Comté de Sicile

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Comté de Sicile
(it) Contea di Sicilia
(it) GranContea
(fro) Counté de Cesile
(ancien italien) Contado di Sicilia

10711130

Blason
Blason de la Maison de Hauteville
Description de cette image, également commentée ci-après
Italie du Sud en 1112
Informations générales
Statut Monarchie
Capitale Palerme et occasionnellement Troina
Langue(s)

Langues officielles : Latin, Grec, Arabe

Langues parlées : Langue d'oïl, Sicilien, Normand
Religion

Religion officielle de l’État : Catholicisme

Religions de la population : Islam, Christianisme orthodoxe
Monnaie ¼ Dinar puis le Tarì[1]
Territoires Sicile insulaire et Malte
Superficie
Superficie environ 26 148 km2 (25 832 km2 de la Sicile plus 316 km2 de Malte)
Histoire et événements
1071 Création du comté par Robert Guiscard pour Roger Ier de Sicile.
1091 Prise de Noto (la Sicile devient totalement normande) et prise de Malte.
1101 Mort de Roger Ier de Sicile. Son fils, Simon de Sicile, devient comte.
1105 Mort de Simon de Sicile, Roger II de Sicile devient le 3e comte.
1130 Fin du comté de Sicile qui, unit avec le duché de Pouilles et de Calabre, devient le royaume de Sicile.
Comte de Sicile
1062-22 juin 1101 Roger de Hauteville, dit Roger Ier de Sicile
1101-1105 Simon de Sicile (sous tutelle de sa mère Adélaïde de Montferrat)
1105-25 décembre 1130 Roger de Hauteville, dit Roger II de Sicile (sous tutelle de sa mère Adélaïde de Montferrat jusqu'en 1112), puis Roi de Sicile

Entités précédentes :

Entités suivantes :

Le comté de Sicile, aussi appelé GranContea, est un ancien État souverain normand sous investiture papale, créé en 1071 pour le duc Normand Roger Ier de Sicile et qui cesse d'exister en 1130, sous Roger II de Sicile, quand il s'unit avec le duché de Calabre et des Pouilles pour devenir le royaume de Sicile.

En , le comté achève la conquête de la Sicile et entreprend celle de Malte, terminée en 1127. Les dernières années du comté sont les plus prospères et marquent le début de l'apogée du futur royaume de Sicile, une des plus grandes puissances de son temps, capable de rivaliser avec les Républiques de Pise et de Venise.

Géographie et territoire

Territoire sous domination du comté de Sicile

Le territoire du comté de Sicile n'englobait à ses débuts que le nord et l'ouest de la Sicile. Il évolue pendant les deux premières décennies de son existence, aux fils de la lutte que mène les comtes normands contre les Arabes de l'Émirat de Sicile, et atteint son apogée en 1091 lors de la victoire de Noto[2]. Par la suite, le comté de Sicile comprend tout l'ancien Émirat de Sicile, soit l'île de Sicile, plus l'île de Malte. Le comté de Sicile avait une superficie d'environ 26 148 km2 (la Sicile insulaire ayant une superficie de 25 832 km2 et Malte de 316 km2)[3].

Subdivisions administratives

Le territoire du comté de Sicile était subdivisé en quatre entités administratives qui restèrent pratiquement inchangés jusqu'en 1812 :

Les valli étaient eux-mêmes divisés en comtés, baronnies, seigneuries ou en une des 42 cités domaniales siciliennes. Celles-ci étaient, à l'époque de la domination normande de la Sicile, des villes relevant directement de l'administration de l’État et non d'un noble, d'un abbé ou d'un évêque. Chacune de ces cités envoyaient un représentant au Parlement sicilien[4],[5].

Histoire du comté

Situation des Normands en Italie méridionale avant la conquête de la Sicile musulmane

Carte de l'Italie en l'an mille avec différentes couleurs suivant les territoires
L'Italie en l'an mille
Carte de l'Italie et de l'Illyrie en 1084 avec différentes couleurs suivant les territoires
L'Italie et l'Illyrie en 1084

La conquête normande de l'Italie du Sud se fait progressivement par de petits seigneurs normands et n'est pas dirigée par le duc de Normandie. Elle commence en 999 lors de l'arrivée de pèlerins normands, en Italie du Sud, de retour du Saint-Sépulcre à Jérusalem, qui s'arrêtent à Salerne en Calabre chez le Lombard Guaimar III[6] d'où ils chassent les Sarrasins qui l’assiègent. Ce récit est appelé la Tradition de Salerne et est écrit pour la première fois par Aimé du Mont-Cassin[7].

L’immigration normande dans le Mezzogiorno n’a rien de massif mais on estime qu'entre les années 1010 et les années 1120, il y a un flux constant de départs du duché de Normandie vers l’Italie du Sud et on a pu en évaluer le nombre à quelques centaines de Normands par an pendant un siècle environ[8]. Guillaume et Guaimar entament la conquête de la Calabre en 1044, mais Guillaume est moins chanceux en Apulie, où, en 1045, il est défait près de Tarente. Avec la mort de Guillaume, la période du mercenariat normand se termine tandis qu'émergent deux grandes principautés normandes qui font allégeance au Saint-Empire romain germanique : le comté d'Aversa, plus tard principauté de Capoue, et le comté d'Apulie, qui va devenir le duché d'Apulie[7].

Situation arabe en Sicile

Carte de la Sicile et de l'Italie du Sud indiquant la conquête normande au onzième siècle
Les conquêtes de Georges Maniakès en Italie du Sud entre 1038 et 1040.
  • Empire byzantin
  • Conquête de Georges Maniakès
  • Duché de Bénévent
  • Duché d'Amalfi
  • Principauté de Capoue
  • Émirat de Sicile
  • Au moment de la conquête de la Sicile par les Normands, celle-ci est principalement occupée par des chrétiens sous domination arabe. La Sicile a été d'abord sous le contrôle des souverains aghlabides de 827[9] jusqu'en 909, bien que Malte soit restée en leur possession jusqu'en 1048[10], puis de la dynastie des Fatimides jusqu'en 948, date à laquelle les Kalbites prennent le pouvoir, qu'ils gardent jusqu'en 1053.

    Depuis 1010, la situation politique en Sicile est très instable avec pour cause les guerres de succession que se livrent les membres de la famille kalbite. C'est dans ce contexte qu'en 1038 une armée byzantine, composée de Grecs et de 300 mercenaires normands, commandée par le général Georges Maniakès, tente de reprendre la Sicile aux musulmans. Elle prend un certain nombre de villes sur la côte orientale et Syracuse tombe en 1040, notamment grâce aux Hauteville, Guillaume Bras-de-Fer. Cependant, les Byzantins doivent se retirer en 1042[11].

    Bien que l'île est reprise par les musulmans, l’émir Hasan II as-Samsâm ibn Yûsuf doit la quitter en 1044, contesté de toutes parts par les princes locaux, les caïds, qui règnent alors en maîtres incontestés sur leurs territoires.

    Après le départ en 1044 du dernier émir de la dynastie des Kalbites, la Sicile est divisée en quatre caïdats :

    En 1065, le fils de l'émir ziride de l'Ifriqiya, Ayyûb ibn Tamîm, devient le maître d'à peu près toute la Sicile. En effet, il hérite en 1062 de Syracuse dont le maître avait été tué cette même année dans une bataille contre les Normands de Palerme et Catane, ainsi que des caïdats de Trapani et de Girgenti en 1065. En 1068, après le retrait d'Ayyûb, deux caïds se partagent ce qui reste de la Sicile musulmane. Ibn `Abbâd, appelé Benavert dans les chroniques occidentales, établit sa capitale à Syracuse. L'émir Hamud, quant à lui, règne à Castrogiovanni[3],[13].

    Invasion normande de la Sicile et création du comté

    Les phases de l'invasion normande de la Sicile, un trait indique la progression de l'incursion de 1061
    L'invasion normande de la Sicile

    Le 23 août 1059, le synode de Melfi réunit les chefs normands qui jurent fidélité au pape Nicolas II. Celui-ci offre en échange le titre de duc de Sicile à Robert Guiscard, un Hauteville, en attendant qu'il prenne l'île aux Sarrasins[14],[15]. Robert Guiscard devient alors duc d'Apulie, de Calabre et de Sicile.

    Tableau d'une scène de bataille, au premier plan, un cavalier sur un cheval noir frappe avec sa hache un autre cavalier
    Roger Ier de Sicile à la bataille de Cerami en 1063, œuvre de Prosper Lafaye, Salles des Croisades du château de Versailles.
    Tableau représentant deux hommes s'agenouillant vers deux autres assis, au fond des hommes en arme
    Roger Ier recevant les clefs de Palerme en 1071, fresque de Giuseppe Patania, (1830), Palais des Normands, chambre jaune, Palerme

    En février 1061, Robert Guiscard traverse le détroit de Messine en partant de Reggio de Calabre pour accoster à Messine avec un millier d'hommes et accompagné de son frère, le futur Roger Ier de Sicile. Roger passe le détroit en premier pendant la nuit et attaque les armées sarrasines dans la matinée. Quand les troupes de Robert Guiscard arrivent plus tard dans la journée, elles ne rencontrent aucune opposition et entrent dans une Messine abandonnée[16]. Robert fortifie immédiatement la ville et s'allie avec l'émir Ibn at-Timnah contre leur rival commun Ibn al-Hawas. Robert, Roger et Ibn at-Timnah marchent ensuite vers le centre de l'île par la route de Rometta. Ils traversent le village de Frazzanò puis la Pianura di Maniace (Plaine de Maniakès), ne rencontrant de la résistance que lors de l'assaut de Centuripe. La ville de Paternò chute rapidement et Robert Guiscard continue avec son armée jusqu'à Castrogiovanni, la forteresse la plus puissante du centre de la Sicile. Son armée y est défaite et la citadelle ne tombe pas. L'hiver approchant, Robert Guiscard décide de retourner dans les Pouilles, mais avant de partir, il fait construire la forteresse de San Marco d'Alunzio[17].

    En 1062, Roger de Sicile est nommé par son frère comte de Sicile et peut dès lors commencer au nom de la papauté la conquête de la Sicile et surtout s'y tailler un fief. Malgré la faiblesse numérique de son armée ou plutôt de sa bande, il commence alors à guerroyer dans l'île, quadrillée par de nombreuses forteresses musulmanes. Il tue dans une bataille le caïd de Syracuse de Palerme et de Catane, Muhammad ibn Ibrâhim ath-Thumna. Toujours en 1062, il combat à Troina où Roger est assiégé durant environ quatre mois dans des conditions très difficiles avec sa jeune femme Judith[18]. L'année suivante, à la bataille de Cerami, une petite troupe de chevaliers et de fantassins normands défait une armée musulmane beaucoup plus nombreuse. Le récit de la bataille, par Geoffroi Malaterra, chroniqueur de la conquête des frères Robert Guiscard et Roger Ier de Sicile, parle de 50 000 guerriers musulmans (dont 35 000 sont massacrés) face à 136 chevaliers normands. Même s'il n'y a pas de doute sur le rapport de forces clairement déséquilibré, d'une part, il n'est pas fait mention du nombre de fantassins accompagnant les chevaliers, et, d'autre part, le nombre de 50 000 paraît assez fantaisiste, Malaterra ayant tendance à « en rajouter ». Il signale d'ailleurs dans cette même bataille l'apparition de Saint Georges en personne sur un cheval blanc et chargeant l'ennemi[19].

    En 1063 a lieu le sac de Palerme, sous la direction de l'amiral pisan Giovanni Orlando. Les Pisans brûlent cinq bâtiments de transport byzantins et en capturent un sixième[20]. La cathédrale de Pise et la place des Miracles sont construites avec un dixième du butin rapporté de Sicile[20],[21].

    En 1068, les Normands sont à nouveau vainqueurs contre les Arabes, à la bataille de Misilmeri. Cette victoire ouvre le chemin de Palerme et permet d'envisager la conquête de l'ouest de la Sicile. Quelques années plus tard, Guiscard, qui a chassé définitivement les Byzantins d'Italie avec la prise de Bari en avril 1071, commence le siège de Palerme par mer, tandis que son frère Roger prend la ville à revers, par voie terrestre. Cette année-là, le comté de Sicile est créé. L'ancienne capitale des gouverneurs et des émirs de Sicile n'est finalement prise par le comte Roger qu'en 1072, après 241 années de domination musulmane. Cet événement ouvre la voie à la conquête de la totalité de l'île.

    En 1077, Trapani, l'un des deux derniers bastions musulmans de l'ouest de l'île, est prise à son tour par Roger et son fils Jourdain de Hauteville. En 1079, Taormina est prise elle aussi. Cependant, le caïd de Syracuse, Ibn `Abbâd Benavert, menant une résistance acharnée, vainc le gouverneur de Catane, un musulman converti au christianisme, en 1081 ; mais la ville est reprise par Jourdain de Hauteville, Robert de Sourdeval et Elias Cartomi lors d'une attaque surprise. Peu après la rébellion d'un vassal de son père, Angelmar (1082), Jourdain de Hauteville se révolte lui aussi en Sicile, soutenu par quelques barons, profitant de l'absence du comte de Sicile, rappelé sur le continent. Il s'empare de Mistretta et de San Marco d'Alunzio, puis marche sur Troina, espérant qu'il pourrait mettre la main sur le trésor de son père. Ce dernier revient en toute hâte en Sicile, craignant de voir son fils chercher refuge auprès des Musulmans, et étouffe la révolte. Jourdain, croyant obtenir facilement le pardon de son père, décide de cesser les hostilités et vient de lui-même à sa rencontre. Une fois maître de Jourdain et de ses complices, Roger fait crever les yeux aux douze principaux coupables et fait craindre pendant quelques jours à son fils d'avoir à subir un pareil châtiment ; finalement, à la demande de son entourage, Roger consent à pardonner à son fils[2].

    En 1086, Benavert s'oppose en personne au comte de Sicile devant Syracuse, son fief assiégé. Mais, le 25 mai, il meurt accidentellement. Couvert d'une lourde armure, il chute et tombe à l'eau, coulant à pic à cause du poids de celle-ci. Syracuse finit par tomber en octobre[2].

    Entre-temps, la mort de son puissant frère en juillet 1085, laisse Roger totalement libre de ses actes. Il devient le seul véritable maître de la Sicile qu'il organise en comté en y introduisant notamment le système féodal, tout en gardant Mileto, en Calabre, comme capitale de ses possessions. C'est le début de la Sicile normande, une ère de prospérité faisant la continuité de l'époque musulmane. Roger s'y montre tolérant, respectant les différentes identités, coutumes et religions de l'île. En effet, une fois la guerre finie, il autorise les Musulmans qui le souhaitent, berbères ou arabes, à rester dans l'île. Juifs, musulmans, et chrétiens orthodoxes ne subissent pas de persécutions[2].

    Après cet événement, le caïd de Castrogiovanni, Hammûd, se soumet à Roger et se convertit au christianisme. Le comte normand lui donne de vastes fiefs en Calabre. La conquête de l'île est achevée en février 1091 avec la prise de Noto, ville où se sont réfugiés la veuve et le fils de Benavert. La puissance musulmane en Sicile a définitivement disparu[22].

    En 1090, Jourdain de Hauteville obtient le commandement de la Sicile, pendant que son père part à la conquête de Malte. Durant l'année 1091, Roger prend Malte et soumet la ville fortifiée de L-Imdina, tout en laissant au gouverneur arabe la possibilité de la conserver en échange d'un lourd tribut annuel[2].

    Le comté sous Roger Ier

    Tableau représentant un homme habillé en rouge et blanc portant un chapeau des mêmes couleurs
    Roger Ier de Sicile

    Lorsque la Sicile et Malte sont totalement conquises et que Roger Ier de Sicile (1031-1101), dit le Bosso, n'a plus à s'occuper des Sarrasins, sa principale occupation est d'ordre religieux : il rétablit les églises (comme la Cathédrale de Messine), fonde des évêchés et établit des abbayes pour les grands ordres qu'il dote richement[23].

    En 1098, le comte de Sicile est nommé Légat né du siège apostolique par une bulle du Pape Urbain II donné à Salerne qui stipule que l’Église romaine n'établira aucun légat apostolique dans les États en possession de Roger et de ses descendants sans leur consentement[24]. Cette bulle est à l'origine du Tribunal de la Monarchie dont le juge est commis par le roi et porte le titre de Légat du Saint-Siège[25].

    Roger, le « Grand comte », meurt de causes naturelles le 22 juin 1101 (à 70 ans) dans son fief de Mileto en Calabre où il est inhumé dans l'église de la Sainte-Trinité. Lors de sa mort, son fils aîné, Jourdain de Hauteville, est déjà mort de fièvres violentes depuis un peu moins de dix ans[26]. C'est donc son onzième enfant qu'il a eu avec sa femme Adélaïde de Montferrat, nièce du Marquis Boniface de Savone, Simon de Sicile, qui lui succède.

    Le comté sous Simon de Sicile et la régence de sa mère

    Simon de Sicile (1093-28 septembre 1105) est le second comte de Sicile, qu'il commence à gouverner en 1101, à la suite de son père Roger Ier de Sicile. Simon, âgé de 8 ans, étant alors encore trop jeune pour gouverner, il est placé sous tutelle de sa mère, la comtesse Adélaïde de Montferrat, qui devient ainsi la régente de Sicile avec l'aide de Robert de Bourgogne, un des fils du duc de Bourgogne et lui-même petit-fils du roi de France[27].

    Malheureusement, peu de chroniques et de documents sur son court règne subsistent et l'une des seules sources fiables est celle d'Alexandre de Telese, un abbé et un chroniqueur de langue latine vivant dans l'Italie méridionale de la première moitié du XIIe siècle[28]. Celui-ci raconte notamment que le jeune comte se fait frapper par son frère cadet Roger, qui est alors âgé de cinq ans, et qui le menace en plus de lui enlever plus tard tous les biens qu'il a hérités de leur père.

    Simon de Sicile meurt le 28 septembre 1105 après quatre ans de régence de sa mère. Son frère Roger II lui succède[29].

    Roger II de Sicile : du comté au royaume

    Photo détaillant la tête d'une statue, un homme moustachu et barbu portant une couronne
    Roger II de Sicile, Tête de la statue de la façade du Palais royal de Naples
    Enluminure montrant cinq hommes habillés en blanc et un portant un manteau bleu orné de fleurs de lys
    Le Pape Pascal IIe et Philippe Ier (roi des Francs)

    Lorsque Roger II de Sicile hérite du comté de Sicile et de plusieurs terres en Calabre et en Pouilles à la mort de son frère Simon de Sicile en 1105, il est encore trop jeune pour gouverner et c'est donc sa mère la comtesse Adélaïde de Montferrat (qui a déjà tenu titre de régente sous son frère Simon) qui garde le comté sous tutelle jusqu'en 1112. Un des premiers gestes du comte Roger II est d'envoyer un présent de mille onces d'or au Pape Pascal II et d'envoyer l’évêque Guillaume de Syracuse au concile de Latran qui se tient en mars 1112 où cet évêque gagne la qualité de Député des évêques de Sicile[27].

    En 1113, Roger II marie sa mère au roi Baudouin Ier de Jérusalem, faisant ainsi une alliance stratégique avec une grande puissance d'Europe. En 1117, la mère de Roger est répudiée par le roi de Jérusalem pour ré-épouser son ancienne femme (une princesse arménienne) qu'il a abandonnée au profit d'Adélaïde de Montferrat. Celle-ci meurt l'année suivante, en 1118. La même année, Roger II se marie avec Elvire de Castille, fille du roi Alphonse VI de Castille. En 1122, son jeune cousin, Guillaume d'Apulie, lui laisse la totalité de la Sicile et de la Calabre. Roger II profite de ce point d'appui pour envahir la Basilicate en entrant par Montescaglioso deux ans plus tard[30].

    Le 26 juillet 1127 à Salerne, le duc Guillaume d'Apulie meurt prématurément sans héritier légitime connu. Bien que son plus proche parent soit Bohémond II d'Antioche, prince de Tarente et prince d'Antioche, c'est Roger II qui prend les titres de prince de Salerne et duc d'Apulie, de Calabre et de Sicile à sa mort. Pour assurer la légitimité de cette succession, il se fait sacrer prince de Salerne, puis grand duc de Pouille en 1128. Roger II possède ainsi la plus grande partie des terres normandes en Italie du Sud et même au-delà. En effet, depuis 1117, il lance des raids sur les côtes africaines, mais, sans succès, et il a reconquis l'île de Malte perdue auparavant[31].

    En 1129, lorsque son ancien ennemi Bohémond II d'Antioche meurt, Roger II forme des prétentions sur la principauté d'Antioche, mais celle-ci n’aboutissent à rien, car c'est le gendre de Bohémond II qui en devient le prince[32].

    L'antipape Anaclet II, alors maître de Rome, investit son beau-frère, Roger II de Sicile, à Palerme le 25 décembre 1130 en échange de son soutien contre Innocent II. Roger devient ainsi roi de Sicile (comprenant la Sicile, la Calabre et les Pouilles).

    Société et culture

    Le retour du culte chrétien

    Les Normands rapportent le culte chrétien en Sicile, d'où il avait disparu avec la conquête de la Sicile par les Musulmans. En effet, c'est le Pape Urbain II qui pousse les Normands à envahir la Sicile occupé par les Sarrasins et à la réorganiser selon le modèle chrétien, avec des évêchés, des paroisses et des diocèses. Roger Ier de Sicile favorise aussi le rite byzantin, alors que le nombre de fidèles est en baisse en Italie du Sud, en construisant des monastères de rite grec (bien que sous la tutelle d’évêques latins) commandés par l'Archimandrite de Messine[33].

    Sous Roger II, le royaume normand de Sicile, où vivent en harmonie Normands, Juifs, Arabo-musulmans, Grecs byzantins, Lombards et Siciliens de souche[34],[35] se caractérise par sa nature multi-ethnique et sa tolérance religieuse[36]. Le rêve de Roger II aurait été de créer un empire englobant l’Égypte fatimide et les États latins d'Orient[37].

    Le dialecte gallo-italique

    Carte de la Sicile indiquant en vert foncé et pale l'influence des Lombards
    Territoire d'influence lombarde.

    Roger Ier de Sicile favorise longtemps les immigrés latins, comme les soldats et mercenaires lombards, (pour la plupart venant de la région de Montferrat) et français (de Normandie, de Provence et de Bretagne)[38], qui arrivent en masse en Sicile. Ceux-ci occupent des villages entiers comme ceux de Nicosia, Sperlinga, Piazza Armerina, Valguarnera Caropepe, Aidone, San Fratello, Acquedolci, San Piero Patti, Montalbano Elicona, Novara di Sicilia et Fondachelli-Fantina[39].

    Ces colons sont à l'origine du dialecte gallo-sicilien, mélange de sicilien et de lombard, qui a su se maintenir jusqu'à nos jours[40].

    L'administration et la justice

    En 1097, Roger Ier crée le Parlement sicilien à Mazara del Vallo. Ce parlement, à l'origine itinérant, est considéré comme un des premiers parlements modernes de l'histoire[41],[42].

    Le Parlement sicilien était constitué de trois branches : la Féodale (Feudale), l’Ecclésiastique (Ecclesiastico) et la Domaniale (Demaniale). La première était composé par la noblesse, la seconde par le clergé et la troisième par les représentants des cités domaniales siciliennes[43].

    Bien que la langue de la cour soit la langue d'oïl, tous les édits royaux étaient rédigés en latin, grec, arabe ou hébreu, selon le groupe auquel ils étaient adressés[44].

    Héritant de l'administration juridique islamique, une influence significative de la loi islamique et de la jurisprudence s’est exercée sur le droit normand[45].

    L'architecture et l'art

    Les normands ont réalisé diverses constructions dans ce qu’on appelle le style arabo-normand. Ils ont intégré les meilleures pratiques de l’architecture arabe et byzantine à leur propre art[46].

    De nombreuses techniques artistiques du monde islamique ont également été intégrées pour former la base de l’art arabo-normand : incrustations de mosaïques ou de métaux, sculpture de l’ivoire ou du porphyre, sculpture des pierres dures, fonderies de bronze, fabrication de la soie (pour laquelle Roger II a établi un ergasterium regium, une entreprise d’État accordant le monopole de la fabrication de la soie à la Sicile pour toute l’Europe)[47].

    L'économie

    L'économie du comté repose essentiellement sur l'agriculture. Celle-ci s'appuie entre autres sur la production de céréales, la culture du mûrier, le vin, le coton, la canne à sucre, les oranges, les agrumes et la palme héritage de la civilisation musulmane[48].

    Le finage des villages est pratiquement achevé.

    Le comté pratique le commerce[48].

    L'activité industrielle est basée essentiellement sur l'extraction du soufre de l'Etna et de la production du sel gemme.

    La santé du Tarì, dernière monnaie d'or d'Occident, est le signe positif de la santé économique du comté[48].

    La monnaie

    Photo en couleur d'une pièce de monnaie
    Tarì en or de Roger II avec écriture arabe

    La monnaie en vigueur pendant la période normande de la Sicile est d'abord le ¼ Dinar. Cette monnaie est instaurée au IXe siècle par les émirs arabes de Sicile dont le choix est de ne pas frapper le dinar comme partout dans le monde arabe (celui-ci pesait habituellement 4,25 g), mais sa division : le ¼ Dinar[1],[49]. Cette monnaie spécifiquement sicilienne a été remplacée, par le suite, par une de ses variantes : le Tarì, qui reste la monnaie en vigueur en Italie du Sud jusqu'à la chute du royaume de Naples en 1816[1].

    Le Tarì (ou tarin) est une monnaie d'or dont les musulmans de Sicile faisaient déjà usage et qui porte deux légendes circulaires en style Kufi. Les comtes de Sicile continuent à frapper cette monnaie, en conservant son type arabo-musulman[50]. Il s'agit de la dernière grande monnaie d'or en Occident, en effet, le reste du continent européen est passé à l'argent dès le XIe siècle[48].

    Listes des comtes de Sicile

    Rang Portrait Nom Règne Dynastie Notes Armoiries
    1 Gravure en noir et blanc représentant deux hommes habillés en blanc et portant un casque Roger Ier le Grand
    (vers 1031 – 22 juin 1101) mort à 70 ans environ
    10851101 Hauteville Dit le « Bosso » puis, le « Grand comte », est un aventurier normand du XIe siècle ; conquérant de la Sicile musulmane, il est à l'origine du comté de Sicile. Image d'un blason bleu avec en diagonale au centre des motifs rouge et blanc
    2 Image d'un point d'interrogation Simon Ier
    (1091 – 1105) mort à 14 ans environ
    11011105 Hauteville Simon de Sicile est un prince normand de Sicile appartenant à la famille Hauteville. Né probablement à Mileto en Calabre en 1091 ou 1093, il est le fils aîné du comte Roger Ier de Sicile dit le « Grand comte » et de Adélaïde de Montferrat. Il succède à son père le 22 juin 1101, devenant comte de Sicile, il meurt prématurément à Mileto, en 1105 alors qu'il est adolescent. Son frère cadet Roger, encore enfant, lui succède sous la régence de leur mère.
    Régence (1105 -1112): Adélaïde de Montferrat, épouse de Roger Ier.
    3 Mosaïque représentant un homme couronné béni par un homme portant une auréole Roger II
    (22 décembre 1095 – 26 février 1154) mort à 59 ans
    11051130 Hauteville Il est le fondateur du royaume de Sicile (1130), souvent qualifié de « Sicile normande » ou de « royaume normand de Sicile ».

    Notes et références

    1. a b et c « Le titre du tari sicilien du milieu du XIe siècle à 1278 », sur Persée.fr.
    2. a b c d et e (en) John Julius Norwich, The Normans in the South, 1016-1130, Londres, Longman, 1967..
    3. a et b (it) Michele Amari, Storia dei Musulmani di Sicilia, vol. 3 vol.
    4. (it) Salvo Di Matteo, Storia della Sicilia, Palerme, , p. 134
    5. (it) Enzo Gancitano, Mazara dopo i Musulmani fino alle Signorie - Dal Vescovado all'Inquisizione, Angelo Mazzotta Editore, , p. 30
    6. Pierre Bouet, Les Normands en Sicile, p. 62.
    7. a et b (en) Einar Joranson, « The Inception of the Career of the Normans in Italy: Legend and History », sur Jstor.org.
    8. « Les Normands en Méditerranée », Dossiers d'archéologie, no 299,‎ (lire en ligne)
    9. « Histoire de la Sicile », sur Cosmovisions.com.
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    Voir aussi

    Crédit d'auteurs

    Bibliographie

    • Jean Levesque de Burigny, Histoire générale de Sicile, dans laquelle on verra toutes les différentes révolutions de cette isle depuis le tems où elle a commencé à être habitée, jusqu'à la dernière paix entre la maison de France & la maison d'Autriche, La Haye, I. Beauregard, (lire en ligne)Document utilisé pour la rédaction de l’article
    • (it) Michele Amari, Storia dei Musulmani di Sicilia (3 vol.), Florence, Le Monnier, 1854-1872 (dernière réédition 2002-2003 chez le même éditeur) (lire en ligne) Document utilisé pour la rédaction de l’article
    • Ferdinand Chalandon, Histoire de la domination normande en Italie méridionale et en Sicile, vol. t. I, Paris, Document utilisé pour la rédaction de l’article
    • Pierre Aubé, Roger II de Sicile, Payot, Document utilisé pour la rédaction de l’article
    • Jean Meyendorff et Aristeides Papadakis (trad. Françoise Lohest), L'Orient chrétien et l'essor de la papauté, Cerf, coll. « Theologies », , 700 p. (ISBN 2204066710, EAN 978-2204066716)
    • Jean-Yves Frétigné, Histoire de la Sicile, (lire en ligne)

    Articles connexes