Delta du Mékong (région)

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Les douze provinces et la municipalité constituant la région du delta du Mékong.

La région du delta du Mékong, en vietnamien đồng bằng sông Cửu Long, littéralement en français « delta des 9 dragons », est une région administrative du sud du Viêt Nam couvrant une partie importante du delta du fleuve Mékong. Elle couvre une superficie d'environ 39 000 km2 et est subdivisée en douze provinces et la municipalité de Cần Thơ (Prek Russey)[1].


Provinces[modifier | modifier le code]

Statistiques du Delta du Mékong[2]
No. Provinces/Municipalité
(Nom Khmer entre parenthèses)
Superficie
(km²)
Population
(2009)
Population
(2012)
Densité
(h/km²)
1 Cần Thơ (Prek Russay) 1 409,0 1 188 435 1 214 100 813,3
2 An Giang (Moat Chrouk) 3 536,8 2 142 709 2 153 700 625,0
3 Bạc Liêu (Polleav) 2 584,1 856 518 873 400 317,4
4 Bến Tre (Kompong Russey) 2 360,2 1 255 946 1 258 500 573,4
5 Cà Mau (Ta Khmaw) 5 331,7 1 206 938 1 217 100 231,1
6 Đồng Tháp (Barach) 3 376,4 1 666 467 1 676 300 494,0
7 Hậu Giang (Prek Russey) 1 601,1 757 300 1 033 600 497,7
8 Kiên Giang (Peam et Kramoun Sar) 6 348,3 1 688 248 1 726 200 265,4
9 Long An (Kompong Kô) 4 493,8 1 436 066 1 458 200 316,7
10 Sóc Trăng (Khleang) 3 312,3 1 292 853 1 301 900 385,3
11 Tiền Giang (Me Sa) 2 484,2 1 672 271 1 692 500 691,3
12 Trà Vinh (Preah Trapeang) 2 295,1 1 003 012 1 015 300 451,7
13 Vĩnh Long (Lung Haor) 1 479,1 1 024 707 1 044 900 714,6

Histoire[modifier | modifier le code]

Des fouilles archéologiques menées depuis la fin des années 1990 ont établi que la région est habitée depuis plus de 2 000 ans. Des royaumes qui gravitaient autour de l’antique cité d’Angkor Borey (actuellement dans la province cambodgienne de Takev) et l’ancien port d’Óc Eo (aujourd’hui dans la province vietnamienne d’An Giang) datent d’au moins 500 ans avant l’apparition du royaume du Fou-nan[3], décrit par des émissaires chinois qui visitèrent la région au IIIe siècle de notre ère. L’archéologue Miriam Stark, qui a dirigé des recherches depuis 1999 dans la région[4], affirme que l’empire khmer qui régna sur la zone du IXe siècle au XVIIe siècle, n’est qu’un des derniers de la longue liste des régimes qui se sont succédé au sud du delta du Mékong[5].

En 1623, alors que l’empire khmer a amorcé son déclin, le roi Chey Chettha II du Cambodge (1618-1628) autorise des réfugiés Kinh qui fuient la guerre civile en Annam entre les Trinh et les Nguyen à s'installer dans la région de Prey Nokor, un ancien village de pêcheurs bâti sur des marécages et devenu le principal port maritime de l’empire[6].

En 1698, le prince Nguyễn Hữu Cảnh est envoyé par la cour de Hué pour établir une administration annamite sur la région et la détacher de la tutelle du Cambodge alors en pleine déliquescence[7]. La « vietnamisation » s’accélère ; les Khmers sont réduits au statut de population minoritaire[8] ; très vite, Prey Nokor devient Sài Gòn, avant d’être rebaptisée bien plus tard (1975) Hô-Chi-Minh-Ville.

En 1757, l’expansion se poursuit avec la colonisation des provinces de Psar Dèk (renommée Sa Đéc[Note 1]), rattachée aujourd’hui à la province de Đồng Tháp) et Moat Chrouk (qui deviendra Châu Dôc)[6].

En , un traité est conclu entre le roi cambodgien Ang Duong et les commandants des forces annamites et siamoises, qui confirme l’annexion définitive du delta du Mékong par le premier nommé[9],[10],[11].

Le souverain khmer n'abandonnait pas pour autant tout espoir de récupérer un jour ces provinces et allait notamment le montrer dans sa lettre de 1856 à Napoléon III où il confirmait que le Cambodge ne renonçait nullement à ses droits[Note 2],[13].

La donne change le , lorsqu’un corps expéditionnaire français s'empare de Sài Gòn et interrompt l’opération de « pacification » menée par le gouverneur Phan Thanh Giản contre les populations autochtones khmères[14],[15]. Le , l'empereur annamite Tự Đức doit céder à la France les provinces de Đồng Nai, Gia Dinh et Vinh Tuong[16]. À partir de , les forces françaises jouent des antagonismes interethniques et utilisent notamment des combattants Khmer Krom[17] pour investir les provinces de Vĩnh Long, Hà Tiên et Châu Dôc, qui sont annexées aux possessions françaises en 1867. Le , un nouveau traité franco-annamite confirme la pleine souveraineté de la France sur ces trois provinces nouvellement annexées : la colonie française de Cochinchine vient de naître[18].

L’exploitation de cette nouvelle colonie exige rapidement une main d’œuvre nombreuse que la région n’est pas en mesure de fournir. La France puise alors les bras qui lui manquaient dans les plaines surpeuplées du Tonkin — essentiellement par l’ethnie Kinh —, ne faisant qu’accentuer d’autant le sentiment des Khmer Krom de se sentir relégués au rôle d’intrus sur leurs terres[19].

La colonie perdure jusqu’au , date à laquelle l’Empire colonial français est remplacé par l’Union française, qui donne des pouvoirs toutefois très limités aux anciennes dépendances. À cette occasion, la Cochinchine est réintégrée à l’État du Viêt Nam[20]. Mais, devant les prétentions cambodgiennes sur la région, l'article 3 de la loi de cession du territoire rend ce rattachement provisoire et susceptible d’être remis en cause si le statut du Viêt Nam vient à changer[21].

Ce changement intervient le lors des accords de Genève qui scellent l’indépendance totale du Viêt Nam, sans toutefois que le statut de la Cochinchine, intégrée à la République du Sud - Viêt Nam, ne soit rediscuté.

Une fois la guerre du Viêt Nam finie, le delta du Mékong est rattaché, le , à la République socialiste du Viêt Nam[22]. Elle est toutefois l'objet de tensions diplomatiques fortes avec le Cambodge, également communiste. Les villages proches du Cambodge deviennent en effet la cible d’attaques et de massacres répétés de la part des khmers rouges, nouveaux maîtres de Phnom Penh[23]. La réplique intervient le avec l’offensive de l’armée vietnamienne qui débouche sur la chute du régime de Pol Pot et l’occupation du pays khmer pendant plus de dix ans[24]. Cette guerre est la première entre deux pays communistes, appartenant théoriquement au même bloc[25].

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Sa Đéc correspond à la Sadec des romans autobiographiques de Marguerite Duras (notamment L'Amant et L'Amant de la Chine du Nord.
  2. « Je pris votre Majesté de connaitre le nom des provinces ravies, ce sont celles de Song Nay, enlevée depuis plus de 200 ans, mais beaucoup plus récemment celles de Saïgon, de Long Hô, Psar Dec, Mi Thô, Pra-trapang Ong Môr, Tiec Khmau, Peam ou Hatien, les îles de Cô Trol et de Tralach. Si par hasard les Annamites venaient à offrir à V.M. quelqu'une de ces contrées, je la prie de ne pas la recevoir parce qu'elles appartiennent au Cambodge »[12].

Références[modifier | modifier le code]

  1. (en) « Mekong Delta », delta-alliance.org/ (consulté le )
  2. « Area, population and population density in 2012 by province », General Statistics Office Of Vietnam, (consulté le )
  3. (en) Peregrine, P.N. & Melvin Ember, Encyclopedia of Prehistory: East Asia and Oceania, Springer, © 2001 (ISBN 978-0306462573)
  4. (en) Dr Miriam T. Stark, Lower Mekong Archaeological Project University of Hawai’i at Manoa, Department of Anthropology
  5. (en) Dr Miriam T. Stark, Excavating the Delta, Humanities, Septembre/Octobre 2001
  6. a et b (en) Nicholas Tarling, The Cambridge History of Southeast Asia, Cambridge University Press, (ISBN 978-0521663717)
  7. Mathieu Guérin, Andrew Hardy, Nguyen Van Chinh, Stan-Tan Boon Hwee & Yves Goudineau, Des montagnards aux minorités ethniques : Quelle intégration nationale pour les habitants des hautes terres du Viêt Nam et du Cambodge ?, L'Harmattan, (ISBN 978-2747532884)
  8. (en) Michael D. Coe, Angkor and the Khmer Civilization, London, Thames and Hudson, (ISBN 978-0500021170)
  9. A. Dauphin-Meunier, Histoire du Cambodge, PUF,
  10. Phung Van Dan, La formation territoriale du Vietnam, Bruxelles, Revue du Sud-Est Asiatique,
  11. (fr) Obayawath Wasana - Les relations entre la Thaïlande et le Cambodge depuis 1863, thèse, Université d’Aix-Marseille, 1968
  12. (fr) Charles Meyniard, Le Second Empire en Indochine, Paris, Société d'Editions scientifiques, , p. 431-432
  13. (fr) Alain Forest, Le Cambodge et la colonisation française : Histoire d'une colonisation sans heurts (1897 - 1920), vol. 1, Éditions L'Harmattan, coll. « Centre de documentation et de recherches sur l'Asie du Sud-Est et le monde insulindien », , 546 p. (ISBN 9782858021390), chap. XVI (« Cambodgiens et Vietnamiens au Cambodge - Avant l'établissement du protectorat »), p. 433-434
  14. (fr) Alain Forest (dir.) et al., Cambodge contemporain, Les Indes savantes, , 525 p. (ISBN 9782846541930)
  15. (fr) Thi-Minh-Lê Phan & Pierre-P Chanfreau Phan Thanh Gian, patriote et précurseur du Vietnam moderne. : Ses dernières années (1862-1867), L'Harmattan, 1er novembre 2003, (ISBN 978-2747516204)
  16. (en) Oscar Chapuis, The Last Emperors of Vietnam: From Tu Duc to Bao Dai, Greenwood Press, 30 mars 2000, (ISBN 978-0313311703)
  17. (fr) Charles Andre Julien et Robert Delavignette, Les constructeurs de la France d'outre-mer, Correa, 1946
  18. (fr) Raoul Marc Jennar - ka-Set – Célébrer les 4 et 5 juin : entretenir une fiction, 4 juin 2008
  19. (fr) Marc Ferro, Le livre noir du colonialisme, Hachette, 17 mars 2004 (ISBN 978-2012791831)
  20. (en) Pierre Brocheux, The Mekong Delta: Ecology, Economy, and Revolution, 1860-1960, University of Wisconsin, 15 juin 2009 (ISBN 978-1881261131)
  21. (fr) Journal officiel de la République française du 5 juin 1949, page 05502 – Loi n° 49-733 du 4 juin 1949 modifiant le statut de la Cochinchine dans l’Union française
  22. (fr) Philippe Franchini, Les guerres d'Indochine, Pygmalion, Paris, 1997, (ISBN 2857042671)
  23. (fr) Nayan CHANDA, Les frères ennemis, Éditions du CNRS, © Septembre 1987, (ISBN 9780222200211)
  24. (fr) Laurent Cesari, L'Indochine en guerres, 1945-1993, Belin (20 avril 2000) (ISBN 9782701114057)
  25. Aymeric Chauprade, Géopolitique : constantes et changements dans l'histoire, Ellipses, (ISBN 978-2-7298-3172-1 et 2-7298-3172-X, OCLC 184969711, lire en ligne)

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Steffen Gebhardt, Juliane Huth, Nguyen Lam Dao, Achim Roth, and Claudia Kuenzer, A comparison of TerraSAR-X Quadpol backscattering with RapidEye multispectral vegetation indices over rice fields in the Mekong Delta, Vietnam, International Journal of Remote Sensing 22(24), 2012, 7644 p.
  • Claudia Kuenzer, Huadong Guo, Patrick Leinenkugel, Xinwu Li, and Stefan Dech, Flood and inundation dynamics in the Mekong Delta: an ENVISAT ASAR based time series analyses, In print at: Remote Sensing.
  • Patrick Leinenkugel, Thomas Esch, and Claudia Kuenzer, Settlement detection and impervious surface estimation in the Mekong delta using optical and SAR data, Remote Sensing of Environment 115(12), 2011, 3007 p.

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]