Chrodoara d'Amay

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Ode d'Amay
Image illustrative de l’article Chrodoara d'Amay
Sainte Ode représentée sur sa châsse à la Collégiale d'Amay.
Veuve, ermite
Décès avant 634 
Amay
Autres noms Chrodoara d'Amay
Vénéré par Église catholique romaine, Orthodoxie occidentale
Fête 23 octobre
Attributs Bâton d'abbesse

Sainte Chrodoara est le nom inscrit sur un sarcophage retrouvé en 1977 dans les fondations de l'église Saint-Georges et Sainte-Ode d'Amay. Chrodoara est identifiée avec sainte Ode d'Amay, ainsi nommée à partir du XIe siècle[1].

C’est l’une des œuvres archéologiques les plus spectaculaires du haut Moyen Âge conservées en Europe. Il s’agit en effet d’un des rares sarcophages à figure humaine de l’époque mérovingienne. Ce sarcophage a acquis une grande notoriété dans le domaine scientifique de l’histoire de l’art et de l’archéologie du haut Moyen Âge.

Ce sarcophage suscite cependant encore aujourd’hui de nombreuses interrogations et hypothèses des historiens, historiens de l’art et autres spécialistes internationaux.

Découverte[modifier | modifier le code]

Fouilles[modifier | modifier le code]

Le 22 janvier 1977, des fouilles réalisées dans la collégiale Saint-Georges-et-Sainte-Ode de la ville d'Amay, à quelques kilomètres en amont de Liège, mettent au jour un sarcophage exceptionnel en pierre calcaire. Il est découvert sous le chœur par Jacques Willems, Eugène Thirion, Thomas Delarue et Freddy Ligot, archéologues du Cercle archéologique d'Hesbaye-Condroz.

Il est aujourd'hui exposé à l'endroit de sa découverte, devant le maître-autel de l'église, à environ trois mètres sous terre, conservé sous une plaque de verre et sur un plancher en plastique entretoisé afin de l'isoler de l'humidité et des champignons. Deux moulages intégraux ont été réalisés par le musée de Mayence en Allemagne. L’un est revenu au musée communal d’Amay et est conservé dans le cloître. L’autre est exposé à Mayence parmi les sculptures les plus importantes du Moyen Âge.

Epigraphie[modifier | modifier le code]

On peut lire sur le couvercle :

  • « SCA Chrodoara » (« Ste Chrodoara »)

Une inscription rimée se lit sur sur le couvercle de tête :

  • « CHRODOARA NUBELIS » (« Chrodoara noble »)
  • « MAGNA ET INCLITIS EX SU/A » (« grande et illustre »)
  • « SUBSTACIA DICTAVIT S(AN)C(T)O/ARIA » (« A doté de nombreux sanctuaires avec ses propres biens »).

Figuration et décor[modifier | modifier le code]

Sur le sarcophage, elle est représentée voilée : ce voile peut laisser supposer qu'elle était l'abbesse d'une petite communauté de type aristocratique, ou bien qu'elle était une veuve non remariée, statut qui impliquait à l'époque mérovingienne une forme de consécration par l'évêque et une vie religieuse domestique[2].

Le bâton est également le symbole du pouvoir abbatial. Un texte fait mention d'une certaine Rodoara, venue au VIIe siècle implorer saint Maximin à Trèves en raison d'une paralysie de la jambe. Si l'identité des deux femmes est avérée, alors le bâton serait en réalité une canne ou une béquille[2].

L'écriture ainsi que le décor du couvercle et des panneaux latéraux, constitué de motifs végétaux et d'entrelacs, sont comparables aux motifs décoratifs retrouvés à Metz ou Echternach[2].

Identification[modifier | modifier le code]

Chrodoara et Ode[modifier | modifier le code]

Les philologues ont démontré que les noms de familles germaniques du haut Moyen Âge étaient constitués d’une forme longue à valeur d’identification familiale. En pays mosan, plusieurs personnages illustres sont d’ailleurs connus avec le préfixe « Chrod » dans leur nom comme Chrodor, Chrodober. À la forme longue, un second nom de famille plus bref, parfois familier pouvait s’adjoindre. Il était utilisé dans la vie quotidienne : en l’occurrence Ode. Les historiens ont démontré aujourd’hui la filiation de Ode et Chrodoara : Ode est le diminutif de Chrodoara, appelée ainsi depuis le Xe siècle.

D'après la Vie de sainte Ode composée au XIIIe siècle, elle aurait épousé le duc d'Aquitaine Bodogisel. Devenue veuve en 589, elle aurait quitté la région pour s'installer à Amay où elle aurait consacré son temps et sa fortune à l'Église et à la charité. Elle est enterrée sous l'église d'Amay. Vingt ans plus tard, Hubert de Liège, évêque de Liège, aurait procédé à l'ouverture de sa sépulture auprès duquel de nombreux miracles se seraient accomplis. Une « odeur suave » se serait alors échappée de la tombe.

Sarcophage de Chrodoara.

Testament de son neveu Adalgisel[modifier | modifier le code]

Chrodoara aurait été inhumée dans l’église d’Amay d'après le testament de 634 de son neveu, Adalgisel-Grimmo, diacre de Verdun et probable oncle du duc Adalgisel[3]. Adalgisel-Grimmo y déclare effectuer un legs à l’église Saint-Georges d’Amay dans laquelle repose sa tante paternelle, ce qui situe la mort de Chrodoara avant 634.

Chrodoara est issue des Chrodoïnides aux VIIe et VIIIe siècles, une des grandes familles de l’époque, localisée autour des fleuves du Rhin, de la Meuse et de la Moselle, et particulièrement à Trèves. La lignée des Chrodoïnides est fondée par un certain Chrodouin. Cette famille concurrence les Pippinides, dont sont issus les Carolingiens.

Sanctification de Chrodoara[modifier | modifier le code]

Une première inhumation au VIIe siècle[modifier | modifier le code]

Le décor datant du début du VIIIe siècle, le corps de Chrodoara n'a pas pu être déposé dans le sarcophage lors de ses funérailles. De plus, le terme de « saint » ou « sainte » n'est jamais donné immédiatement après la mort[2].

Un sarcophage datant du VIIIe siècle[modifier | modifier le code]

D'après la Vie de sainte Ode, l'élévation du corps (la reconnaissance formelle de la sainteté de la défunte) a lieu au début des années 730, durant l'épiscopat de Floribert de Liège. Cette célébration liturgique était destinée à mettre en valeur les vertus de ce saint personnage et à susciter une dévotion.

D’autres raisons corroborent aussi cette datation, à savoir :

  1. La grande qualité d’exécution du couvercle conduit à penser que c’est une œuvre à situer fin VIIe - début VIIIe siècle, de par la complexité du décor, la maîtrise de la composition et la sûreté de la taille et de la gravure ;
  2. La pratique funéraire de l’inhumation qui n’apparaît qu’à partir de la 2e moitié du VIIe siècle (650), voire début VIIIe siècle (avant incinération) ;
  3. La graphie et la langue tendent à démontrer que le sarcophage est mérovingien :
    • La graphie typiquement mérovingienne (comparaison),
    • Le texte est écrit dans un latin évolué de type mérovingien, qui est une altération du latin classique : nubelis pour nobilis, substancia pour substantia, sanctoaria pour sanctuaria, inclitis pour inclita[2].
Sarcophage de Chrodoara, chœur de la Collégiale d'Amay (VIIIe siècle).

Un sarcophage-reliquaire[modifier | modifier le code]

Le sarcophage-reliquaire a donc sûrement été réalisé pour abriter les reliques de la nouvelle sainte, et destiné à être exposé à la vue des fidèles à l'intérieur de l'église d'Amay, d'où son décor sculpté. En effet, un sarcophage enfoui n’est pas décoré habituellement. L’inscription sur le sarcophage atteste cette thèse. On y lit le terme « sancta » désignant la défunte comme sainte et les caractéristiques essentielles de la vie du personnage, décrite comme noble, riche, puissante, et généreuse envers l’Église.

Au XIIe siècle (vers 1050-1100), peut-être avant d’après les dernières recherches, la mode des sarcophages en pierre ornée tend à disparaître. On préfère alors les « châsses » en orfèvrerie. Les restes de la fondatrice sont alors exhumés pour être placés dans plusieurs châsses successives. Le « vieux sarcophage-reliquaire » en pierre, devenu inutile est ainsi enfoui sous le chœur. C'est la raison pour laquelle le sarcophage est pratiquement vide au moment de sa découverte en 1977, hormis quelques objets et ossements. Parmi ces éléments, on retrouve surtout des fragments de verres, datés entre le VIIIe et IXe siècles au plus tôt et entre le XIIe et XIVe siècles au plus tard. La fourchette chronologique comprend donc la date du transfert de sarcophage-reliquaire en pierre à sa dernière châsse en orfèvrerie.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • DIERKENS Alain, « Le sarcophage de sancta Chrodoara. Vingt ans après sa découverte exceptionnelle », acte du colloque international d’Amay, 2006. Vita sanctae Odae, XIIIe siècle.
  • Stiennon Jacques, Le sarcophage de Sancta Chrodoara à Saint-Georges d'Amay : essai d'interprétation d'une découverte exceptionnelle. In : Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 123e année, no 1, 1979, p. 10-31 (en ligne, doi:10.3406/crai.1979.13555).
  • Collectif, « Le sarcophage de Sancta Chrodoara en l'église collégiale Saint-Georges d'Amay », 1977-1978, Bulletin du Cercle archéologique Hesbaye-Condroz, 15.Araks TELIMYAN, "Sainte Ode et Chrodoara, de la légende à l'histoire. La Vitas. Odae : historicité et idéal de sainteté", Annales du cercle hutois des Sciences et Beaux-Arts, t. LX, 2019, p. 41-76.
  • Maurice Coens, La vie de sainte Ode d'Amay, dans Analecta Bollandiana, t. 65, 1947.
  • Dierkens Alain, « Chrodoara est-elle d’origine aquitaine ? », Note sur le dossier hagiographique de sainte Ode d’Amay, Presses universitaires de Rennes, 2019.
  • Ricardo Guttierrez, Chrodoara, la mérovingienne d'Amay, Le Soir, , p. 11.
  • Sabine Lourtie, Sancta Chrodoara, trésor de Wallonie, La Libre, mis en ligne le 14 septembre 2009.
  • Freddy Van Daele, La Dame du Sarcophage d'Amay roman historico-légendaire, éditeur Alfred Van Daele à Hosdent, La Libre, .
  • Collectif : « Trésors de la Collégiale d’Amay », Amay, Cercle archéologique Hesbaye-Condroz, 1989, 208 p. Revue o Bulletins du cercle archéologiques Hesbaye-Condroz (articles nombreux et divers).
  • KIKIRPA - : inventaire du patrimoine mobilier.

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. À ne pas confondre avec sainte Ode de Rode, commémorée liturgiquement le 27 novembre, dont le souvenir est actif dans la région limbourgeoise (qui faisait partie de la principauté de Liège) au VIIIe siècle.
  2. a b c d et e Geneviève Bührer-Thierry, Charles Mériaux, 481-888 - La France avant la France, Paris, Editions Belin, , 688 p. (ISBN 978-2-7011-9188-1), p. 250.
  3. Christian Settipani, « L'apport de l'onomastique dans l'étude des généalogies carolingiennes », dans Onomastique et Parenté dans l'Occident médiéval, Oxford, Linacre College, Unit for Prosopographical Research, coll. « Prosopographica et Genealogica / 3 », , 310 p. (ISBN 1-900934-01-9), p. 185-229, p. 213, 216 et 217.

Liens externes[modifier | modifier le code]