Coup d'État du 13 mai 1958

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Le putsch d'Alger ou coup d'État du 13 mai est le coup d'État mené à Alger (département d'Alger) le mardi , conjointement par l'avocat et officier parachutiste de réserve Pierre Lagaillarde, les activistes pieds noirs, les représentants à Alger des barons du gaullisme Léon Delbecque et Lucien Neuwirth, les généraux Raoul Salan, Edmond Jouhaud, Jean Gracieux, l'amiral Auboyneau avec l'appui de la 10e division parachutiste du général Massu et la complicité active des alliés de Jacques Soustelle et tacite des chefs d'États-Majors de l'Armée à Paris et de nombreux hauts fonctionnaires[1].

Dans le contexte de la guerre d'Algérie et d'une lutte pour le pouvoir, ce coup d'État militaire avait pour but d'empêcher la constitution du gouvernement Pierre Pflimlin et d'imposer un changement de politique allant dans le sens du maintien de l'Algérie française au sein de la République. La crise qu'il provoqua se solda par la fin de la « traversée du désert » pour le général en retraite Charles de Gaulle et son retour au pouvoir. Indirectement, cet événement est à l'origine de la fin de la Quatrième République et de l'avènement de la Cinquième République.

Cet évènement se déroule plus d'un siècle après le 2 décembre 1851, et trois ans avant l'échec du putsch des généraux de 1961. Quoique sa qualité de coup d'état soit controversée, il s'agirait alors du dernier coup d'État réussi en France à l'issue de l'opération Résurrection : en effet, le coup de force en Algérie, ainsi que la prise de la Corse ont été des succès. Seule l'arrivée au pouvoir de Charles de Gaulle le 1er juin par une voie légale (sa nomination au poste de président du Conseil par René Coty), a convaincu les putschistes de faire cesser l'opération, dont le but était précisément cette accession du Général au pouvoir du gouvernement français, et dont la dernière phase, devenue superflue, prévoyait une prise de contrôle de Paris, via le parachutage de certaines unités ainsi que l'appui d'officiers et hauts fonctionnaires gaullistes de France métropolitaine.

Situation à Paris[modifier | modifier le code]

SFIO en crise et affaire de Sakiet[modifier | modifier le code]

En 1958, la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO), parti de gauche regroupant plusieurs courants socialistes, est au pouvoir depuis la formation du gouvernement Guy Mollet. Sa gestion de la crise du canal de Suez (1956) puis l'affaire de Sakiet (1958) a provoqué de graves dissensions en son sein et suscité une crise de confiance entre l'armée et les dirigeants politiques. Au lieu de se résorber, celles-ci vont encore s'accentuer, contribuant à l'affaiblissement de l'autorité parisienne.

Vacance du pouvoir et perspective politique[modifier | modifier le code]

À la suite de la chute du gouvernement Félix Gaillard le 15 avril 1958, le pouvoir républicain est mis entre parenthèses pendant vingt-huit jours. Tour à tour Bidault puis Pleven échouent dans leur tentative de former un gouvernement. Le trouble ainsi installé dans l'ordre civil permet la prise du pouvoir par la force à Alger le 13 mai. Le détonateur est la perspective du choix de Pierre Pflimlin comme président du Conseil. Pflimlin est partisan de la négociation avec le FLN, ce que refusent les activistes à Alger[2].

Situation à Alger[modifier | modifier le code]

La journée du 8 mai et le rejet des bons offices[modifier | modifier le code]

Le 8 mai a lieu sur le Forum d'Alger (actuelle Esplanade de l'Afrique) la commémoration de la victoire de 1945 alors qu'à Paris le président de la République René Coty presse René Pleven pour former le gouvernement.

Grève générale et hommage aux victimes[modifier | modifier le code]

À la suite de la revendication par le FLN, le 9 mai, de l'exécution en Tunisie – indépendante depuis 1956 – de prisonniers français appelés du contingent en Algérie (sergent Robert Richomme, soldats René Decourteix et Jacques Feuillebois[3]) par l'ALN, et à l'initiative du général Raoul Salan[4], les anciens combattants, Européens et musulmans, se rassemblent auprès du monument aux morts de 1870, 1914-1918 et 1939-1945, boulevard Laferrière d'Alger, en hommage aux trois victimes[5].

Les préparatifs du coup d'État[modifier | modifier le code]

Le coup d'État est mis au point le par le Groupe des sept, comité secret dont le membre le plus déterminé est Pierre Lagaillarde.

Déroulement du coup d'État[modifier | modifier le code]

Lagaillarde contre Delbecque[modifier | modifier le code]

À Alger, deux factions convoitent le pouvoir mis en ballotage par la vacance prolongée du gouvernement depuis 28 jours. L'avocat et président de l'Association Générale des Étudiants d'Alger, Pierre Lagaillarde (il est âgé de 26 ans et devient par la suite député sans étiquette[6] d'Alger) et ses alliés activistes du Groupe des Sept sont en rivalité avec les partisans gaullistes de Léon Delbecque, conseiller du ministre de la défense nationale gaulliste Jacques Chaban-Delmas, et chef du Comité de Vigilance, qui est lui-même en liaison avec Jacques Soustelle.

Prise du bâtiment du Gouvernement Général[modifier | modifier le code]

, midi : des voitures équipées de haut-parleurs invitent la population d'Alger à manifester dans le calme.

14 heures : grève générale en accord avec la décision du Comité de Vigilance. Les magasins sont fermés et les rideaux de fer tirés.

17 heures : depuis le plateau des Glières[7], Lagaillarde vêtu de son uniforme d'officier parachutiste de réserve (dit « tenue léopard »), lance ses troupes à l'assaut du gouvernement général (surnommé « GG », devenu après l'indépendance de l'Algérie le Palais du gouvernement), symbole de l'autorité parisienne en Algérie. Alger est alors la deuxième ville de la République en termes démographiques.

Après s'être opposés tout d'abord aux CRS qui font usage de gaz lacrymogène, puis aux troupes de la Circulation Routière (unité logistique de l'armée de terre dont l'uniforme particulier rappelle celui de la police militaire américaine coiffée du célèbre casque « M.P. ») et enfin aux parachutistes qui se refusent à ouvrir le feu sur des compatriotes français, les insurgés incendient la bibliothèque du GG contenant des documents administratifs.

Les insurgés, qui se décrivent comme des « Montagnards » (propos tenus par Massu lui-même), prennent le contrôle du GG.

Après le renversement in absentia du gouverneur socialiste Robert Lacoste jugé trop modéré par les partisans de l'Algérie française (Lacoste a quitté Alger pour Paris le 10 mai[8]) un comité de salut public est constitué avec à sa tête des civils et des militaires, européens et arabes.

Comité de salut public[modifier | modifier le code]

Depuis le balcon du gouvernement général, le général Massu s'adresse à la foule algérienne amassée au pied du bâtiment par le biais de la lecture d'un télégramme officiel s'adressant au président de la République. Il demande la mise en œuvre d'un « gouvernement de salut public ». Le lendemain, du même balcon, le général Salan, nommé président du comité, précise la demande d'un nouveau gouvernement par un sonore « Vive de Gaulle ». Léon Delbecque, membre du RPF puis des Républicains sociaux et fidèle du général de Gaulle, devient vice-président du Comité de salut public. Un autre fidèle du général, Lucien Neuwirth, en fait aussi partie.

Cependant ce Comité de salut public n'a pas pour objet de « prendre le pouvoir » mais de peser sur les députés de Paris pour qu'ils mettent un terme à la quasi vacance du pouvoir générée par l'instabilité gouvernementale aiguë. Les acteurs du changement de régime seront René Coty, dernier Président de la IVe République, et de Gaulle, premier Président de la Ve République, tous deux sont d'accord pour que la transition se déroule dans les règles, ce qui sera le cas.

Réactions aux événements[modifier | modifier le code]

Gouvernement Pflimlin[modifier | modifier le code]

En réaction l'assemblée vote dans la nuit du 13 au 14 mai la constitution du gouvernement Pflimlin pour rétablir l'autorité républicaine par 274 voix pour et 137 voix contre[9].

Opération Résurrection[modifier | modifier le code]

Pour accélérer la nomination du général de Gaulle à la tête du gouvernement français, les gaullistes et les putschistes à Alger planifient un complot nommé opération Résurrection.

Un des épisodes de l'opération Résurrection débouche sur la mise sur pied d'un second comité de salut public à Ajaccio, et la prise de contrôle par les putschistes gaullistes de la Corse, sans effusion de sang.

La menace d'une opération militaire et d'un coup d'Etat, prévus par ce complot et phase finale éventuelle de cette opération, cette fois-ci sur Paris, incite les députés à accepter la passation de pouvoir « au plus illustre des Français » que le président René Coty souhaite, ce qu'il obtient en menaçant de démissionner. Le parachutage de militaires aux environs de Paris et la prise de contrôle des lieux de pouvoir par les militaires et les putschistes gaullistes a été annulé in extremis, le président la République René Coty s'étant résolu à nommer de Gaulle comme président du Conseil [10],[11].

Sortie de crise[modifier | modifier le code]

Gouvernement de salut public[modifier | modifier le code]

Devant la menace de prise de pouvoir par l'armée après les coups d'Alger et de Corse, René Coty transmit le pouvoir exécutif à de Gaulle le 1er juin 1958. Dans la foulée celui-ci forma un gouvernement provisoire remplaçant le contesté gouvernement Pierre Pflimlin qui avait cessé d'être deux jours auparavant.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Christophe Nick, Résurrection- Naissance de la Ve République, un coup d'Etat démocratique, Paris, Librairie Arthème Fayard, , 836 p. (ISBN 2-7028-2433-1)
  2. B. Droz et E. Lever, Histoire de la guerre d'Algérie, Seuil, 1982.
  3. Guerre d'Algérie: les prisonniers des djounoud, Yves Sudry, Collection Histoire et perspectives méditerranéennes, Editions L'Harmattan, 2005, p. 196.
  4. Extrême-droite en France, Volume 1, Ariane Chebel d'Appollonia, Vol. 110 de Historiques (Bruxelles), Editions Complexe, 1998, p. 114.
  5. La révolution du 13 mai: avec les témoignages inédits de ses principaux acteurs, Alain de Sérigny, Plon, 1958, p. 56.
  6. Assemblée nationale, Base de données des députés français depuis 1789]
  7. Ancienne dénomination du square desservant la grande Poste d'Alger du temps de l'Algérie française
  8. Bernard Droz et Evelyne Lever, Histoire de la guerre d'Algérie : 1954-1962, Paris, Seuil, , 400 p. (ISBN 2-02-006100-7), p 171
  9. Georgette Elgey, Histoire de la IVe république Tome II de 1956 à janvier 1959 - Robert Laffont rééd. 2018 p. 498
  10. Commandant Vitasse, « Rapport du chef d'escadron Vitasse chargé de mission pour l'organisation en France de l'opération " résurrection" », "Résurrection- Naissance de la Ve République-Un coup d'état démocratique ", par Christophe Nick, Librairie Arthème Fayard , 1998, 836 p. (ISBN 2-7028-2433-1),‎ , en annexe de 56 pages
  11. Témoignages dans le documentaire "Je vous ai compris", CITEL vidéo, décembre 2010

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • La révolution du 13 mai : avec les témoignages inédits de ses principaux acteurs, Alain de Sérigny, Plon, 1958
  • Les 13 complots du 13 mai ou La Délivrance de Gulliver, Merry & Serge Bromberger, Fayard, 1959
  • Le coup d'État du 13 mai : Ils ont pris Alger pour mieux la perdre, Roger Trinquier, L'esprit Nouveau, 1962
  • Christophe Nick, Résurrection- Naissance de la Ve République, un coup d'Etat démocratique, Paris, Librairie Arthème Fayard, , 836 p. (ISBN 2-7028-2433-1)
  • Les complots d'Ajaccio : Mai 1958, Paul Silvani, Albiana, 2009
  • Cet événement constitue la trame de l'album de bande dessinée, Un général, des généraux scénarisée par Nicolas Juncker et dessinée par François Boucq.

Filmographie[modifier | modifier le code]

Documentaire
Vidéos d'archives INA

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]