Tentative de coup d'État de 1981 en Espagne

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Coup d'État du 23 février 1981 en Espagne

Informations générales
Date -
Lieu Congrès des députés, Cortes Generales, Madrid et Valence
Issue Arrestation des putchistes
Belligérants
Militaires franquistes putchistes
Royaume d'Espagne

Congrès des députés


Soutenus par :
Drapeau de l’Union européenne CEE
Drapeau du Royaume-Uni Royaume-Uni

Drapeau du Vatican Vatican
Commandants
Antonio Tejero, lieutenant-colonel de la Garde civile
Jaime Milans del Bosch, général de l'armée de terre
Alfonso Armada, général de l'armée de terre
Juan Carlos Ier, roi d'Espagne
Adolfo Suárez, président du gouvernement
José Antonio Sáenz de Santa María, directeur général de la Police
Forces en présence
200 gardes civils à Madrid
1800 militaires à Valence
Plusieurs chars et véhicules militaires
Entièreté des forces armées espagnoles et de la police
Pertes
Arrestation de tous les putschistes Aucun

Transition démocratique espagnole

Coordonnées 40° 24′ 57″ nord, 3° 41′ 48″ ouest

La tentative de coup d'État du en Espagne, connu en Espagne sous le numéronyme de 23-F[1], perpétré en Espagne par des officiers de l'armée, a été marqué par l'assaut du Congrès des députés par un groupe d'officiers et de sous-officiers de la Guardia Civil - équivalent en Espagne de la gendarmerie en France - qui fut filmé par la télévision espagnole. Ce coup d'État, qui s'est soldé par un échec, se déroula au moment de l'élection de Leopoldo Calvo-Sotelo, membre de l'Union du centre démocratique (UCD), à la présidence du gouvernement espagnol.

Les prémices[modifier | modifier le code]

Le coup d'État de 1981 est étroitement lié aux événements qui se sont déroulés pendant la transition démocratique espagnole. Quatre facteurs engendrent une tension permanente, que le gouvernement d'Union du centre démocratique (UCD) ne réussit pas à contenir : les conséquences de la crise économique ; les difficultés de mise en œuvre d'une nouvelle organisation territoriale de l'État ; les actions terroristes de l'ETA et les résistances de certains secteurs de l'armée à accepter un système démocratique[2].

Les premiers symptômes du malaise de l'armée apparaissent en avril 1977, lorsqu'à la suite de la légalisation du Parti communiste d'Espagne (PCE), le 9, l'amiral Gabriel Pita da Veiga (es), ministre de la Marine, démissionne et que le Conseil supérieur de l'armée émet une note où il manifeste sa désapprobation[3]. En novembre 1978 a lieu le démantèlement de l'opération Galaxia, une première tentative de coup d'État contre la transition vers la démocratie qui s'annonce, menée par différents officiers et dont le chef est Antonio Tejero. Deux officiers sont arrêtés, le lieutenant-colonel de la garde civile Antonio Tejero, et le capitaine de police Ricardo Saenz de Ynestrillas et jugés en 1980[4],[5]. Antonio Tejero est seulement condamné à sept mois de prison[6] et à une assignation à domicile[5].

Alors que la volonté putschiste s'accroît dans l'armée et du côté de l'extrême droite, le gouvernement fait face à une crise profonde, qui atteint en 1980 son paroxysme. Parmi les principaux événements majeurs de cette période, on peut citer la démission, le 15 janvier, du ministre de la Culture, Manuel Clavero Arévalo[7]; le remaniement du gouvernement le 3 mai ; la motion de censure déposée contre Adolfo Suárez par le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) en mai[8] ; la démission, le 22 juillet, du vice-président du gouvernement, Fernando Abril Martorell, qui donne lieu à un nouveau remaniement du gouvernement en septembre[9], et l'aggravation du terrorisme avec des assassinats à Barcelone et au Pays Basque[9].

La faiblesse croissante de Suárez au sein de son propre parti rend de plus en plus probable sa démission comme président du gouvernement et de l'UCD, il est effectivement amené à renoncer fin janvier 1981[10], puis les événements se précipitent. Le 1er février, le collectif « Almendros » publie dans le journal El Alcázar un article clairement putschiste ; du 2 au 4 février, le couple royal voyage au Pays basque, où les députés du parti Herri Batasuna les accueillent par des huées ; le 6 février l'ingénieur de la centrale nucléaire de Lemóniz, séquestré depuis quelques jours, est découvert assassiné[11] alors qu'on reste sans nouvelles d'un autre industriel séquestré, Luís Suñer. Au milieu de ce climat tendu, la succession de Suárez se met en marche[2]. Entre les journées du 6 et 9 février se déroule le 2e congrès de l'UCD à Majorque, où le parti apparaît divisé et où Agustín Rodríguez Sahagún est élu président de circonstance : le 10 février Leopoldo Calvo Sotelo est choisi comme candidat à la présidence du gouvernement.

Les tensions sont déjà très fortes lorsque, le 13 février, est rendue publique la mort, dans la prison madrilène de Carabanchel, du militant basque indépendantiste Jose Ignacio Arregui[12], victime des tortures infligées par des policiers de la Direction générale de la sûreté (ancienne dénomination du secrétariat d'État à la Sécurité). Cela engendre au Pays basque une grève générale et au Congrès une dispute entre les groupes parlementaires. À la suite de cela, le gouvernement destitue plusieurs chefs de la police, tandis qu'ont lieu au ministère de l'Intérieur des démissions en signe de solidarité avec les torturés.

C'est dans ce cadre que le 18 février, Leopoldo Calvo-Sotelo présente son gouvernement, mais lors du vote du 20 février, il n'obtient pas la majorité nécessaire. Cette situation impose un nouveau vote qui est planifié le 23 février. C'est le jour que choisissent les putschistes. Ces putschistes réunissent les partisans d'un coup d'État brutal, imposant une nouvelle dictature militaire, prôné par Antonio Tejero et le capitaine général Jaime Milans del Bosch, et ceux d'un coup d'État en douceur, amenant le roi à prendre la tête d'un gouvernement temporaire de salut public, prôné par le général Alfonso Armada, homme de confiance du roi.

Le coup d’État[modifier | modifier le code]

Impacts de balles dans le plafond de l'hémicycle

Lors de la tentative du coup d’État du 23 février 1981, les divers complots putschistes distincts qui se tramaient depuis le commencement de la transition convergent de façon coordonnée.

Ce jour-là, le président du Congrès des députés ouvre le second vote d'investiture du président du gouvernement. À 18 h 21, un groupe d'officiers et de sous-officiers membres de la Guardia Civil, sous le commandement du lieutenant-colonel Antonio Tejero, fait irruption dans l'hémicycle, interrompt le vote et ordonne à toutes les personnes présentes de s'allonger et ne pas bouger[13]. Instinctivement, le général de division de l'armée de terre Manuel Gutiérrez Mellado, premier vice-président du gouvernement et officier le plus gradé dans la salle, se lève, se dirige vers la tribune où se tient Antonio Tejero et lui ordonne de déposer les armes. Un groupe d'une dizaine de soldats sera nécessaire pour le maîtriser, malgré ses 70 ans.

Les gardes civils ouvrent alors le feu à l'arme automatique vers les plafonds de la salle des séances. Aussitôt, l'intégralité des députés et ministres se couchent dans les travées, à l'exception du secrétaire général du Parti communiste Santiago Carrillo, qui reste assis et du président du gouvernement sortant Adolfo Suárez, ainsi que le général Mellado[14].

Pedro Francisco Martín (es), opérateur de la Télévision espagnole, continue de filmer la séance pendant une demi-heure, apportant un témoignage exceptionnel sur les événements du 23 février[15].

En prenant le contrôle du Congrès et en retenant prisonniers députés et ministres, les putschistes cherchent à instaurer un « vide institutionnel », dont doit profiter un nouveau régime franquiste pour se mettre en place. Quatre personnes sont alors mises à l'écart : Suárez, Carrillo, le secrétaire général du PS Felipe González et son adjoint Alfonso Guerra.

Peu après, le capitán general de la IIIe Région militaire Jaime Milans del Bosch se soulève. Il fait sortir les chars dans les rues de Valence et proclame l'état d’exception en tentant de convaincre les autres militaires de soutenir l'action. À 21 heures, un communiqué du ministère de l'Intérieur informe que les secrétaires d'État et sous-secrétaires des ministères forment une commission permanente, chargée d'exercer les fonctions gouvernementales, sous la présidence du directeur général de la Sécurité de l'État, Francisco Laína et en contact étroit avec les généraux, chefs d'état-major[16]. Entretemps, un autre général putschiste, Torres Rojas, échoue dans son essai de supplanter le général, à la tête de la division blindée Brunete, considérée comme la meilleure division blindée espagnole. Cela marque l'échec de la tentative d'occupation des points stratégiques de la capitale, parmi eux le siège de la radio et de la télévision, et la diffusion d'un communiqué relatant le succès du coup d'État.

Le refus du roi Juan Carlos Ier de soutenir le coup d'État le fait avorter dans la nuit. Le monarque lui-même s'assure par sa gestion personnelle et celle de ses collaborateurs de la fidélité des commandants militaires. L'attitude du président de la Généralité de Catalogne, Jordi Pujol, est aussi remarquable : peu avant 22 heures, il diffuse à toute l'Espagne sur Radio Nacional et Radio Exterior une allocution où il appelle au calme.

Jusqu'à une heure du matin, des négociations ont lieu à l'hôtel Palace, situé à deux pas du Congrès et centre des opérations choisi par le général Aramburu Topete, directeur général de la Garde civile, et le général José Antonio Sáenz de Santa María, directeur général de la Police nationale. De même s'y trouve le général Alfonso Armada, pourtant putschiste et qui, sous couvert de négocier, prétend se proposer comme solution de compromis entre le roi et Tejero. Son plan secret, inspiré par l'exemple de Charles de Gaulle, était de former un gouvernement dont feraient partie des socialistes et des communistes. À minuit, il se présente au Congrès avec un double objectif : convaincre le lieutenant-colonel Tejero de renoncer et assumer lui-même les fonctions de président du Gouvernement aux ordres du roi, une attitude clairement anticonstitutionnelle. Mais il n'est pas « l'autorité militaire compétente » attendue par Antonio Tejero, qui est partisan d'un régime franquiste, et ce dernier le congédie violemment. Plus tard, ses plans sont découverts et il est relevé de ses fonctions de chef d'état-major adjoint de l'armée de terre.

À une heure du matin, Juan Carlos Ier intervient à la télévision, en uniforme de capitaine général des armées pour s'opposer au coup d'État, défendre la Constitution et relever le général Jaime Milans del Bosch. À partir de ce moment, le coup d'État est considéré comme avorté. À cinq heures, isolé, Milans del Bosch renonce à ses plans et est arrêté. Antonio Tejero résiste jusqu'à midi le 24 février, mais les députés sont libérés dans la matinée[17].

Les réactions internationales[modifier | modifier le code]

Peu après l'assaut du Congrès, le coup d’État est condamné avec force par les pays de la CEE, avec qui l'Espagne était en négociation pour une adhésion qui se produira finalement en 1986. Au Royaume-Uni , le Premier ministre Margaret Thatcher qualifie le soulèvement militaire d'« acte terroriste »[18] .

Pour leur part, les États-Unis se maintiennent officiellement neutres au cours de ce processus, bien qu'existent divers indices qui semblent indiquer que l'administration Reagan était au courant, grâce aux informations de la CIA, de l'imminence du coup d'État. Parmi les attitudes douteuses qu'ont eues les États-Unis, on peut noter la réception de futurs militaires putschistes espagnols à Washington en 1980, l'accroissement des mouvements militaires nord-américains dans le détroit de Gibraltar au cours des jours précédents et l'état d'alerte décrété sur la base aérienne de Torrejón de Ardoz depuis le dimanche qui précédait le coup d'État[réf. nécessaire]. Antonio Tejero lui-même, assis au banc des accusés lors du procès qui suivra le coup d'État, affirme sans difficulté qu'« aussi bien le gouvernement des États-Unis que le Vatican avaient été sondés par le général Armada ». Après l'entrée d'Antonio Tejero dans l'hémicycle, le secrétaire d'État américain, le général Alexander Haig, se limite à déclarer que « l'assaut du Congrès des députés est une affaire interne concernant les Espagnols », ce qui lui vaut de sévères critiques internationales ; une fois le coup d'État échoué, il change ses déclarations pour un surprenant « Nous devons nous féliciter qu'en Espagne la démocratie ait triomphé »[19]. Depuis les accords de Madrid de 1953 , les liens sont troubles entre Washington et l'armée espagnole[réf. nécessaire].

Pour sa part, le Vatican était réuni le jour même, le 23 février, en une Assemblée épiscopale et il ne fera de ce fait pas de déclaration avant le 24, lorsqu'il condamne le coup d'État déjà échoué.

Le procès et les conséquences du coup d’État[modifier | modifier le code]

Commémoration du 30e anniversaire de l'échec du coup d'État, le .

Deux jours après cette tentative de coup d’État, Leopoldo Calvo-Sotelo obtient son investiture comme nouveau président du gouvernement, à la majorité absolue des suffrages[20].

Après le coup d'État demeurent quelques interrogations, spécialement au sujet du rôle joué par chacun des principaux putschistes et particulièrement les intentions et appuis du général Armada. Les conséquences les plus notables sont le début du processus d'évolution autonomiste (LOAPA) et un puissant renforcement de l'image de la monarchie parmi la population et les médias politiques.

Lors du procès postérieur devant le Conseil suprême de Justice militaire, connu en tant que procès de Campamento, Milans del Bosch, Alfonso Armada et Antonio Tejero Molina sont condamnés à trente ans de réclusion, comme principaux responsables du coup d’État[21].

La trame civile du coup d'État ne sera jamais instruite de manière rigoureuse, l'unique civil condamné étant l'ex-dirigeant des Syndicats verticaux franquistes Juan García Carrés.

Accusés du coup d'État du 23-F, demandes de peines qu'a rendues le Ministère public, sentences du Conseil suprême de justice militaire (es) et sentences définitives du Tribunal suprême
Nom des accusés Ministère public Conseil suprême de justice militaire Tribunal suprême
Jaime Milans del Bosch 30 ans 30 ans 30 ans
Alfonso Armada y Comyn 30 ans 6 ans 30 ans
Antonio Tejero Molina 30 ans 30 ans 30 ans
Luis Torres Rojas 15 ans 6 ans 12 ans
Diego Ibáñez Inglés 15 ans 5 ans 10 ans
José Ignacio San Martín López 15 ans 3 ans et 1jour 10 ans
Ricardo Pardo Zancada 15 ans 6 ans 12 ans
Miguel Manchado García 12 ans 3 ans et 1 jour 8 ans
José Luís Cortina Prieto 12 ans acquitté acquitté
Juan García Carrés (l'unique civil inculpé) 10 ans 2 ans 2 ans
Pedro Mas Oliver 8 ans 3 ans 6 ans
Vicente Gómez Iglesias 8 ans 3 ans 6 ans
José L. Abad Gutiérrez 7 ans 3 ans et 1 jour 5 ans
Jesús Muñecas Aguilar 7 ans 3 ans et 6 mois 5 ans
Carlos Álvarez-Arenas Pardina 6 ans 3 ans 3 ans
José Pascual Gálvez 6 ans 3 ans 3 ans
Francisco Acera Martín 5 ans 2 ans 3 ans
Juan Pérez de la LastraTormo 5 ans 2 ans 3 ans
Carlos Lázaro Corthay 5 ans 2 ans 3 ans
Enrique Bobis González 5 ans 2 ans 3 ans
F. Javier Dusmet García-Figueras 5 ans 2 ans 2 ans
José Cid Fortea 5 ans 2 ans 2 ans
Camilo Menéndez Vives 4 ans 1 an 1 an
César Álvarez Fernández 4 ans acquitté 1 an
José Núñez Ruano 3 ans et 1 jour acquitté 1 an
Pedro Izquierdo Sánchez 3 ans et 1 jour acquitté 1 an
Vicente Ramos Rueda 3 ans et 1 jour acquitté 1 an
Manuel Boza Carranco 3 ans et 1 jour acquitté 1 an
Santiago Vecino Núñez 3 ans et 1 jour acquitté 1 an
Juan Batista González 3 ans acquitté acquitté
Jesús Alonso Hernáiz 2 ans acquitté 1 an
Vicente Carricondo Sánchez 2 ans acquitté 1 an
Francisco Ignacio Román 1 an et 6 mois acquitté acquitté

Théories alternatives[modifier | modifier le code]

Le déroulement sans effusion de sang mais apparemment chaotique du coup d'État, la pléthore de questions sans réponse quant à son déroulement, l'allégeance monarchiste farouche de deux principaux conspirateurs (Armada et Milans del Bosch) et la longue absence du roi avant qu'il ne fasse finalement une allocution à la télévision publique en fin de soirée ont alimenté le scepticisme et les théories du complot pendant le procès Campamento et sont restées actives depuis[22].

Ces théories mettent en doute la sincérité de la défense de la démocratie par le roi et qualifient le coup d'État d'exemple de realpolitik coercitive poussée à son paroxysme. En substance, cette version des événements prétend que le coup d'État lui-même a été orchestré par les services secrets espagnols, de connivence avec le roi et la maison royale, ainsi qu'avec des représentants des principaux partis politiques et des médias grand public, entre autres. La pièce maîtresse du complot et sa motivation apparente étaient l'opération Armada, un coup d'État en douceur inspiré de l'Opération Résurrection orchestrée en mai 1958 par les partisans du général de Gaulle et visant à mettre en place un gouvernement d'unité nationale dirigé par Armada lui-même et composé d'une série de ministres issus de tous les principaux partis politiques. Le premier objectif était d'évincer le premier ministre Suárez, qui avait été critiqué sans relâche par les médias et l'élite politique pendant des mois et dont on disait qu'il avait même perdu les bonnes grâces du roi, en partie à cause de l'ambitieux programme réformiste de Suárez, qui avait vraisemblablement dérapé[23]. Le second objectif du prétendu coup d'État en douceur était une conséquence du premier : il s'agissait de presser les institutions publiques espagnoles encore balbutiantes de remplir les critères de convergence pour lesquels la nation était préparée, à savoir l'adhésion future à l'OTAN, à la CEE et la consolidation d'une monarchie parlementaire effectivement bipartisane et idéologiquement modérée. Selon le raisonnement qui sous-tendait la théorie, cet objectif exigeait à la fois de purger les forces armées de leurs éléments les plus réactionnaires et d'effrayer l'électeur ordinaire pour qu'il accepte la monarchie et le système bipartite comme une solution institutionnelle par défaut[22],[24].

Un autre objectif encore, plus concret, aurait été de neutraliser un coup d'État imminent et dur prévu plus tard dans l'année, très probablement le 2 mai[22],[25],[26]. Une clique ou un sous-groupe important parmi les instigateurs de ce prétendu coup d'État était le groupe dit « des Colonels », dirigé par l'ancien chef du CESID, José Ignacio San Martín (es). Deux raisons ont été invoquées pour expliquer pourquoi ce prétendu complot était considéré comme particulièrement dangereux : les relations de San Martín avec les services de renseignement et le fait que ce soient les colonels et les lieutenants-colonels, plutôt que les généraux, qui avaient le contrôle direct des troupes[22],[27].

Selon ces théories, le Premier ministre Suárez aurait eu vent de l'« opération Armada » longtemps à l'avance, d'où sa démission soudaine afin de l'éviter - étant donné que le coup d'État devait avoir lieu pendant la motion de censure de son gouvernement, prévue quelques semaines plus tard. Le plan aurait été mis en œuvre malgré la démission de Suárez, mais l'incapacité de Tejero à comprendre ses ramifications, sa croyance candide qu'il était au cœur d'un complot de coup d'État pur et dur, la journée médiatique provoquée par son entrée violente dans les chambres du Congrès (et son comportement et son langage grossiers et sans manières, qui ont été captés par des microphones et des caméras dans le bâtiment et plus tard ridiculisés par la presse) et son refus d'accepter le gouvernement multipartite proposé par Armada, auraient entraîné l'avortement simultané du coup d'État « dur » et du coup d'État « mou » par ceux qui les avaient planifiés[22].

L'ancien chef des opérations spéciales du CESID, José Luis Cortina Prieto, l'un des trois officiers militaires acquittés au cours du procès, joue d'après certains commentateurs un rôle omniprésent dans ces théories, dont certaines le placent comme un acteur majeur de la conspiration ainsi que comme l'homme responsable de la fusion de tous les différents complots de coup d'État en un seul, puis de leur neutralisation simultanée[27],[28],[29]. Cortina, diplômé de l'Académie de Saragosse dans la même cohorte que le roi, avait été nommé aux services de renseignement de l'état-major interarmées sous le gouvernement Carrero[30] et aida ensuite son frère à créer le groupe de réflexion « Gabinete de Orientación y Documentación S. A. », qui serait le germe du principal parti conservateur du pays. Il a été allégué[29],[31],[32],[33],[34] que pendant une pause déjeuner dans le cadre du procès « 23-F », et après avoir été soumis à un interrogatoire particulièrement intense par le procureur, Cortina a saisi un téléphone et a été entendu dire : « Como siga este tío así, saco a relucir lo de Carrero » (« si ce type continue à me mettre la pression comme ça, je vais cracher le morceau sur ce qui est arrivé à Carrero »). L'interrogatoire du procureur aurait perdu beaucoup d'intensité lorsque le tribunal reprit après la pause déjeuner, et Cortina fut finalement acquitté.

On peut soutenir que, jusqu'à la diffusion en 2014 du docufiction par la chaîne de télévision La Sexta, l'œuvre de Jesús Palacios et le livre La gran desmemoria (es) de Pilar Urbano, ces thèses n'ont jamais fait leur chemin dans la conscience dominante, bien que les sous-entendus et les implications subtiles ne soient pas inhabituels[35]. Certaines de ces implications peuvent être involontaires. La biographie officielle du Roi par José Luis de Vilallonga contient l'extrait d'interview suivant :

« Si je devais réaliser une opération au nom du Roi mais sans son consentement, mon premier geste aurait été de l'isoler du reste du monde et de l'empêcher de communiquer avec quiconque à l'extérieur. Eh bien, c'est loin d'être le cas : cette nuit-là, j'ai pu entrer et sortir de ma résidence à volonté ; et concernant les lignes téléphoniques, j'ai reçu plus d'appels en quelques heures que je n'en avais reçu en un mois entier ! De mon père, qui se trouvait à Estoril (et qui était aussi très surpris de pouvoir me contacter par téléphone), de mes deux sœurs à Madrid, et de chefs d'État amis qui m'ont encouragé à résister. »

Sabino Fernández Campo, chef de la Maison Royale, aurait expurgé ceci de l'édition espagnole[24].

Notes et références[modifier | modifier le code]

Note[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. Le numéronyme 23-F renvoie à la date du 23 février.
  2. a et b (es) Roberto Muñoz Bolaños, El 23- F y los otros golpes de Estado de la Transición, Barcelone, Espasa, (ISBN 978-84-670-6131-4)
  3. « L'armée espagnole et les communistes La prise de position du Conseil militaire n'alarme pas M. Suarez », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  4. « Le procès des officiers de droite impliqués dans un complot en novembre 1978 s'est ouvert à Madrid », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  5. a et b (en) Bill Cemlyn-Jones, « King Orders army to crush coup », The Guardian,‎ (lire en ligne)
  6. (es) Juan Francisco Fuentes, 23 de febrero de 1981. El golpe que acabó con todos los golpes, Barcelone, Taurus, coll. « La España del siglo XX en 7 días », (ISBN 978-84-306-2273-3), p. 45
  7. « M. de la Cierva remplace M. Clavero au ministère de la Culture », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  8. « Espagne. Les socialistes ont déposé une motion de censure au Parlement », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  9. a et b « En dépit d'une crise de plus en plus profonde, le remaniement du gouvernement n'impliquerait pas un changement de cap économique », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  10. « M. Adolfo Suarez : plus dure sera la chute », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  11. « L'ingénieur de la centrale nucléaire de Lemoniz a été assassiné par l'ETA militaire », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  12. (en) James M. Markham, « Basque's Death in Jail Brings call For Mass Strike », The New York Times,‎ (lire en ligne)
  13. (es) « 23-F en directo 35 años después », El País,‎ (lire en ligne)
  14. « 23 février 1981, chronique d’un coup d’État annoncé », L'Humanité,‎ (lire en ligne)
  15. (es) Sara Pulido, « Testigos del 23-F », AcademiaTV, no 109,‎ , p. 36 (lire en ligne)
  16. (es) « Al amanecer se derrumbarán », El Comercio,‎ (lire en ligne)
  17. (en) « Spanish Coup Attempt Fails », Iowa City Press–Citizen, no 73,‎ , p. 1 (lire en ligne)
  18. (es) « Thatcher y su visión de España », Hoy,‎ (lire en ligne)
  19. (es) Pablo Sebastian, « Haig rectificó en Madrid su primera reacción al intento de golpe de Estado », El País,‎ =1981 (lire en ligne)
  20. « Le débat d'investiture aux Cortès. M. Calvo Sotelo a obtenu la majorité absolue », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  21. (en) McLaren, Lauren, Constructing democracy in Southern Europe: a comparative analysis of Italy, Spain, and Turkey, Routledge, , p. 210.
  22. a b c d et e (es) Pilar Urbano, La gran desmemoria : Lo que Suárez olvidó y el Rey prefiere no recordar Tapa dura (es), Editorial Planeta, , 888 p. (ISBN 978-8-408-12145-9)
  23. (es) Jesús Palacios Tapias, « Felipe González y el PSOE fueron quienes más avalaron al general Armada », sur Libertad Digital, (consulté le )
  24. a et b (es) Patricia Sverlo, « Un Rey Golpe a Golpe - Biografía no autorizada de Juan Carlos de Borbón »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), (consulté le )
  25. (es) Amadeo Martinez Ingles, 23-F: El Golpe Que Nunca Existio, Foca, , 202 p. (ISBN 978-8-495-44013-6)
  26. (es) Rafa Pozo, « Coronel Martínez Inglés: "El golpe del 23-F lo dirigió el rey Juan Carlos" », sur Alertadigital.com, (consulté le )
  27. a et b (es) Ernesto Milà, « Ultra Memorias – biografía de Ernesto Milá », sur Ernestomila.wordpress.com (consulté le )
  28. (es) Lola Galán, « Los que quedan del golpe », El País, (consulté le )
  29. a et b (es) Yolanda Capitán, « José Luís Cortina Prieto », sur Elespiadigital.com (consulté le )
  30. (es) « El padre del comandante Cortina muere en un incendio ocurrido en uno de los pisos donde, según Tejero, se preparó el 23F », El País, (consulté le )
  31. (es) « Cortina, en el juicio del 23-F: "Como me jodan, saco hasta lo de Carrero Blanco": Crónicas del TEDAX-NRBQ del C.N.P. », sur Barbagris-tedax.blogspot.co.uk, (consulté le )
  32. (es) « La verdad sobre el magnicidio de Carrero, al descubierto: Peculiaridades posteriores al atentado (5 de 7) »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), sur Alertadigital.com, Alerta Digital (consulté le )
  33. (es) Pedro Navarro, « Arbil, nº114 Claves para entender la España actual: El Asesinato de Carrero », sur Arbil.org (consulté le )
  34. (es) Alfredo Grimaldos, « la CIA en España »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?) (consulté le )
  35. (es) Manuel Vazquez Montalban, Mis almuerzos con gente inquietante (Ensayo-Cronica) [« Mes déjeuners avec des gens dérangeants (Essai-Chronique) »], Barcelone, Debolsillo, , 352 p. (ISBN 978-8-497-93459-6)

Annexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Amadeo Martínez Inglés, 23-F : El golpe que nunca existió, 2001 (ISBN 84-95440-13-X) (en espagnol).
  • Jesús Cacho, El negocio de la libertad, 1999 (ISBN 84-930481-9-4) (en espagnol).
  • Julio de Busquets, Miguel A. Aguilar et Ignacio Puche, El Golpe: anatomía y claves del asalto al congreso, 1981 (en espagnol, écrit quelques jours après le coup d'État).
  • Javier Cercas, Anatomie d'un instant, Acte Sud, 2010 (ISBN 978-2-7427-9215-3).

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]