. Les enfants sont encouragés à dénoncer leurs parents si ceux-ci émettent des idées différentes de celles que la propagande relayée par le système scolaire leur inculque[15]. Le summum est atteint en RDA avec la STASI qui gangrène toute la société, personne n'étant plus à l'abri d'un parent ou d'un voisin malveillant.

La délation en France sous l'occupation

Le Programme du Conseil national de la Résistance prévoyait l'application immédiate d'une politique de défense civile à la Libération. La délation était alors considérée comme une des méthodes de collaboration active avec l'ennemi.

Les motivations de son interdiction sont explicables par le souvenir de son emploi systématique par les forces d'occupation nazie.

À la suite de Philippe Burrin[16], les historiens parlent de « collaboration au quotidien » pour désigner un certain nombre de comportements significatifs ne relevant pas de l'engagement politique actif : rapports personnels scandaleusement cordiaux entretenus avec des Allemands, envoi de lettres de délation à la police ou à la Gestapo (cinq millions de lettres anonymes comptabilisées), chefs d'entreprises sollicitant d'eux-mêmes des commandes de l'ennemi, relations amoureuses affichées avec des soldats de l'armée d'occupation, voire des membres de la Gestapo, etc… Il y aura des conséquences lors de l'épuration à la Libération en France.

Cette période soulève le paradoxe de la dénonciation des délateurs.

Les peines prononcées à l'encontre des délateurs durant cette période de l'histoire pouvaient aller jusqu'à la condamnation à mort, aujourd'hui abolie.[réf. souhaitée]

La dénonciation en France aujourd'hui

Au terme de l'article 15-1 de la loi consolidée du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité « les services de police et de gendarmerie peuvent rétribuer toute personne étrangère aux administrations publiques qui leur a fourni des renseignements ayant amené directement soit la découverte de crimes ou de délits, soit l'identification des auteurs de crimes ou de délits. » Un arrêté du 20 janvier 2006 permet la rémunération des informateurs[17].

Le « dispositif de participation citoyenne », explicitement inspiré du concept de neighbourhood watch, instauré par circulaire du 25 juin 2011, fait également appel à de tels renseignements.

L'article 40 du Code de Procédure Pénale stipule que « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».

Débats actuels sur la délation

Afin de mieux comprendre le débat actuel sur l'encouragement par les politiques d'États démocratiques à la dénonciation de proximité[18] et le fait de rétribuer ces actes par des sommes d'argent en vue de l'infiltration de réseaux de malfaiteurs, il faut garder à l'esprit que si la délation est immorale, toute dénonciation n'est pas délation, elle peut être morale et même un acte de civisme[19]. Elle peut par exemple fournir aux autorités en place des informations sur les modes de corruption dans une société[20]. En droit du travail, un système de dénonciation par internet des actes illégaux des salariés est aujourd'hui condamné par la justice française[21].

Dans la culture

Dans la littérature

Dans le cinéma

La délation, à travers le rôle de l'espion, est un sujet récurrent des productions cinématographiques :

Articles connexes

Notes et références

  1. Vocabulaire juridique, Gérard Cornu, Puf, entrée « délation », tlfi, encyclopédie Larousse du XXe siècle.
  2. L'Art de la guerre, Sun tsu -500 avant J.-C.
  3. La grande stratégie de l'Empire romain, Edward Luttwak.
  4. http://www.crhq.cnrs.fr/fichiers-attaches-colloques/prog-delation-2008.pdf.
  5. David Alvarez et Robert A. Graham, 'Nothing Sacred : Nazi Espionage Against the Vatican, 1939-1945, Londres / Portland, Frank Cass, 1997 (XIV+190 p.[réf. incomplète].
  6. Revue historique des armées, Espionnage et espionnes de la Grande Guerre [1].
  7. COLLOQUE INTERNATIONAL (CRHQ, CNRS-Université de Caen)  : La dénonciation en France durant la Seconde Guerre mondiale, 2008.
  8. Sun tzu, L'art de la guerre, XIII-8.
  9. Aux origines de la corruption. Carine Doganis.
  10. Yann Rivière, Les délateurs sous l'Empire romain, Ecole française de Rome, , 578 p..
  11. La Bible. Luc 22-4/5/6/7, Jean 6-71/12-5.
  12. Dénonciation d'un soldat français défaitiste pendant la Première Guerre mondiale.
  13. Soudan français-Mauritanie, une géopolitique coloniale (1880-1963), Christelle Jus, Collection l'Ouest Saharien N°2.
  14. Spies in the Vatican: Espionage & Intrigue from Napoleon to the Holocaust, David Alvarez, Lawrence, University Press of Kansas, 2002 (342 p.).
  15. Cette pratique est illustrée dans le livre Rue du prolétaire rouge, récit par Nina et Jean Kéhayan de leur long séjour de deux ans dans l'URSS des années 1970, par une anecdote : après avoir grillé un feu rouge, Jean est dénoncé à la police par l'un de ses enfants !.
  16. Philippe Burrin, La France à l'heure allemande, Ed. du Seuil, 1995.
  17. Arrêté du 20 janvier 2006 pris pour l'application de l'article 15-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation, modifiée par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.
  18. https://www.internet-signalement.gouv.fr/PortailWeb/planets/Accueil!input.action.
  19. « La délation peut-elle être civique ? », regards croisés du philosophe André Comte-Sponville et de l'avocat Henri Leclerc, président honoraire de la Ligue des droits de l'homme, sur ce sujet, dans le magazine L'Express.
  20. [2].
  21. [3].