Bernard Groethuysen

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Bernard Groethuysen (prononcer « Grout-œil-zen »), né le à Berlin, mort au Luxembourg[1] le 17 septembre 1946, est un écrivain et philosophe français. Ses travaux, aux confins de l'histoire et de la sociologie, concernent l'histoire des mentalités et des représentations (Weltanschauung), et l'interprétation (herméneutique) de l'expérience du monde. Dans l'entre-deux-guerres, il fait connaître en France Kafka et la sociologie allemande[2].

Biographie

Bernard Groethuysen est le deuxième enfant d'une fratrie de cinq. Sa mère, Olga Groloff, est issue d'une famille d'immigrants russes[3]. Son père, Philipp Groethuysen, est un médecin (Sanitätsrat (de)) hollandais, fixé à Berlin, dont la famille est originaire de Straelen en Rhénanie-Westphalie. Souffrant de problèmes psychiatriques, celui-ci suit un traitement à partir de 1885 dans un sanatorium à Baden-Baden où il meurt en 1900. C'est dans cette ville que Bernard Groethuysen fait ses études primaires et secondaires. Brillant élève, il rejoint l'Université pour des études de philosophie et d'histoire de l'art, d'abord à Vienne, puis à Munich et enfin à Berlin. Il est successivement élève de Georg Simmel, Heinrich Wölfflin et de Wilhelm Dilthey[4]. Après avoir soutenu sa thèse de philosophie en 1904, il enseigne dès 1906 à l'université de Berlin.

Poursuivant des travaux sur Leibniz, il se rend à Paris à l'automne 1904 où il fait la connaissance d'André Gide et de Jean Paulhan et retrouve Charles du Bos qu'il a rencontré à Berlin quelque temps auparavant. Revenant ensuite chaque année dans la capitale française, il se révèle un remarquable « passeur » entre les cultures allemande et française. À partir de 1912, il partage la vie d'Alix Guillain (1876-1951), militante communiste belge. Tous deux s'installent à Paris dans un petit atelier d'artiste rue Campagne-Première. La guerre le surprend en France. En février 1915, il est interné à Châteauroux, au camp de Bitray réservé aux civils étrangers et situé dans les locaux de l'asile d'aliénés de la ville. Ses amis Charles Du Bos et Charles Andler, ainsi qu'Henri Bergson, tentent d'améliorer ses conditions de détention et obtiennent finalement des autorités qu'il réside en ville chez des particuliers.

À partir de 1924, il participe chaque année aux célèbres décades organisées par Paul Desjardins à l'abbaye de Pontigny où il a l’occasion de côtoyer et de s'entretenir avec toute l'intelligentsia française de Gide à Aragon en passant par Benda, Brunschwicg, Mauriac, Maurois, Gabriel Marcel, Martin du Gard, Soupault, etc. En 1926 il crée avec Jean Paulhan chez Gallimard une collection qui deviendra célèbre, la Bibliothèque des idées. Nommé professeur titulaire en Allemagne en 1931, il quitte son pays l’année suivante par pressentiment de la montée du nazisme. Il achève son dernier cours par ces mots : « Intellectuels de tous les pays, unissez-vous !». En 1937, il acquiert la nationalité française et en 1938 il est définitivement radié de l'Université allemande.

Son ouverture d'esprit, son appétit de connaissance et sa générosité font de lui un des grands intellectuels européens de la première moitié du XXe siècle. Entre autres nombreux travaux, il a traduit pour Gallimard les romans de Goethe, contribué à introduire Kafka en France (il préface la traduction du Procès de Kafka par Alexandre Vialatte (1946)). Lucien Herr a vu en lui un « sophiste » au sens noble du terme, Jean Wahl un « bon Européen », Pierre Jean Jouve un « homme extraordinaire ». André Gide et André Malraux furent de ses amis. À la mort du penseur, Jean Paulhan écrit un hommage tout personnel : "Mort de Groethuysen à Luxembourg". Groethuysen meurt en effet au Luxembourg, à la clinique Sainte-Élisabeth, d'un cancer du poumon[5] en septembre 1946.

Ses travaux auront porté essentiellement sur le XVIIIe siècle philosophique et politique, Montesquieu, Rousseau, la Révolution française. Quant à son traité sur Denis Diderot, La Pensée de Diderot, (1913)[6], il est d'une importance considérable pour la réception de l'œuvre de l'encyclopédiste au XXe siècle, initiant de nouvelles pistes, permettant de nombreux nouveaux travaux de recherche.

Il existe un portrait de Bernard Groethuysen peint par Karl Hofer (ancienne collection André Berne-Joffroy), ainsi qu'une Association des Amis de Bernard Groethuysen (loi 1901).

Œuvres

  • Introduction à la pensée philosophique allemande depuis Nietzsche, Paris, Stock, 1926, 127 p.
  • Origines de l'esprit bourgeois en France. I. L'Église et la bourgeoisie[7], Paris, Gallimard, 1927, 299 p.
  • Mythes et portraits, préface de Jean Paulhan, Paris, Gallimard, 1947, 207 p. [coll. « Les Essais », XXIII].
  • Rousseau, Paris, Gallimard, 1949, [coll. « Les Essais »].
  • Anthropologie philosophique, Paris, Gallimard, 1953 [coll. « Bibliothèque des idées » puis coll. « Tel »].
  • Philosophie de la Révolution française, Paris, Gallimard, 1956, [coll. « Bibliothèques des idées »]
  • Philosophie et histoire, édité par Bernard Dandois, Paris, Albin Michel, 1995, 365 p.
  • Mythes et portraits. Autres portraits, Paris, Gallimard, 1995, [coll; « Les Cahiers de la NRF » dirigée par Jean-Pierre Dauphin]

Parmi les publications de Bernard Groethuysen en revues :

  • Bernard Groethuysen, « A.D. Gurewitsch », Hermès, deuxième série, n° I, janvier 1936, p. 93.
  • Bernard Groethuysen, « Avant-propos » pour Maître Eckhart, Hermès, deuxième série, n° IV, juillet 1937, p. 5-6.
  • Bernard Groethuysen, « Carolus Bovillus », Mesures, 6e année, n° I, 15 janvier 1940, p. 61-73.
  • Bernard Groethuysen, « Montesquieu et l'art de rendre les Hommes libres », Fontaine, no 56, novembre 1946, p. 505-519.
  • Bernard Groethuysen, «La pensée de Diderot», La Grande Revue, Paris , no 82 (1913), p. 322-341

Annexes

Notes

  1. D'après Joseph Dopp, « Chronique », Revue philosophique de Louvain, vol. 44, no 3,‎ , p. 468
  2. D'après Roger Schmit, « Revue critique de l'ouvrage « Zwischen Berlin und Paris : Bernhard Groethuysen (1880-1946). Eine intellektuelle Biographie. » de K. Grosse-Kracht », Archives de Philosophie, vol. 66, no 2,‎ , p. 335
  3. « In memoriam Bernhard Goethuysen. » Dans le : Zeitschrift für Religions- und Geistesgeschichte, Marburg 1948, p. 79-85, en ligne
  4. D'après J. Dopp, Chronique in Rev. Phil. Louvain, p. 468
  5. Cf. entre autres Jean Fréville, « Bernard Groethuysen est mort », L'Humanité, no 29 septembre,‎ , cité dans Robert Maggiori, « Passages de Groethuysen », Libération, no 27 avril,‎ (lire en ligne)
  6. Bernard Groethuysen, La Pensée de Diderot dans la langue française inclus dans Jochen Schlobach (edit.), « Denis Diderot » Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt 1992, ISBN 3-534-09097-7, p. 39
  7. Le tome II n'a jamais été rédigé ; cf. R. Schmit, op. cit.

Bibliographie

Témoignages sur Bernard Groethuysen

  • M. Saint-Clair, « Bernard Groethuysen », L'Arche, n° 18-19, août-septembre 1946.
  • Pierre Jean Jouve, « Bernard Groethuysen », La Nef, n° 23, octobre 1946, p. 122-123.
  • Marcel Arland, « Bernard Groethuysen », Une semaine dans le monde, no 26, samedi 5 octobre 1946, p. 11.
  • Clara Malraux, « Bernard Groethuysen », Action, 18 octobre 1946, p. 14-15.
  • Jean Wahl, « Bernard Groethuysen », Fontaine, no 56, novembre 1946, p. 503-504.
  • Jean Paulhan, « Mort de Groethuysen à Luxembourg », d'abord en revue, dans La N.R.F., 1er mai 1969, p. 946-976 puis en volume, Montpellier, Fata Morgana, 1977, 75 p. [version partielle dans les deux cas].

Études

  • Coll, « Catholicisme et bourgeoisie. Bernard Groethuysen », Cahiers du Centre de Recherches historiques, no 32, octobre 2003.
  • Bernard Dandois, « Bernard Groethuysen et le jeune Sartre », Les Temps modernes, n° 658-659, avril-juillet 2010, p. 159-172.
  • Bernard Dandois, Malraux et Groethuysen. Convergences de pensées, La Pierre de Follerie, s.d., 54 p.
  • Klaus Grosse Kracht, Zwischen Berlin und Paris : Bernard Groethuysen (1880-1946), Tübingen, Niemeyer, 2002, 336 p.

Liens externes