Diaspora turque en France

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Turcs de France

Populations importantes par région
Population totale de 700 000 à 1 000 000[1],[2] (2020)
Autres
Langues français, turc, kurde
Religions sunnisme, alévisme, autres

Drapeaux français et turc lors d'une marche à Paris (janvier 2015) de soutien aux victimes de l’attentat contre Charlie Hebdo.
« Paristanbul », un restaurant turc à Paris, sis rue du Chemin-Vert.

La diaspora turque en France comprend les immigrés et descendants d'immigrés venus de Turquie.

Histoire de l'immigration turque en France[modifier | modifier le code]

Début de l'immigration turque en France[modifier | modifier le code]

L’immigration turque en France débute au milieu des années 1960, lorsque la France et la Turquie signent, le 8 avril 1965 à Ankara, un accord bilatéral relatif au recrutement de travailleurs turcs à destination de la France. Cet accord, connu sous le nom de « convention de main-d’œuvre entre la France et la Turquie », est publié dans le Journal officiel de la République française en date du 15 juin 1965, à travers le décret no 65-447 du 10 juin 1965. L'Agence pour l'Emploi en Turquie est notamment sollicitée par les fonderies française à la recherche d'une main-d'œuvre pour les postes les plus pénibles : grenaillage, meulage ou ébarbage[3].

Au départ, cette immigration s'opère donc deux manières : les Turcs viennent en France, non par choix mais par défaut, pour travailler et finalement retourner dans leur pays, ou rejoindre l’Allemagne à terme, et en France plus spécifiquement car l’Allemagne cesse la politique du « gastarbeit », c’est-à-dire de l’importation de main-d’œuvre étrangère, à cause d’une récession économique.

Développement de l'immigration turque en France[modifier | modifier le code]

Elle se développe dans les années 1970 par la voie du regroupement familial et des demandes d’asile, liées au contexte de crise en Turquie autour des affrontements entre militants de gauche et militants nationalistes. Cette crise politique se répercute évidemment sur l’économie du pays. En 1974, la France cesse à son tour l’importation de travailleurs étrangers, en raison des chocs pétroliers et des difficultés économiques éprouvées.

Mais à la suite du coup d’État du 12 septembre 1980, la crise en Turquie s’accentue et de nouveaux immigrants turcs arrivent sur le sol français. Dans les années 1990, au milieu d’une guerre entre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et l’armée turque au sujet de la création d’un État kurde indépendant, des villages kurdes sont détruits, et de nombreux Kurdes décident de se réfugier en France notamment. De nombreux alévis s'ensuivent. À côté de ces moyens légaux, c’est-à-dire le séjour de travailleurs turcs (souvent dans le cadre d'entreprises de BTP[3]), le regroupement familial et l’asile, il existe aussi une immigration clandestine, parfois cachée derrière des intentions touristiques, dont l’ampleur est néanmoins inconnue.

Caractéristiques de l'immigration turque en France[modifier | modifier le code]

L'immigration turque en France comporte plusieurs particularités qui ne sont néanmoins pas exclusives. Il s'agit d'abord d'une immigration tardive par rapport aux autres, et plus précisément, de la dernière immigration officielle des Trente Glorieuses avec l'immigration asiatique et l'immigration de l'Afrique noire. Ainsi, il est question d'une immigration récente qui est toujours en développement.

Ensuite, les immigrés turcs sont tous musulmans sauf exceptions marginales : soit de la branche sunnite de l'islam, majoritaire en Turquie, soit de l'alévisme, une religion syncrétique qui s'apparente au chiisme et dont les membres sont depuis plusieurs siècles opprimés en Anatolie pour leur prétendue hérésie. Par ailleurs, l'immigration turque se distingue notamment de l'immigration maghrébine par l'absence de liens historiques forts, et plus particulièrement de liens historiques liés à la colonisation, entre la Turquie et la France, et se manifestant par des difficultés en langue et des écarts culturels pour les immigrés turcs.

Selon Stéphane de Tapia, chercheur français en études turques, la diaspora turque en France est originaire de « zones rurales, souvent très conservatrices ». Ce qui expliquerait par exemple la « forte adhésion au président Erdoğan » durant le référendum constitutionnel turc de 2017[4]. L'universitaire Mehmet-Ali Akinci, professeur à l'université Rouen-Normandie, complète cette analyse en indiquant que l'identité de la diaspora turque est « construite autour de valeurs telles que la religion, le nationalisme (turcité) et l'attachement nostalgique au pays (gurbet) »[5].

À l'automne 2020, dans le contexte de la guerre au Haut-Karabagh, les tensions entre communautés arménienne et turques s'intensifient. En réaction au blocage d'un péage d'autoroute par des manifestants pro-arméniens, des expéditions punitives sont menées par des activistes turcs armés à Décines-Charpieu, aux cris de « Allahou Akbar ! ». Des graffitis sont aussi tagués sur la façade du Centre national de la mémoire arménienne de la commune (« Loups gris ») et du mémorial du génocide (« Nique l'Arménie »). Par la suite, le gouvernement français dissout sur son territoire le mouvement paramilitaire des Loups gris, l'organisation de jeunesse d'un partenaire de coalition du président Erdogan en Turquie ; cette décision est critiquée par le ministère des Affaires étrangères turc. Elle ne risque cependant pas d'atténuer l'influence de l'AKP, le parti d'Erdogan, sur la diaspora, la Turquie contrôlant (légalement) de nombreuses mosquées sur le territoire français (320 sur 2600 lieux de culte, avec 151 imams turcs formés et payés par le Ditib)[5],[6],[7].

Démographie[modifier | modifier le code]

Statistiques générales[modifier | modifier le code]

Le nombre de Turcs vivant en France n'est pas clair et varie selon les sources puisque la France ne reconnaît pas la double-nationalité franco-turque contrairement à la Turquie[4], et que par ailleurs, en France, les statistiques ethniques sont interdites. Selon l’INSEE, en 2013, le nombre de Turcs est de plus de 216 000 (dont environ 102 000 femmes), c’est-à-dire 5 % de l’ensemble des étrangers vivant en France[8],[9]. Les consulats turcs de France, pour leur part, comptent un peu plus de 611 000 Turcs et Franco-Turcs en France, 800 000 en estimant le nombre de personnes en situation irrégulière venues de Turquie. Toujours selon ces consulats, la diaspora turque en France est essentiellement concentrée à Paris (environ 270 000), à Strasbourg (environ 135 000), à Lyon (environ 130 000) et à Marseille (environ 62 000)[10]. Lors de l'élection présidentielle turque de 2018, 330 000 ressortissants turcs étaient inscrits sur les listes de l'ambassade de Turquie en France[11].

En 2020, on compte au moins 1 000 000 Turcs d'origine, la moitié possédant la nationalité française. Il s'agit de la deuxième communauté turque d'Europe après celle de l'Allemagne[1],[2].

Nombre de demandeurs d'asile depuis 2008[modifier | modifier le code]

Évolution du nombre de premiers demandeurs d'asile en France et dans l'Union européenne depuis 2008, selon Eurostat[12].
Pays 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017
Drapeau de la France France NC 2 050 1 415 1 740 2 030 1 685 1 400 1 015 1 010 1 290
Drapeau de l’Union européenne Union européenne 3 045 4 940 4 620 5 060 5 020 4 605 4 415 4 180 10 105 14 640

À partir de 2016, on remarque une augmentation significative du nombre de demandeurs d'asile turcs dans l'Union européenne et dans une moindre mesure en France, principalement à cause de la tentative de coup d'État de 2016 en Turquie et des purges qui l'ont suivi[13]. Selon les données d'Eurostat, en 2017, la France est le troisième pays qui accueille le plus de demandeurs d'asile turcs avec 1 290 premiers demandeurs, après l'Allemagne (8 025) et la Grèce (1 820), et avant la Suède (825), la Suisse (770) et le Royaume-Uni (505)[12].

Caractéristiques[modifier | modifier le code]

Religion[modifier | modifier le code]

Les Turcs de France sont essentiellement musulmans, dont 200 000 plus précisément sont alévis[14]. Leur religiosité est forte (plus de 70 % accordent une place importante à la religion) puisqu'elle est perçue comme une résistance à l’assimilation culturelle. Cette protection de l'identité turque passe également par la fréquentation de nombreuses associations culturelles à caractère religieux dont notamment celles de la confrérie de Fethullah Gülen. Malgré cette religiosité importante, les Turcs de confession musulmane ne sont quasiment pas touchés par la radicalisation[15],[16].

Répartition confessionnelle de la diaspora turque en France, selon une enquête de l'INED et l'INSEE (2008)[17]
Confession Pourcentage
Sans religion 6
Chrétien 5
Musulman 88
Autre 1
Total 100

Préférences politiques[modifier | modifier le code]

En 2023, sur les 64 millions de citoyens turcs inscrits sur les listes électorales, 3,4 millions votent à l’étranger. Parmi eux, 1,5 million – soit près de la moitié – se trouvent en Allemagne, plaçant ce pays loin devant la France (397 000 électeurs)[18].

Les personnes d'origine turque en France votent massivement pour le président sortant conservateur Recep Tayyip Erdoğan. Ainsi, près de 65 % des Turcs vivant en France ont voté pour le référendum constitutionnel d'Erdoğan en 2017[19].

Au premier tour de l'élection présidentielle turque de 2023, 64 % de la diaspora turque en France vote pour Recep Tayyip Erdoğan, un pourcentage plus élevé que le vote en Turquie, Erdoğan n'obtenant au total que 49 % des voix[20]. Dans le Puy-de-Dôme, les électeurs du département, le placent en tête avec plus de 91 % des voix, ce qui constitue un record en Europe[21].

Turcs célèbres en France[modifier | modifier le code]

Événements liés à la diaspora[modifier | modifier le code]

Le 11 novembre 1984, à Châteaubriant en Loire-Atlantique, un terroriste xénophobe armé d'un fusil de chasse tue deux ouvriers turcs et en blesse cinq autres.

Œuvres sur l'immigration turque en France[modifier | modifier le code]

Films et documentaires[modifier | modifier le code]

  • Ma mère et mon père (Annem ve Babam), film documentaire réalisé par Müret Isitmez et sorti en 2015[22].
  • Turcs en Normandie, film documentaire réalisé par Ali Badri et sorti en 2019[23].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Jean-Gustave Hentz et Michel Hasselmann, Transculturalité, religion, traditions autour de la mort en réanimation, Springer-Verlag France, (ISBN 978-2-287-99072-4, DOI 10.1007/978-2-287-99072-4_33, lire en ligne) :

    « La France d’aujourd’hui est une société multiculturelle et multiethnique riche de 4,9 millions de migrants représentant environ 8 % de la population du pays. L’immigration massive de populations du sud de l’Europe de culture catholique après la deuxième guerre mondiale a été suivie par l’arrivée de trois millions d’Africains du Nord, d’un million de Turcs et de contingents importants d’Afrique Noire et d’Asie qui ont implanté en France un islam majoritairement sunnite (Maghrébins et Africains de l’Ouest) mais aussi chiite (Pakistanais et Africains de l’Est). »

  2. a et b Joseph Gallard et Julien Nguyen, « Il est temps que la France appelle à de véritables sanctions contre le jeu d'Erdogan », sur marianne.net, .
  3. a et b Rault, Y.-M. (2014). Être Turc et vivre à Redon: Pratiques spatiales de l’identité. Sciences Po Rennes.
  4. a et b « Référendum en Turquie : que sait-on du vote des Turcs installés en France ? », sur lemonde.fr, (consulté le )
  5. a et b Jean-Louis Tremblais, « Les Arméniens de France aussi sous la menace », Le Figaro Magazine,‎ , p. 56-57 (lire en ligne).
  6. Christophe Ayad, « A Décines, dans la banlieue de Lyon, l’ombre des « Loups gris », des ultranationalistes turcs, sur les Arméniens », lemonde.fr, 17 septembre 2020.
  7. « Violences entre Turcs et Arméniens dans le Rhône : « À tout moment, ça peut dégénérer » », lepoint.fr, 29 octobre 2020.
  8. « Répartition des étrangers par nationalité en 2013 », sur INSEE, (consulté le )
  9. « Population par sexe, âge et nationalité en 2013 », sur INSEE, (consulté le )
  10. « La communauté turque compte 611.515 personnes en France », sur Zaman France, (consulté le )
  11. « En France, la communauté turque a massivement voté pour Erdogan », sur francetvinfo.fr, (consulté le )
  12. a et b (en) « Asylum and first time asylum applicants by citizenship, age and sex Annual aggregated data (rounded) », sur Eurostat, (consulté le )
  13. (en) « 14,640 Turkish citizens claimed asylum in EU in 2017: Eurostat », sur turkeypurge.com, (consulté le )
  14. Erwan Kerivel, La vérité est dans l'homme : les Alévis de Turquie, Alfortville, SIGEST, , 196 p. (ISBN 978-2-917329-46-7), p. 19
  15. Samim Akgönül, « Appartenances et altérités chez les originaires de Turquie en France », sur Hommes et migrations, (consulté le )
  16. « 8 avril 1965 : le cinquantenaire de la présence turque en France », sur Zaman France, (consulté le )
  17. Hugues Lagrange, « Pratique religieuse et religiosité parmi les immigrés et les descendants d’immigrés du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et de Turquie en France » [PDF], sur Institut d'études politiques de Paris, (consulté le )
  18. Thomas Wieder, Elections en Turquie : le vote turc en Allemagne, un réservoir de voix pour Erdogan, lemonde.fr, 12 mai 2023
  19. Comment la diaspora turque en Europe a-t-elle voté au référendum ?, ouest-france.fr, 19 avril 2017
  20. Camille Sellier, Élections en Turquie : pourquoi la diaspora turque européenne a voté en faveur d’Erdogan, lejdd.f, 18 mai 2023
  21. Alix Vermande, En Auvergne, au cœur de la communauté turque la plus pro-Erdogan d’Europe, lefigaro.fr, 26 mai 2023
  22. Sandrine Marques, « « Ma mère et mon père »: le travail de mémoire d’une fille d’immigrés turcs », sur lemonde.fr, (consulté le )
  23. Cinéma. Le documentaire Turcs en Normandie à découvrir sur France 3

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]