Anneau des entiers de Q(√5)

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En mathématiques, l'anneau des entiers de Q(√5) est l'ensemble des nombres réels de la forme a + b(1+5)/2, où a, b sont deux entiers relatifs, muni des opérations usuelles d'addition et de multiplication. On le note habituellement Z[(1+√5)/2]. C’est le plus petit ensemble de nombres qui contienne à la fois les entiers ordinaires et le nombre d'or (1+√5)/2, et qui soit stable par addition et multiplication.

En théorie algébrique des nombres, on le définit simplement comme l'anneau des entiers du corps Q(√5). Cet anneau est un anneau quadratique réel euclidien. Il possède en particulier des propriétés arithmétiques analogues à celles des nombres entiers usuels : il est possible d’y définir une division euclidienne, de calculer le plus grand commun diviseur et le plus petit commun multiple de deux ou plusieurs nombres, d’y démontrer le lemme d'Euclide et l'identité de Bézout. Une version du théorème fondamental de l'arithmétique, garantissant l'existence et l'unicité de la décomposition de tout nombre en un produit de facteurs premiers, y est aussi valide. Une différence importante, cependant, est qu’il n’existe dans Z que deux éléments inversibles pour la multiplication, +1 et -1, mais qu’il en existe une infinité dans l’arithmétique de Z[(1+√5)/2].

Cet anneau est souvent utilisé comme un des exemples privilégiés pour illustrer concrètement la théorie plus avancée des entiers dans les corps de nombres. Son arithmétique permet aussi de justifier plusieurs propriétés mathématiques du nombre d'or, et d’étudier certaines équations diophantiennes classiques, comme , liée au dernier théorème de Fermat dans le cas de degré égal à cinq ou , un cas particulier de l'équation de Pell-Fermat.

Notations

Pour simplifier, on désigne aussi par la lettre ω le nombre d'or (1 + 5)/2 ; l'ensemble étudié se note alors Z[ω][1]. Plus généralement, on utilise des lettres grecques dans cet article pour désigner des éléments de Z[ω], et on réserve les lettres latines pour désigner les entiers relatifs ou les nombres rationnels. La lettre ε est utilisée pour décrire une unité, c'est-à-dire un élément inversible de Z[ω].

Un élément α de Z[ω][2], par définition, est donc un nombre (réel) qui peut s’écrire α = a + b.ω, pour deux entiers relatifs a et b. Cette écriture est unique, et on appellera à l’occasion a et b les coordonnées de α. On peut représenter ces nombres géométriquement de plusieurs façons, par exemple en représentant α par un point de coordonnées (a, b) dans un plan muni d’un repère.

Structure

Dans cette section sont expliquées les opérations (addition, multiplication…) sur les nombres α = a + b.ω, et les structures fournies par ces opérations. La démarche suivie est analogue à celle utilisée dans le cas des entiers de Gauss, qui sont des nombres de la forme a + b.i, où i est le nombre complexe solution de l’équation x2+1 = 0, une équation quadratique (du second degré). Ici ω est solution d’une autre équation quadratique, x2-x-1 = 0. Le polynôme x2-x-1 est appelé polynôme minimal de ω.

Structure d'anneau

On remarque que :

En particulier, ω est solution de l’équation quadratique x2-x-1=0.

On en déduit que

Et ainsi de suite : tous les termes ωn s’expriment finalement par une expression de la forme a + b.ω où a et b désignent deux entiers relatifs (appartenant à la suite de Fibonacci, comme exposé plus bas).

Plus généralement, les polynômes à coefficients entiers dans lequel on a remplacé la variable X par ω (c’est-à-dire les expressions de la forme anωn + an-1ωn-1 +… + a1.ω + a0, où n désigne un entier positif et les symboles ai des entiers relatifs), se ramènent aussi à des expressions du type a + b.ω où a et b désignent deux entiers relatifs.

Ces propriétés permettent de vérifier que l'ensemble Z[ω] est un sous-anneau du corps des nombres réels : plus simplement, il est stable par les opérations d’addition, de soustraction et de multiplication usuelles, c’est-à-dire que si on ajoute, soustrait ou multiplie entre eux deux nombres Z[ω], ils sont encore dans Z[ω].

En effet, pour tous entiers relatifs a1, a2, b1, b2,

ce qui montre la stabilité par soustraction et addition, et

en remplaçant ω2 par sa valeur 1+ω, ce qui montre que le produit est encore de la forme a + b.ω, donc que Z[ω] est stable par multiplication.

Les opérations usuelles sont donc bien définies sur l’ensemble Z[ω] et héritent de toutes les propriétés de ces opérations sur les nombres réels. Par exemple, les opérations sont commutatives, la multiplication par un nombre de Z[ω] d’une somme de nombres de Z[ω] est la somme des multiplications de chaque terme, etc. L'anneau Z[ω] est intègre (un produit de deux nombres ne peut être nul que si l’un d’eux est nul) et de caractéristique nulle (une somme de type 1 + 1 +… + 1 n'est jamais égale à 0).

Une remarque sur Z[√5]

On aurait pu imaginer (pour mieux imiter les entiers de Gauss, par exemple) d’étudier les nombres, apparemment plus simples, de la forme a + b.√5, avec a et b des entiers. Ils forment l’ensemble noté Z[√5], qui est aussi un sous-anneau commutatif des nombres réels (le nombre √5 est solution de l’équation quadratique x2-5=0 et les mêmes raisonnements s’appliquent). Cet ensemble est en fait un sous-anneau de Z[ω] : en effet, √5 = -1+2(1+√5)/2=-1+2ω, et plus généralement, tous les nombres de la forme a + b.√5, avec a et b entiers peuvent s’écrire sous la forme a’+b’ω, avec a’ et b’ entiers.

En revanche, ω ne peut pas s’écrire sous la forme a + b.√5, avec a et b entiers (à cause du dénominateur ½), donc Z[√5] est strictement inclus dans Z[ω]. En fait, si les propriétés algébriques des deux ensembles sont analogues (ce sont des anneaux pour les mêmes opérations), Z[√5] est trop petit, comme on le verra, pour y faire confortablement de l’arithmétique. Comprendre quels étaient les bons ensembles de nombres à prendre en compte est une des difficultés rencontrées par les mathématiciens du xixe siècle.

Suite de Fibonacci

Si l’on reprend les premiers termes de la suite ωn pour n un entier naturel, et si l’on écrit leurs coordonnées, c’est-à-dire le couple ((an), (bn)) intervenant dans leur expression ωn = (an) + (bn) ω, on obtient (1,0), (0,1), (1,1), (1,2), (2,3)… On reconnait là le début de la suite de Fibonacci.

On a effectivement :

c’est-à-dire la suite de Fibonacci. On a alors

Cette proposition se démontre par récurrence. La formule est vraie si n est égal à 0 ou 1. Supposons la première formule vraie pour l’entier n, on a alors :

la formule est donc vraie pour l’entier n+1, ce qui achève la preuve. Une démonstration analogue établit la relation de récurrence annoncée pour les valeurs négatives de n.

Le corps Q(√5)

Tout comme pour l'anneau Z des entiers relatifs, il existe des éléments qui ne sont pas inversibles dans Z[√5] ou dans Z[(1+√5)/2]. Par exemple le nombre 5 appartient à Z[(1+√5)/2] mais n'est pas inversible dans cet ensemble. On a donc de nouveaux éléments en formant des fractions d'éléments de ces anneaux.

Ces fractions sont encore des nombres réels, mais ils appartiennent en fait à un plus petit corps commutatif (c’est-à-dire une structure dans laquelle les divisions par des éléments non nuls sont possibles). On note cet ensemble Q(√5). On l’obtient indifféremment en prenant les fractions d'éléments de Z[√5] ou d’éléments de Z[(1+√5)/2]), car une fraction d’éléments de Z[(1+√5)/2]) est aussi une fraction d'éléments de Z[√5]. On dit que Q(√5) est le corps des fractions de Z[√5], ainsi que de Z[(1+√5)/2].

Le corps Q(√5) est aussi le plus petit corps de nombres réels contenant l'ensemble des nombres rationnels Q et √5 (ou Q et ω). C'est un cas particulier de corps quadratique, c’est-à-dire de corps construit à partir des nombres rationnels et d’une solution d’une équation quadratique. Par addition et multiplication, ce corps contient donc les nombres de la forme r + s√5, r et s étant rationnels. Cette écriture est unique car √5 est irrationnel, et donc r + s√5 = 0 n'est possible que si r = s = 0. Mais réciproquement, on voit facilement que l'ensemble des nombres de la forme r + s√5, r et s étant rationnels, est stable par somme, par produit (car √5 × √5 = 5), et par inverse (car, r et s étant rationnels, si r + s√5 ≠ 0, (r + s√5)(r - s√5) = r2 - 5 s2 ≠ 0) ; ces nombres forment donc un corps commutatif contenant Q et √5, qui est Q(√5) lui-même. On peut aussi vérifier directement que les fractions d’éléments de Z[(1+√5)/2] ou de Z[√5] peuvent s’écrire sous la forme r + s√5, avec r et s des nombres rationnels.

Tous les éléments d'un corps quadratique comme Q(√5) sont solutions d’équations du second degré à coefficients rationnels,

Cette équation peut aussi être transformée en une équation à coefficients entiers (dans Z) en la multipliant par un multiple commun des dénominateurs de 2r et r2 - 5 s2.

Dans ce qui précède, Q(√5) a été fabriqué à partir de Z[√5], ou de Z[(1+√5)/2]. On peut se demander comment récupérer ces anneaux directement à partir de Q(√5). C’est la notion d’« entier d'un corps quadratique » qui le permet, au moins pour Z[(1+√5)/2], qui va donc apparaître comme plus naturellement attaché à Q(√5).

Définition.[3] Les entiers du corps quadratique Q(√d) sont les éléments de ce corps qui sont solutions d'une équation à coefficients entiers (dans Z), dont le coefficient de plus haut degré est 1.

En fait, ce sont les racines d'un polynôme de degré 2 de la forme X2 + aX + b, avec a et b dans Z. Autrement dit, ce sont des entiers quadratiques.

  • Un entier relatif n est un élément de Q(√5), et un entier de ce corps comme racine de (X - n)2.
  • Plus généralement, en vertu de l'équation donnée plus haut, si m et n sont deux entiers relatifs, m + n√5 est un entier de Q(√5), comme racine de X2 - 2 mx + m2 - 5 n2.
  • Toujours en vertu de la même équation, le nombre d'or (1+√5)/2, racine du polynôme X2 - X -1, est aussi un entier de Q(√5).
  • Plus généralement si m et n sont deux entiers relatifs, m + n(1+√5)/2 est un entier de Q(√5), comme racine de X2 - 2 (m+n/2)X + (m+n/2)2 - 5 (n/2)2 ( = X2 - (2 m+n)X + (m2 + mn- n2) ).

On peut montrer que Z[(1+√5)/2] rassemble tous les entiers de Q(√5)[4]. Un anneau qui a pour éléments tous les entiers de son corps des fractions est dit intégralement clos. L'anneau Z[(1+√5)/2] est donc intégralement clos, mais ce n’est pas le cas de Z[√5] (puisqu’il ne contient pas (1+√5)/2, qui est un élément de son corps de fractions et un entier comme on vient de le voir). Un anneau qui n'est pas intégralement clos n’a pas d’aussi bonnes propriétés arithmétiques, ainsi il n'y a pas unicité d'une décomposition en facteurs irréductibles. Par exemple, dans Z[√5], on a 4 = 2. 2= (1+√5)(1-√5). Les nombres 2, 1+√5, 1-√5 sont tous irréductibles, dans le sens qu’il n’est pas possible de les décomposer en un produit sans qu’un des facteurs soit une unité. En effet, si 2 s’écrivait (a+b√5)(c+d√5), on aurait, en multipliant par les quantités conjuguées, 4=(a2+5b2)(c2+5d2), donc soit (a2+5b2) ou (c2+5d2) est égal à 1 (et alors (a+b√5) ou (c+d√5) est une unité), soit (a2+5b2) =2, ce qui est impossible. De la même façon, 1+√5 (ou 1-√5) ne peut s’écrire comme un produit (a+b√5)(c+d√5), car le produit par les quantités conjuguées donnerait 6= (a2+5b2)(c2+5d2), or une expression comme a2+5b2 ne peut être égale à 2, ni à 3, donc (a2+5b2) ou (c2+5d2) doit être égale à 1 (et alors (a+b√5) ou (c+d√5) est une unité). On a donc dans Z[√5] deux décompositions en facteurs irréductibles, vraiment différentes (on voit en prenant les quantités conjuguées que 2 et 1+√5, ou 2 et 1-√5, ne sont pas égaux à une unité près). Le problème disparaît dans Z[(1+√5)/2] car dans cet anneau 1+√5= 2ω, et ω est une unité (ω(-1+√5)/2=1), la décomposition devient unique, à unités près. Autoriser le dénominateur 2 dans la définition des entiers est donc ce qui leur garantit ici les meilleures propriétés. Plusieurs auteurs se penchèrent sur ces problèmes au cours du xixe siècle, mais c'est Richard Dedekind qui donna une présentation complète de la notion d'entier algébrique, dans les suppléments à son édition des cours de Dirichlet, en 1871[5].

Le corps Q(√5) peut être considéré comme un espace vectoriel sur le corps des rationnels Q. Il est de dimension 2, admettant par exemple la base formée de 1 et de √5 (tout élément de Q(√5) s’écrivant comme une combinaison linéaire à coefficients rationnels de ces deux nombres). Mais il a aussi une base entière, c’est-à-dire une base qui engendre l’anneau de ses entiers directement par combinaison linéaire à coefficients entiers : on peut prendre 1 et (1+√5)/2. Le discriminant se calcule alors comme le carré du déterminant de la matrice :

soit (-√5)2 = 5. C’est le plus petit discriminant d’un corps quadratique réel[6].

Deux outils importants

Deux des outils pour l'étude de l'anneau Z[ω] sont constitués de fonctions. Une de ces fonctions imite la conjugaison complexe pour les entiers de Gauss, l’autre fait office de mesure pour la taille d’un élément de Z[ω].

Application conjuguée

La conjugaison complexe transforme i en -i, c’est-à-dire l’une des racines du polynôme x2+1 en l’autre. Elle est bien définie sur tout l’anneau des entiers de Gauss et y respecte aussi les opérations (la conjuguée d’une somme est la somme des conjuguées, etc.).

De la même façon, on introduit une fonction, notée ici φ, de Z[ω] dans lui-même, respectant les lois de composition de l'anneau, c'est-à-dire :

.

Une application vérifiant ces propriétés est ce qu’on appelle plus abstraitement un morphisme d'anneau ; comme c’est aussi une bijection, on parle d’automorphisme d'anneau. Il n'existe en fait qu'un unique automorphisme de Z[ω], à part l'identité. Il suffit pour le voir d'étudier l'image par φ de l'élément 5 de Z[ω]. On remarque d’abord qu’un automorphisme transforme nécessairement 0 en 0 et 1 en 1 (parce qu’il conserve les éléments neutres des opérations), et donc laisse aussi fixes tous les entiers relatifs (qui s’obtiennent par addition de 1 et éventuellement changement de signe). Le fait que φ soit un morphisme montre ensuite que

L'image φ(5) a donc pour carré 5, il n'existe que deux valeurs possibles, soit 5, soit -5. Dans le premier cas, il est facile de voir que tous les éléments de Z[ω] restent aussi inchangés. Dans le deuxième cas, l'image de ω est égal à 1/2(1 - 5), que l'on notera ici ω' (c’est aussi 1-ω). Tous les autres éléments de Z[ω] sont transformés de même.

  • L'application φ, de Z[ω] dans lui-même, définie par l'égalité suivante, est appelée application conjuguée. Cette application est un automorphisme d'anneau.

On note bien sûr que a + bω’ = (a + b) - bω est bien dans l’anneau Z[ω].

Norme

Les éléments de Z[ω] sont représentés par des points du maillage, ceux situés sur les branches gauche et droite sont de norme 1, ceux situés sur les branches haut et bas sont de norme -1
Les éléments de Z[ω] sont représentés par des points du maillage, ceux situés sur les branches gauche et droite sont de norme 1, ceux situés sur les branches haut et bas sont de norme -1

Une fois encore la situation est un peu analogue à celle des nombres complexes. Pour ceux-ci, l'application module est très utile : à un nombre, elle associe la racine carrée du produit de lui-même et de son conjugué. Comme dans le cas qui nous intéresse, le produit correspondant n’est pas toujours positif, on évite en général de prendre la racine carrée et on définit simplement :

  • La norme d'un élément de Z[ω] est le produit de cet entier par son conjugué :

Par exemple la norme de 5 est égale à -5, la norme de ω est égale à -1.

La norme possède quelques propriétés clés :

  • La norme d'un élément de Z[ω] est à valeurs dans l'ensemble des entiers relatifs.

La compatibilité de φ vis-à-vis de la multiplication entraine celle de la norme :

  • La norme du produit de deux éléments de Z[ω] est égale au produit de la norme des deux entiers.

Cette propriété se démontre aisément :

En exprimant les deux nombres à l’aide de leurs coordonnées, α=a+bω, β=c+dω, on déduit immédiatement de la dernière propriété la formule suivante, citée dans l'article nombre d'or, et plus délicate à démontrer par un calcul direct :

Le module d’un nombre complexe donne un sens à une idée intuitive de taille, cet aspect, associé cette fois à la norme, interviendra dans le cas de Z[ω] pour définir une division euclidienne. Mais dans la représentation des nombres complexes dans le plan, le module est aussi un bon outil pour mettre en valeur certaines propriétés géométriquement et correspond à l’idée de distance. À l'image de la situation complexe, la norme ressemble aussi à une distance. Dans le cas des nombres complexes, ou des entiers de Gauss, l’ensemble des points de distance égale à 1 (resp. inférieure ou égale à 1) de l’origine est un cercle de rayon 1 (un disque de rayon 1) centré à l’origine. Dans le cas de Z[ω], la figure correspondante est délimitée par des branches d'hyperboles. La figure de droite illustre ce phénomène. Les éléments de Z[ω] sont représentés ici sur un plan munis d'un repère de centre 0 et de base (1,ω). On les représente grâce à leurs coordonnées (qui sont donc toujours ici des entiers relatifs). Les éléments de norme 1 sont ceux dont les coordonnées vérifient a2+a.b-b2 = 1, soit l’une des hyperboles, l’autre correspond aux éléments de norme -1.

Division euclidienne

Existence

Fichier représentant la valuation pour une division euclidienne dans l'anneau des entiers de Dirichlet
Fichier représentant la valuation pour une division euclidienne dans l'anneau des entiers de Dirichlet

La norme permet de définir une division euclidienne. Cette norme n'est pas toujours positive. Le stathme v, c’est-à-dire la fonction permettant d’évaluer le reste de la division et égale à la valeur absolue dans le cas des entiers relatifs, ne doit prendre que des valeurs positives. Pour cette raison, on le choisit égal la valeur absolue de la norme. Cette application est encore multiplicative, c’est-à-dire que si α et β sont deux éléments de Z[ω], alors : v(α.β) = v(α).v(β).

  • Soit α et β deux éléments de Z[ω], β étant non nul, alors il existe un couple (θ, ρ) d'éléments de Z[ω] tel que :

La démonstration est analogue à celle faite pour les entiers de Gauss. Considérons la fraction rationnelle α/β et l'ensemble des éléments ζ de Q[5] tel que |N(α/β - ζ)| soit strictement inférieur à un. Cet ensemble correspond à la zone bleue de la figure de droite, délimitée par les quatre branches des hyperboles. L'intersection de cette zone avec Z[ω], correspondant aux points du réseau, sont les candidats à être les quotients de la division euclidienne. Ces candidats sont illustrés par un petit cercle sur la figure. Le carré, illustré en orange, de côté 1 et de centre α/β est strictement inclus dans la zone bleue. Il contient au moins un point θ, illustré ici en rouge. Ce point θ vérifie :

Ceci montre qu'il existe une division euclidienne dans l'anneau Z[ω]. Elle possède un aspect un peu déroutant, au sens où il n’y a pas d’unicité stricte, comme dans le cas usuel. Le nombre des possibilités est en effet lié au groupe des unités. Cette situation n’est en fait pas très différente de celle des entiers relatifs où la division euclidienne n’est définie qu’au signe près, c’est-à-dire à une unité près.

Conséquences

Comme l’anneau est euclidien pour la norme, l'identité de Bézout s'y applique ainsi que le lemme d'Euclide et le théorème fondamental de l'arithmétique. Les démonstrations sont très proches de celles de l'arithmétique usuelle.

Voici, par exemple, celle du lemme d'Euclide[7]. Il s’agit de prouver que si α, β et γ sont trois éléments de Z[ω] tels que α divise le produit β.γ et tel que α et β soient premiers entre eux, alors α divise γ. On peut utiliser l'identité de Bézout : comme α et β sont premiers entre eux, il existe deux éléments de Z[ω] ρ et θ tels que α.ρ + β.θ = 1. On multiplie membre à membre par γ, on obtient α.ρ.γ + β.θ.γ = γ. Comme β.γ est un multiple de α, il existe un élément de Z[ω] δ tel que β.γ soit égal à α.δ. En remplaçant β.γ par α.δ, on obtient α(ρ.γ + θ.δ) = γ, ce qui démontre la proposition.

Cette démonstration est, à la modification près sur la définition du terme d'entier (ici, comme expliqué plus haut, un élément de Z[ω]), exactement la même que celle du cas des entiers relatifs.

Groupe des unités

Les unités d'un anneau commutatif comme Z[ω] sont ses éléments inversibles pour la multiplication, dit autrement les diviseurs de 1. L'anneau Z ne possède que deux unités -1 et 1. Par contre un anneau d'entiers d'un corps quadratique réel, comme Z[ω], possède toujours une infinité d'unités[8] (dont -1 et 1), ce qui se vérifie facilement dans le cas particulier envisagé ici[9]. Les unités ne sont pas traitables avec les outils classiques de l'arithmétique, les notions fondamentales, la définition de nombre premier ou irréductible, la décomposition en facteurs irréductibles sont données au produit par une unité près, d'où l'utilité de décrire celles-ci.

Le produit de deux unités est une unité, l'inverse d'une unité est une unité, c'est-à-dire que les unités est forment un groupe (commutatif) pour la multiplication. On remarque également que l'opposé d'une unité est une unité[10].

Puissance du nombre d'or

Un exemple d'unité distincte de -1 et 1 est donné par ω = (1+√5)/2. En effet soit son conjugué ω' = (1-√5)/2, alors

ω ω' = -1

donc ω est inversible d'inverse ω-1 = -ω'.

Par conséquent toutes les puissances du nombre d'or ainsi que leurs opposés sont des inversibles

Les ωn et -ωn, n ∈ Z, sont des unités de Z[ω].

Ce sont en fait toutes les unités de l'anneau Z[ω] comme on le vérifie en utilisant conjugué et norme[11].

Norme

Le nombre d'or ω a pour norme –1, et donc ses puissances et leurs opposés ont pour norme ±1. En fait la norme permet en général de caractériser les unités d'un anneau d'entiers quadratiques.

Le groupe des unités de Z[ω] est composé des éléments de norme égale à ±1[10].

En effet, si ε ∈ Z[ω] est de norme égal à ±1, alors soit son conjugué φ(ε), soit l'opposé de celui-ci –φ(ε), est l'inverse de ε, ce qui montre que ε est bien une unité. Réciproquement si ε est une unité, alors :

La norme de ε est un entier relatif inversible, il n'en existe que deux, 1 et –1, ce qui montre la réciproque.

Déterminer le groupe des unités revient donc à résoudre l'équation suivante sur les entiers relatifs :

Cette équation diophantienne (deux en fait, une pour 1 l'autre pour –1) intervient souvent dans l'étude de l'anneau Z[(1+5)/2]. La résoudre équivaut, en posant u = 2x + y et v = y, à trouver les solutions de l'équation de Pell-Fermat[12]

Caractérisation des unités

Soit ε une unité de Z[ω], alors, il existe un entier relatif n tel que ε = ωn ou ε = -ωn.

Une démonstration de ce résultat repose sur les points suivants[13]

  • ε est une unité si et seulement si -ε est une unité, il suffit donc d'étudier le cas ε > 0.
  • Soit ε > 0, comme la suite géométrique ( ωn) indexée sur Z est croissante positive, de limite nulle en -∞ et non bornée en +∞, il existe un entier relatif n tel que ωn ≤ ε < ωn + 1, donc 1 ≤ εω-n < ω. Comme ε est une unité si et seulement si εω-n est une unité, il suffit d'étudier le cas 1 ≤ ε < ω.
  • 1 < ε < ω n'est pas possible, ceci se démontre en utilisant la norme et le conjugué de ε.

Facteurs irréductibles et nombres premiers

Les nombres premiers, ou irréductibles, jouent un rôle essentiel dans l’arithmétique de Z[14] et il en est de même dans Z[ω].

  • Un élément π de l'anneau Z[ω], qui n’est pas une unité, est dit irréductible dans Z[ω] quand il n’existe pas de décomposition de π en deux éléments de Z[ω] qui ne sont pas des unités. Autrement dit, π est irréductible si, lorsque π = αβ, avec α et β dans Z[ω], alors α ou β est une unité.

Comme dans Z, tout élément de Z[ω] se décompose en facteurs irréductibles, et ce de manière à peu près unique. Le « à peu près » vient des unités : dans Z, 6 possède plusieurs décompositions en facteurs premiers, 2x3, mais aussi -2 × -3 par exemple. De même, dans Z[ω], les facteurs irréductibles ne sont fixés qu’à multiplication près par une unité ; on appelle « associés » deux entiers de Z[ω] se déduisant l’un de l’autre par multiplication par une unité[15].

Détermination des éléments irréductibles de Z[ω]

Un entier de Z[ω] dont la norme est égale, en valeur absolue, à un nombre premier p de Z, est irréductible. En effet, s’il ne l’est pas, il s’écrit αβ, α et β n’étant pas des unités. On a |N(α)N(β)|=p, et ni |N(α)|, ni |N(β)| ne vaut 1, ce qui est impossible.

Un exemple de cette situation est 3 + 2ω. Il vérifie en effet l'égalité :

Inversement, on voit qu’un nombre premier de Z qui est la valeur absolue d’une telle norme n’est plus irréductible dans Z[ω]. En effet, on a |N(π)|=p=|πφ(π)|, où φ(π) est le conjugué de π, donc p se décompose en deux facteurs π et φ(π) (à une unité près) dans Z[ω]. Par exemple, 11=(3 + 2ω.)(3 + 2ω’) (où ω’ est le conjugué (1-√5)/2 de ω).

Un autre exemple est donné par 5. Puisque |N(5)|=5, c’est-à-dire un nombre premier, 5 est irréductible. L’entier 5 se décompose bien dans Z[ω] en deux facteurs, mais cette fois ils sont égaux (à une unité près). On a en fait 5=(5)2=(2ω-1)2, (2ω-1) étant d’ailleurs égal à son conjugué, au signe près.

Par ailleurs, il existe des éléments irréductibles de Z[ω] dont la valeur absolue de la norme n’est pas un nombre premier. Par exemple, 2 a pour norme 4 qui n'est pas premier ; pourtant 2 est irréductible dans Z[ω]. Sinon, on aurait 2=αβ, et en prenant les normes, |N(α)|=|N(β)|=2, puisqu’aucun des facteurs n’est une unité. Au signe près, on aurait donc des entiers a et b tels que N(α)= a2- b2+ab=2. Ces entiers doivent être de même parité sinon a2- b2+ab serait impair. S’ils sont tous deux pairs, a2- b2+ab est divisible par 4, donc ne peut être égal à 2. S’ils sont impairs, a2- b2 est pair, ab impair, leur somme ne peut être égale à 2. On voit donc ici un élément irréductible de Z rester irréductible dans Z[ω], et sa norme est alors le carré d’un nombre premier.

Ces cas décrivent en fait toutes les situations possibles. On a le théorème[16] :

  • Les éléments irréductibles de Z[ω] sont (1) le nombre √5 ; (2) les nombres premiers de Z de la forme 5n+2 ou 5n-2 ; (3) les deux facteurs irréductibles (et conjugués) a+bω des nombres premiers de Z de la forme 5n+1 ou 5n-1, ainsi que leurs associés.

Les différents comportements des nombres premiers de Z, quand on les considère comme éléments de Z[ω], se retrouvent pour tous les corps quadratiques :

  • Un nombre premier p dans l'ensemble des entiers naturels est dit inerte dans Z[ω] lorsqu’il est irréductible dans Z[ω]. C’est le cas ici de 2, et plus généralement des nombres premiers de la forme 5n+2 ou 5n-2.
  • Un nombre premier p dans l'ensemble des entiers naturels est dit décomposé dans Z[ω] lorsqu’il se décompose comme le produit de deux éléments de Z[ω] distincts non inversibles. C’est le cas de 11, et plus généralement des nombres premiers de la forme 5n+1 ou 5n-1.
  • Un nombre premier p dans l'ensemble des entiers naturels est dit ramifié dans Z[ω] lorsqu’il peut s’écrire comme le carré d’un élément non inversible de Z[ω]. C’est le cas de 5.

Petit théorème de Fermat

Un analogue du petit théorème de Fermat est valide dans l’anneau Z[ω][19] :

  • Soient π un élément irréductible de Z[ω], α un élément de Z[ω] qui n'est pas un multiple de π. Alors α|N(π)|-1 - 1 est divisible par π.

En utilisant le langage des congruences, ceci revient à  :

La caractérisation des éléments irréductibles donnée plus haut permet de préciser un peu ces énoncés :

  • Si π divise le nombre premier p, de la forme 5n+1 ou 5n-1, alors

et si α n’est ni un multiple de π, ni un multiple de son conjugué φ(π), alors on a même :

  • Si π divise le nombre premier q, de la forme 5n+3 ou 5n-3, alors

Applications : suite de Fibonacci et nombres de Mersenne

Le petit théorème de Fermat dans Z[ω] permet d'établir ce qu’on appelle la « loi d'apparition des nombres premiers au sein de la suite Fibonacci[20] » : Tout nombre premier divise un des termes de la suite de Fibonacci. Plus précisément, si (un) désigne la suite de Fibonacci :

  • Si p est un nombre premier de la forme 5n+1 ou 5n-1 (donc un nombre qui se décompose dans Z[ω]), alors p divise up-1.
  • Si q est un nombre premier de la forme 5n+2 ou 5n-2 (donc un nombre qui reste irréductible dans Z[ω]), alors q divise uq+1.

Les termes de la suite de Fibonacci sont donnés par :

Si n=p, un nombre premier de la forme 5n+1 ou 5n-1, on a, par le petit théorème de Fermat dans Z[ω], ωp-1≡1 modulo p et φ(ω)p-1≡1 modulo p, donc up-15≡0 modulo p, soit finalement up-1≡0 modulo p.

Si n=q, un nombre premier de la forme 5n+2 ou 5n-2, on a, toujours par le petit théorème de Fermat dans Z[ω], ωq+1≡Nω modulo q et φ(ω)q+1≡Nω modulo q, d’où uq+15≡0 modulo q, soit finalement uq+1≡0 modulo q.

On peut tester le résultat numériquement. Par exemple, u11 = 55, u10= 33 + 1, u19 = 2585 = 19x136 et u18 = 19x84 + 1.

Un autre usage du petit théorème de Fermat dans Z[ω] est de fournir une condition nécessaire et suffisante pour que certains nombres de Mersenne soient premiers. Plus précisément, si p=4n+3 est un nombre premier, le nombre de Mersenne M=2p-1 est premier si et seulement si rp-1≡0 (modulo M), où la suite rm est définie par récurrence : r0=1 et rm+1=rm2-2.

La démonstration[21] repose sur le fait que la suite rm s’exprime en fonction de ω, rm2m+φ(ω)2m. Le critère de primalité fourni par ce résultat est celui utilisé par Édouard Lucas pour prouver que le nombre de Mersenne 2127-1 est premier.

Équation de Pell-Fermat

Équation

L'objectif est de résoudre en nombres entiers l'équation suivante :

On remarque que si (x, y) est une solution, alors (±x, ±y) l’est aussi, on cherche donc uniquement les solutions positives.

Un changement de variable ramène à une autre équation :

On reconnaît que les solutions de l'équation (2) fournissent les coordonnées d’éléments u + vω de Z[ω] de norme égale à d, et réciproquement. Une solution (u, v) de (2) fournit une solution de (1) lorsque v est pair. La connaissance des unités et des nombres irréductibles de Z[ω] va permettre d’obtenir ces solutions.

  • S'il existe un élément de Z[ω] de norme égale à d en valeur absolue, alors il existe aussi un tel élément de la forme u + 2vω, avec u et v des entiers relatifs ordinaires. Le couple (u - v, v) est alors une solution de l'équation (1) pour le paramètre ±d.

Soit en effet a+ bω un élément de Z[ω] de norme égale à d en valeur absolue. Si b est pair, la proposition est bien vérifiée. Sinon, supposons d’abord que a est impair : en multipliant par l’unité ω (de norme -1) le nombre a+ bω, on obtient un nombre de norme égale toujours à d en valeur absolue, et égal à b+ (a+ b)ω ; a+ b est pair, ce qui permet de conclure. Si a est impair, c’est la multiplication par l’unité ω2 = 1 + ω qui permet de conclure.

Cas d = ±1

Résoudre l'équation (2) dans le cas où le paramètre est égal à ±1 provient directement de la connaissance du groupe des unités de Z[ω] . Toutes les unités sont connues, elles sont de la forme ±ωnn est un entier relatif et le signe de la norme est celui de (-1)n. Enfin, la suite de Fibonacci donne les coordonnées exactes des unités.

Il faut néanmoins déterminer dans quels cas le coefficient de ω dans l’écriture de ces unités est pair. Une récurrence permet d'établir que, si (un) désigne la suite de Fibonacci déjà utilisée, un est pair si et seulement si n est congru à 1 modulo 3.

  • L'ensemble S1 des solutions de l'équation (1) pour d = 1 est :
  • L'ensemble S–1 des solutions de l'équation (1) pour d = –1 est :

Multiplicativité des solutions

Si x2 – 5y2 = d et si x’ 2 – 5y’ 2 = d’, alors les deux nombres X = xx’ + 5yy’ et Y = x’y +xy’ vérifient l’équation X2 – 5Y2 = dd’.

La preuve[22] résulte de l’identité

Cette identité permet de fabriquer des solutions pour un paramètre d donné à partir des solutions obtenues pour 1, –1 et les facteurs premiers de d. Toutes les solutions sont obtenues ainsi.

Cas d = ±pp est un nombre premier

L'analyse des éléments irréductibles de Z[ω] permet de résoudre la question.

Si p est congru à 2 ou à –2 modulo 5, alors l'équation (1) n'admet pas de solution pour le paramètre ±p.

En effet, il n'existe aucune norme dans Z[ω] égale à ±p dans ce cas.

Si p est congru à 1 ou à –1 modulo 5, alors l'équation (1) admet une infinité de solutions pour les deux paramètres p et -p.

Si p est congru à 1 ou à –1, il existe un nombre irréductible π de Z[ω] ayant pour norme p. Quitte à multiplier π par ω ou ω2, il est possible de construire une solution (a, b) à de l'équation (2) tel que b soit pair. Multiplier cette solution par les éléments de S1 d'un côté et par S–1 de l'autre fournit une infinité de solutions pour chacun des deux paramètres p et –p.

Cas général

Le cas général s'en déduit facilement.

Si dans la décomposition en facteurs premiers de d apparaît un facteur premier congru à 2 ou à –2 modulo 5 avec un exposant impair, alors l'équation (1) n'a pas de solution.

En effet, la norme d'un élément irréductible correspondant à ce type de facteur est nécessairement un carré, comme on l'a vu.

Si dans la décomposition en facteurs premiers de d n'apparaît aucun facteur premier congru à 2 ou à –2 modulo 5 avec un exposant impair, alors l'équation (1) admet une solution pour les deux paramètres d et –d.

Sous cette hypothèse, les différents facteurs premiers de d, ou leurs carrés dans le cas de facteurs de la forme 5n + 2 ou 5n – 2, correspondent bien à des normes d'éléments de Z[ω]. En appliquant la propriété de multiplicativité, on fabrique par multiplication des éléments de la norme cherchée (le signe étant ajusté à partir des solutions trouvées lorsque d = 1 ou d = –1).

Dernier théorème de Fermat pour l'exposant 5

Pour l'exposant 5, le dernier théorème de Fermat énonce qu'il n'existe pas de triplet d'entiers non nuls (x, y, z) tel que x5 + y5 = z5. Une étude de la parité montre que si l'équation a une solution, un des x, y, z est pair ; une étude de la divisibilité par 5 montre que l'un des x, y, z est divisible par 5. On doit donc distinguer deux cas, selon que le même x, y ou z est divisible par 2 et 5 (donc par 10) ou non.

En juillet 1825, Gustav Lejeune Dirichlet, alors à Paris, présenta devant l'Académie des sciences une preuve du théorème, dans le cas où l'un des x, y, z était divisible par 10. Adrien-Marie Legendre, rapporteur du mémoire de Dirichlet à l'Académie, compléta la démonstration quelques mois plus tard. Dirichlet en donna finalement une nouvelle version, en suivant les principes de sa propre preuve, en novembre 1825[23] ,[24]. C'est dans cette preuve du théorème de Fermat que Dirichlet utilise les propriétés des nombres de Z[ω].

Le principe de la preuve est le suivant[25] :

On s'intéresse d'abord au premier cas et on raisonne par l'absurde : on suppose donc qu'il existe des entiers u, v, w, non nuls, deux à deux premiers entre eux, tels que u5 + v5 = w5, et de plus que 10 divise w. On va montrer une contradiction.

En posant u+v=10r et u-v=2q, avec r et q entiers, q non divisible par 5, on voit que l'expression q4 + 2.52rq2+53 r4 est une puissance cinquième. En réordonnant, cette expression peut s'écrire sous la forme P2 -5Q2, pour des P et Q entiers, Q divisible par 5.

Admettons alors que si une expression de la forme P2 -5Q2, pour des P et Q entiers, Q divisible par 5, est une puissance cinquième, on puisse trouver A et B tels que P+Q5=(A+B5)5. Ceci est précisément le point de la preuve où on utilise les propriétés des éléments de Z[ω].

On montre alors que Aet B sont tels que A4 + 10AB2+5B4 est une puissance cinquième. On peut donc réappliquer le même argument et on fabrique alors de nouveaux entiers A' et B' , plus petits que Aet B, vérifiant la même propriété. En réitérant l'argument, on obtient ainsi une suite infinie strictement décroissante d'entiers positifs vérifiant cette propriété, ce qui est impossible (c'est l'argument dit de « descente infinie »). On a donc une contradiction, ce qu'on voulait.

Pour traiter l'autre cas, dans lequel 5 divise l'un des u, v, w de l'équation de Fermat, et 2 divise un autre des u, v, w, on pose u+v=5r et u-v=q. Des transformations algébriques analogues aux précédentes aboutissent au fait qu'une certaine expression (P/2)2 -5(Q/2)2, pour des P et Q entiers, est une puissance cinquième. On exprime alors (P/2)+(Q/2)5 comme ((A/2)+(B/2)5)5, avec A et B entiers. La preuve s'achève ensuite comme dans le cas précédent.

Des preuves analogues permet d'ailleurs de montrer que d'autres équations du cinquième degré, proches de celles de Fermat, sont aussi impossibles.

Reste à établir ce qui est le ressort de la démonstration  : si a et b sont deux entiers relatifs différents de zéro, premiers entre eux, de parités différentes, tel que 5 divise b et a2 - 5.b2 soit une puissance cinquième, alors il existe deux entiers différents de zéro c et d premiers entre eux, de parités différentes, tels que 5 ne divise pas c et

Comme on l'a vu à l'occasion de l'étude de l'équation de Pell-Fermat, a2 - 5.b2 est, à un changement de variable près, une norme d'un élément de Z[ω]. Le résultat à établir est donc que si la norme d'un élément de Z[ω] est une puissance cinquième, c'est aussi vrai de l'élément lui-même, sous certaines conditions de parité et divisibilité sur les coefficients du nombre. Ceci résulte directement de l'étude des unités et des éléments irréductibles de Z[ω].

Notes et références

  1. L'ensemble Z[(1 + √5)/2] est aussi souvent noté OQ[√5], car il est l’anneau des entiers de Q[√5]
  2. Le terme entier de Dirichlet, utilisé sur le blog de (en)Larry Freeman, Fermat's Last Theorem, Dirichlet Integers, 3 novembre 2005, n'est pas standard, comme il le dit lui-même. En général, les nombres de Z[(1 + √5)/2] n’ont pas de nom particulier.
  3. Cette définition est un cas particulier de celle d'entier algébrique d'un corps de nombres (cf. par exemple Hardy et Wright 1968, p. 205 (5e éd.).
  4. Cohn 1980, p. 44-47.
  5. Ellison 1978, p. 200-203.
  6. Cohn 1980, p. 271.
  7. Cohn 1980, p. 104-105
  8. C'est une conséquence du fait que l'équation de Pell-Fermat x2 - ay2=1 pour a sans facteur carré, possède une infinité de solutions, voir Stark 1978, p. 274-275.
  9. Hardy and Wright 1968, p. 209 et 221 (4th ed.), § 14.4 et § 15.4.
  10. a et b Par exemple Hardy and Wright 1968, p. 208 (4th ed.), § 14.4, pour l'anneau des entiers d'un corps quadratique en général.
  11. Hardy and Wright 1968, p. 221 (4th ed.), § 15.4.
  12. Hardy and Wright 1968, p. 221-222 (4th ed.), § 15.4.
  13. Hardy and Wright 1968, p. 221 (4th ed.), § 15.4, la démonstration est détaillée pour montrer un résultat équivalent sur Q(√2) § 14.6, 4th ed. p. 209.
  14. Dans un anneau commutatif général, les différentes propriétés des nombres premiers de Z ne sont pas toujours vérifiées en même temps. On doit ainsi en général distinguer entre élément irréductible, un élément qui ne peut être factorisé, et élément premier, qui, s’il divise un produit de deux éléments de l’anneau, divise toujours l’un de ces éléments. Dans un anneau euclidien comme Z[ω], en revanche, ces notions coïncident encore, comme dans Z.
  15. Pour garantir l’unicité (à l’ordre près des termes) dans Z, il faut imposer par exemple que les facteurs irréductibles soient choisis positifs (c’est-à-dire fixer un choix parmi les deux associés possibles d’un nombre premier, +p et -p). On peut faire de même pour les nombres irréductibles de Z[ω].
  16. Théorème 257, section 15.4, Hardy et Wright 2007, p. 284.
  17. Hardy et Wright 2007, p. 279-280, 284.
  18. no 123, Gauss 1807, p. 88-90.
  19. Hardy et Wright 2007, p. 284-286.
  20. Hardy et Wright 2007, p. 286.
  21. Hardy et Wright 2007, p. 286-288.
  22. Guinot 1996, p. 196.
  23. Edwards 1977, p. 66, 70
  24. Ribenboim 2000, p. 45.
  25. Edwards 1977, p. 65-73.

Bibliographie

Liens externes