Charge creuse

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Une charge creuse moderne contient un cylindre renfermant un revêtement conique en cuivre (3), recouvert d'une coiffe métallique (1) améliorant l'aérodynamisme et déterminant la distance de déclenchement optimale. Cette coiffe porte à son extrémité un capteur piézoélectrique (6) qui, à l'impact, déclenche le détonateur (4), mettant la charge à feu (5). Le terme de « charge creuse » est dû au volume vide (2) caractéristique de la structure de la munition.

La charge creuse, appelée HEAT (en anglais : high-explosive antitank, signifiant littéralement « explosif puissant antichar »), est un type de charge explosive perforante utilisée dans les obus à charge creuse, les roquettes antichars et missiles antichars ainsi que dans l'industrie de la démolition.

Principe de fonctionnement[modifier | modifier le code]

Son fonctionnement est basé sur l'effet Munroe. En bref, il s'agit de contrôler la dispersion du flux énergétique et des particules issus d'une explosion, ce flux ayant tendance à suivre l'onde de l'explosion.

Le principe de l'arme est le suivant[1],[2] :

  • lors de l'impact, et donc de l'explosion de la charge explosive (no 5), la feuille de cuivre (no 3) va se déformer ;
  • la puissance de la charge va retourner le cône inversé par sa pointe dans le sens de la propagation de l'explosion, créant ainsi un jet de métal (appelé « dard ») qui est projeté contre le blindage ;
  • le puissant jet de métal heurte le blindage en un seul point, concentrant ainsi toute son énergie sur une zone très réduite. L'efficacité est nourrie par l'effet de la masse en provenance de l'arrière (le cône se retournant sous l'effet de l'explosion, sa partie élargie arrivera après le début de la pénétration et dans son axe). La cible est alors perforée en ce point, permettant au jet de la traverser et d'occasionner des dégâts le plus souvent létaux via l'onde de choc, les gaz à très haute température et le jet de métal en lui-même ;
  • le mécanisme principal responsable de la pénétration est une déformation plastique du matériau cible, au point où celle-ci devient définitive de par la grande pression exercée.

La formation optimale du dard est atteinte à une certaine distance de la cible à pénétrer. Si celui-ci devait se constituer trop près de sa surface, le diamètre obtenu engendrerait une pression spécifique moins efficace. Ceci explique la forme des munitions à charge creuse qui permet de placer l'amorce en amont de la charge. On pourrait comparer le comportement du jet à celui d'une lentille convergente.

Comportement du dard[modifier | modifier le code]

Impact d'une roquette antichar tirée depuis un lanceur RPG-7, illustrant le principe de la charge creuse.

L'explosion de la charge explosive crée un dard dont la nature n'est pas parfaitement connue en 2021. Composée du matériau utilisé dans le cône tel que cuivre, l'aluminium ou le PTFE, on peut le décomposer en trois parties dans l'ordre chronologique à la suite de l'effondrement du cône :

  • le jet lent, plus large. Il se rompt généralement vers 200 ms[3] après son apparition, soit le temps de parcourir plus d'un mètre (8 km/s) ;
  • la protubérance, liée à la détente du jet lent ;
  • le dard hypervéloce[4], dans certains cas spécifiques l'apparition d'un jet plus fin et rapide (20 km/s) est observée.

Des doutes subsistent toujours quant à son état. À l'extérieur du dard la température est inférieure à celle de fusion du matériau pour la pression présente (de 400 °C pour l'enveloppe à 1 000° pour le bout du dard avec des écarts très variable en fonction du matériau utilisé et des expériences[5]). L'intérieur du dard ne peut être mesuré par radiométrie ou rayonnement[5] mais il est parfois considéré comme dans un état plasma. Enfin, on sait que la protubérance se vaporise rapidement. La perforation optimale est observée à une distance de détonation comprise entre deux et six fois le diamètre du cône[3].

Utilisation militaire[modifier | modifier le code]

Coupe de la tête d'une grenade perforante à charge creuse 58
Coupe de la tête d'une roquette à charge creuse 58

La charge creuse est appréciée pour sa capacité de pénétration qui ne nécessite pas le lancement de la munition à très haute-vitesse, facilitant ainsi sa mise en œuvre. Ici, contrairement à d'autres types de munitions antichars (type obus flèche), la perforation du blindage est liée à l'explosion et à la structure de la charge. Ainsi, elle offre une capacité anti-char aux unités d'infanterie, notamment aux troupes aéroportées (ex. : M50 Ontos, canon M40, RPG-7).

Elle se trouve entre autres dans une grande variété de munitions antichar (ex. : obus à charge creuse OCC 105 F1, grenade RPG-43, LRAC F1, BGM-71 TOW).

Cependant, en réaction à l'amélioration des blindages, les munitions à charge creuse sont progressivement remplacées par d'autres munitions antichars (explosif perforant HEAP (en), explosif à tête d'écrasement HESH et obus flèches perforants APDS)[6],[7].

Utilisation civile[modifier | modifier le code]

Dans le domaine civil, la charge creuse est principalement utilisée dans la démolition de bâtiments sous forme de charges linéaires coupantes pour sectionner les piliers mais aussi dans l'industrie pétrolière afin de creuser des puits. Elle peut aussi être utilisée pour déblayer les glaciers en faisant exploser leurs flancs.

Historique et évolutions[modifier | modifier le code]

Il est difficile de dater l'apparition de la charge creuse, l'effet Munroe est découvert en 1888, on peut estimer son apparition dans le domaine militaire au début du XXe siècle notamment en Allemagne et en Italie. Avant 1923 aucune application militaire concrète n'est connue[8].

Au début de la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne utilise des charges creuses afin de détruire les fortifications comme à l'observatoire de la Croix de Charneux.

Thomson-Brandt développa l'invention sous la forme de la grenade à fusil modèle 1941 pour MAS 36, trop tard cependant pour être distribuée au front en 1940. L'invention rejoignit les États-Unis par la valise diplomatique, les États-Unis payant à la firme Brandt des royalties sur toutes les charges creuses réalisées pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le premier bazooka était à l'origine un lance-harpon destiné à la chasse de la baleine, les Américains l'ont alors simplement utilisé comme propulseur pour envoyer une charge creuse.

Les charges plates à base magnétique ont été utilisées dès le début de la Seconde Guerre mondiale lors de la prise du fort d'Eben-Emael. À cette époque, seul ce type de munition était capable de venir à bout des blindages modernes. Cependant, les fortes dimensions des charges ne permettant pas encore leur intégration dans un obus ou une roquette, elles furent amenées sur place par des planeurs et posées manuellement sur leurs cibles.

Ce défaut fut par la suite résolu, permettant l'intégration de la charge creuse dans les Panzerfaust allemands, le bazooka américain ou encore le PIAT britannique. Depuis, les charges creuses sont présentes dans de nombreux obus de char d'assaut, ou dans les roquettes antichar, sous la désignation HEAT, en concurrence avec les obus AP (armour piercing).

Les Allemands, s'étant emparés des premiers bazookas américains, s'empressèrent de les copier sous la forme du Panzerschreck, puis vers la fin de la guerre sous la forme de lanceurs jetables à charge surcalibrée, avec la famille des Panzerfaust. Ils utilisèrent également des Mistel, bombardiers Ju 88 modifiés, avec le poste de pilotage remplacé par une énorme charge creuse et pilotés par un chasseur (Bf 109 puis Fw 190) placé sur le bombardier, qui se décrochait peu avant l'impact. Cet assemblage fut utilisé avec des succès variables contre des installations navales alliées comme Gibraltar, Leningrad (nom donné à Saint-Pétersbourg entre 1924 et 1991) ou Scapa Flow, et les ponts traversant la Vistule, un fleuve polonais.

Durant la Seconde Guerre mondiale, les Britanniques utilisent la charge creuse employée sous forme de grenade.

Les charges creuses au début des années 1960 peuvent percer quatre fois leur calibre dans le blindage d'acier des chars, dans les années 1970, huit fois, et dans les années 1980, dix fois avec l'explosif le plus puissant, l'octolite [archive]. Elles ont perdu de leur attrait au cours de cette même période avec la parade consistant à la mise au point du blindage réactif qui disperse efficacement le jet perforant des charges creuses. Contrairement aux obus perforants, la charge creuse tire son efficacité de la puissance de l'explosif. Elle présente une efficacité indépendante de la vitesse du projectile qui la porte, ce qui la rend toujours très utile sur les missiles, les roquettes ou les sous-munitions aériennes antichar.

Afin de contrer les blindages réactifs, certaines munitions sont désormais équipées de charges creuses en tandem, comme sur le missile HOT. Une petite charge creuse placée à l'avant provoque l'explosion de la tuile, permettant à la seconde charge de taille normale d'agir sur un blindage plus conventionnel.

De même, à la fin de la Seconde Guerre mondiale le blindage cage (souvent confondu avec les Schürzen) fait son apparition sur certains chars soviétiques. Bien qu'aujourd'hui généralisé il est progressivement abandonné à la suite de l'évolution de l'amorce des HEAT empêchant leur destruction et entraînant un déclenchement précoce qui favorise la pénétration du dard.

Une des dernières protections contre les charges creuse à ce jour est liée à l'apparition des systèmes de protection active (hard kill) capables d'intercepter et de détruire les charges creuses avant qu'elles ne puissent endommager le véhicule tel le système Iron Curtain.

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. « Historique de la charge creuse », Musée de l'Infanterie (consulté le )
  2. « Les charges creuses », Panzer Chroniques (consulté le )
  3. a et b (en) Manuel G. Vigil, Sandia National Laboratories, « Optimized Conical Shaped Charge Design Using the SCAP Code » [PDF], (consulté en )
  4. J. Leyrat, E. Charvet, M. Mace, H. Pujol, Journal de Physique IV Proceedings, EDP Sciences, « CRÉATION ET SIMULATION DE JETS HYPER- VELOCES. » [PDF], (consulté en )
  5. a et b (en) W. Casey Uhlig, Charles R. Hummer, US Army Research Laboratory, Aberdeen Proving Ground, « In-Flight Conductivity and Temperature Measurements of Hypervelocity Projectile » [PDF], (consulté en )
  6. « H1MIN: HESH VS. HEAT » (consulté le )
  7. André Dumoulin, « Surenchère à la menace conventionnelle : le blindage réactif, un nouveau « gap » militaire (Note) », Études internationales, 20(2), 359–367,‎ (lire en ligne)
  8. A. Boniface, Revue Militaire Suisse, « Les charges "creuses" et leur application aux projectiles antichars » [PDF], (consulté en )