Ingérence humanitaire

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
(Redirigé depuis Droit d'ingérence)

L'ingérence humanitaire est la justification d'une intervention, qu'elle soit humanitaire ou militaire, en violation avec la souveraine territoriale d'un État, au nom de la protection des droits humains. Cette notion est apparue durant la guerre du Biafra (1967-1970), qui a entraîné une famine, largement couverte par les médias occidentaux mais totalement ignorée par les chefs d'État et de gouvernement au nom de la neutralité et de la non-ingérence.

Histoire[modifier | modifier le code]

L'idée d'aller dans un pays étranger pour y aider la population est ancienne. En 1625, dans son ouvrage De iure belli ac pacis, Hugo Grotius avait déjà abordé la possibilité d'intervenir dans le cas où un tyran commettrait des actes abominables. Au XIXe siècle, on évoque « l'intervention d'humanité ». Les Européens désignent ainsi leurs actions pour aller, officiellement, sauver les chrétiens vivants en Turquie, mais officieusement, pour déstabiliser le sultan de Turquie, Abdülhamid II. Au nom de cette « intervention d'humanité », des « atrocités » sont rapportées[1].

En 1859, Henri Dunant fonde l'organisation internationale de la Croix-Rouge.

Le concept d'ingérence humanitaire est apparu durant la guerre du Biafra (1967-1970). Le conflit a entraîné une famine, largement couverte par les médias occidentaux mais totalement ignorée par les chefs d'État et de gouvernement au nom de la neutralité et de la non-ingérence. Cette situation a entraîné la création d'ONG comme Médecins sans frontières ou Médecins du monde qui défendent l'idée que certaines situations sanitaires exceptionnelles peuvent justifier à titre extraordinaire la remise en cause de la souveraineté des États[2].

Le concept "devoir d'ingérence" est utilisé par le philosophe Jean-François Revel en 1979 concernant la Centrafrique et l'Ouganda puis par Bernard-Henri Levy en 1980 pour le Cambodge[2].

L'ingérence humanitaire est reformulé en tant que "droit d'ingérence" à la fin des années 1980, notamment par le professeur de droit Mario Bettati et l'homme politique Bernard Kouchner[2]. En 1988, La France est le premier pays à se doter d'un secrétariat d'État à l'action humanitaire et milite pour faire reconnaître un principe d'assistance en faveur des victimes de guerres civiles, persécutions, génocides ou catastrophes naturelles.

Entre 1988 et 1991, l'ONU vote trois résolutions destinées à secourir les victimes du tremblement de terre en Arménie, les populations kurdes d'Irak, les ressortissants de l'ex-Yougoslavie menacés par la purification ethnique.

Après la fin de la guerre froide, il y aura une augmentation des tensions autour du concept de souveraineté découlant de la montée en puissance des notions de droit d'ingérence et d'intervention humanitaire. De même, l'émergence de conflits dans la zone de l’Irak donnera un souffle nouveau aux théories de changement de régime. Les interventions militaires en Somalie, en Haïti ou en Bosnie de même que les bombardements du Kosovo et de la Serbie sont des illustrations de la mise en œuvre de moyens militaires au service du droit d'ingérence humanitaire et du changement de régime. Aux États-Unis, après le 11 septembre 2001, ces notions seront reprises par les néo-conservateurs pour justifier aussi les interventions américaines en Irak et en Afghanistan[3].

Dans la pratique, au nom de l'urgence humanitaire, il n'est pas rare que le mandat soit fourni rétroactivement ; ainsi en 2002, l'intervention de la France en Côte d'Ivoire s'est faite initialement sans mandat de l'ONU, la France étant intervenue dans le cadre des accords de défense qui la lient à la Côte d'Ivoire.

Définitions[modifier | modifier le code]

Les défenseurs de l'ingérence humanitaire la justifient principalement au nom d'une morale de l'urgence mettant au-dessus des vicissitudes politiques les droits premiers des êtres humains à la vie. Elle puise son fondement dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948. Une ingérence n'est légitime que lorsqu'elle est motivée par une violation massive des droits de l'homme, et qu'elle est encadrée par une instance supranationale, typiquement le Conseil de sécurité des Nations unies. Certains pensent qu'elle devrait rester dans la sphère des valeurs strictement morales, en étant contraire à la règle fondamentale du droit international selon laquelle un État, étant souverain, n'est lié par une règle de droit que s'il l'a acceptée en ratifiant un traité ou en y adhérant.

Dans la pratique, les actions d'ingérence humanitaire sont toujours réalisées par des contingents nationaux, ce qui peut impliquer deux situations relativement différentes :

Le droit d'ingérence est la reconnaissance du droit qu'ont une ou plusieurs nations de violer la souveraineté nationale d'un autre État, dans le cadre d'un mandat accordé par l'autorité supranationale.

Le devoir d'ingérence est l'obligation qui est faite à tout État de veiller à faire respecter le droit humanitaire international. Refusant ainsi aux États membres de l'ONU tout « droit à l'indifférence », cette obligation n'ouvre toutefois aucun droit à l'action de force unilatérale. Elle doit plutôt être comprise comme une obligation de vigilance et d'alerte à l'encontre de telle ou telle exaction qu'un gouvernement serait amené à connaître[4].

Les limites[modifier | modifier le code]

En dépit des idées généreuses, qui placent au premier rang des valeurs comme la démocratie ou le respect des droits de la personne humaine, la notion d'ingérence humanitaire est l'objet de débats juridiques et politologiques.

Dans les faits, une mission d'ingérence est contraire à certains objectifs fondamentaux de l'ONU aspect de la souveraineté des États. L'article 2.7 de la Charte des Nations unies dispose : « Aucune disposition de la présente charte n'autorise les Nations unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un État ».

D'autre part, pour de nombreux juristes, la création de ce concept est inutile. En effet, la Charte des Nations unies contient déjà de nombreuses dispositions allant dans ce sens, en particulier, dans les chapitres VI et VII. La réelle question ne serait donc pas celle de la création d'un nouveau droit, mais celle de la mise en application de droits déjà existants.

Plus fondamental que ce problème de droit, l'ingérence humanitaire souffre d'un certain nombre de contradictions qui sont principalement dues à la confusion entre droit et devoir d'ingérence. Il est en effet difficile dans ces conditions de séparer les mobiles humanitaires, des mobiles politiques et de s'assurer du total désintéressement des puissances intervenantes. L'ingérence humanitaire peut ainsi être un prétexte à une ambition géopolitique.

Les États puissants étant moins susceptibles de connaître une ingérence compte tenu de la nécessité pour les grandes puissances de respecter les équilibres internationaux, le concept d'ingérence est remis en cause du fait de la dissymétrique entre les États, tous n'étant pas égaux devant l'ingérence. Le concept fait donc l'objet de critique de la part, notamment, des pays du Tiers-monde, qui y voient une résurgence des pratiques coloniales. Ainsi, le sommet du Groupe des 77, qui réunit les pays en développement, condamne en 1990 le « prétendu droit d'intervention humanitaire » mis en avant par les grandes puissances.

En Occident également, l'ingérence humanitaire a des opposants, considérant que le droit d'ingérence est une manière cachée de propager les valeurs de la démocratie.

Comme le prouve la crise ouverte autour de l'intervention américaine en Irak, l'équilibre délicat entre la répression des bourreaux et le respect de l'égalité souveraine des nations reste donc à trouver. L'affaire de l'Arche de Zoé et celui du convoi humanitaire russe à destination des populations pro-russes de la région de Donetsk en en fournissent d'autres exemples qui alimentent la controverse.

Ingérence humanitaire et cohérence des droits[modifier | modifier le code]

La controverse sur l'ingérence humanitaire est une manifestation de la problématique plus générale de la cohérence, au niveau mondial, entre différents droits également reconnus sur le plan théorique mais contradictoires en pratique.

Les droits de l'homme, en l'occurrence, sont considérés comme ayant valeur universelle et sont donc censés devoir être appliqués en tout lieu, et ce indépendamment de la volonté des dirigeants locaux. L'une des conséquences ultimes de la philosophie des droits de l'homme est l'illégitimité des gouvernements qui ne les respectent pas, et a contrario la légitimité des interventions extérieures tendant à les faire respecter.

La souveraineté nationale est cependant un autre principe fondamental universellement reconnu. Ce principe rend nécessairement illégitime toute intervention extérieure non sollicitée par le pouvoir local, quelles qu'en soient les raisons.

Le droit international ne définit pas de hiérarchie explicite entre droits de l'homme et souveraineté nationale. Il n'existe donc pas de réponse strictement juridique à la question de savoir si un État illégitime au regard des droits de l'homme reste légitime dans son opposition à toute intervention étrangère.

Cette situation contradictoire est d'autant plus complexe que, par ailleurs, il n'existe pas de consensus international sur le contenu et l'interprétation des droits de l'homme.

En outre, certains pays ont officiellement aménagé leur adhésion à la déclaration universelle en la « complétant » par des déclarations régionales qui mettent les devoirs envers les institutions locales (famille, État) sur le même plan que les droits et qui mettent en avant la notion de droit des peuples qui a pour effet de relativiser les droits des individus ou des minorités face aux autorités politiques nationales (ces dernières étant, en droit international, présumées a priori et jusqu'à preuve du contraire représenter les peuples). La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples est une illustration significative de cette approche ; elle reconnaît notamment (article 20-3) le devoir d'ingérence lorsqu'il s'agit d'aider un peuple à se libérer d'une domination étrangère, mais n'en fait pas mention en cas d'oppression de ce peuple ou d'une partie de ses membres par un gouvernement national agissant sur son territoire.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Camp. A. Rougier, « La théorie de l'intervention d'humanité », Revue générale de droit international public, t. XVII (1910), page 468 et suivantes.
  2. a b et c Marc Fontrier, Le Darfour : Organisations internationales et crise régionale 2003-2008, L'Harmattan, , 310 p. (ISBN 978-2-296-09372-0), p. 130
  3. « Le changement de régime : nouveauté ou constante de la politique étrangère des États-Unis ? », par Denis Duez, in Barbara Delcourt, Denis Duez et Éric Remacle, La Guerre d'Irak : Prélude d'un nouvel ordre international ?, collection Regards sur l’international, p. 185-212.
  4. Yves SANDOZ (membre du conseil exécutif du CICR Croix-Rouge), Revue internationale de la Croix-Rouge, 31/08/1992.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Fernando Teson et Bas van der Vossen, Debating humanitarian intervention. Should we try to save strangers?, Oxford University Press, 2017.

Liens externes[modifier | modifier le code]