Réclamations de l'Alabama

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Les réclamations de l'Alabama (en anglais : Alabama Claims) sont des revendications pour des dommages, émises par le gouvernement fédéral des États-Unis contre le gouvernement du Royaume-Uni pour l'aide secrète fournie par ce dernier aux États confédérés d'Amérique, lors de la guerre de Sécession.

Lors d'une action en justice (dénommée collectivement Alabama Claims car les énormes dégâts causés à la marine marchande nordiste avaient été le fait de corsaires confédérés, en particulier le CSS Shenandoah et le CSS Alabama), le gouvernement des États-Unis d'Amérique poursuit le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande pour l'aide en sous-main qu'elle avait apportée, ainsi que ses colonies, aux confédérés, malgré le British Neutrality Act.

D'importants dommages-intérêts sont accordés aux États-Unis par une cour d'arbitrage internationale réunie à l'hôtel de ville de Genève. Les États-Unis, qui avaient demandé, au choix, deux milliards de dollars américains ou la cession du Canada, reçurent 15,5 millions de dollars américains, qui leur sont payés en 1872.

La décision de la cour d'arbitrage, qui est le premier exemple de recours à une juridiction supra-nationale, jette les bases du droit international public et figure dans le corps du traité de Washington de 1871.

Les corsaires confédérés[modifier | modifier le code]

Le corsaire confédéré CSS Alabama, construit en Angleterre en 1862 et coulé en 1864 au large de Cherbourg par la corvette nordiste USS Kearsarge, arraisonne en deux ans 69 navires de commerce nordistes.

Les corsaires confédérés, même s'ils n'eurent qu'une courte durée de vie, coulent, brûlent ou soumettent à tribut un grand nombre de navires de commerce nordistes. Ils causent de considérables dégâts, en particulier en coupant les voies d'importation de matières premières (cuirs, blé, coton, nitrates) nécessaires à l'industrie de guerre nordiste. Les navires corsaires sudistes (dont les plus célèbres sont le CSS Sumter, le CSS Alabama et le CSS Shenandoah) furent souvent construits au Royaume-Uni, et purent faire escale pour s'approvisionner et réparer[1] dans les ports des colonies britanniques (Afrique du Sud, Gibraltar, Australie, Bahamas).

L'aide britannique apportée à la Confédération[modifier | modifier le code]

Henry John Temple, 3e vicomte Palmerston, photographié deux ans avant sa mort. Il fut toujours inflexible dans son refus d'envisager de dédommager les États-Unis.

L'aide britannique apportée aux États confédérés d'Amérique ne put s'exercer qu'en sous-main, car elle violait le British Neutrality Act, proclamé par la Grande-Bretagne en 1861. De plus, elle fut contestée par certaines tendances politiques ou mouvements humanitaires britanniques (pacifistes, anti-esclavagistes). Ainsi, si Henry John Temple (Lord Palmerston), premier ministre du Royaume-Uni jusqu'à sa mort le , est favorable à la Confédération (mais seulement dans la mesure où les intérêts sudistes allaient de pair avec ceux de la Grande-Bretagne), son proche collaborateur Lord John Russell[2], alors secrétaire d’État des Affaires étrangères et du Commonwealth est plutôt favorable à l'Union. Par ailleurs, l'émissaire des Confédérés James M. Mason est beaucoup moins actif (et plus tièdement reçu par les détenteurs du pouvoir en Angleterre[3]) que son homologue unioniste, Charles Francis Adams, Sr.

Un exemple des effets de cette lutte d'influence est le lancement de l’Alabama. C'est de justesse que la firme britannique John Laird Sons and Company reçoit l'autorisation gouvernementale de lancer l’Enrica, qui allait devenir le corsaire CSS Alabama. En effet, d'une part Charles Francis Adams, Sr., alors représentant des États-Unis en Grande-Bretagne (qui savait par ses espions que le navire était destiné à la Confédération), multiplie les mises en garde. D'autre part, Palmerston reçoit un rapport de ses services de renseignements, selon lequel il est maintenant connu de tous que l'Angleterre allait lancer un corsaire confédéré, ce qui ne va pas manquer de faire interpeller le cabinet par les députés de l'opposition. Lord Palmerston fait alors séquestrer le navire, mais l'ordre de séquestre arrive juste après le départ de l’Enrica, le .

Par ailleurs, bien que la pénurie de coton du Lancashire commence à entraîner des troubles sociaux dans le prolétariat des grandes villes industrielles, l'opinion publique britannique, émue par le discours anti-esclavagiste[4] penche plutôt pour l'Union - alors que le gouvernement (ou tout au moins Henry John Temple, qui eut le pas sur Russell pendant leur cohabitation) favorise la Confédération. Il en résulte un certain malaise sur le plan socio-politique.

Le premier ministre britannique William Ewart Gladstone, qui veut effacer le contentieux entre les États-Unis et le Royaume-Uni, accepte de répondre favorablement à l’Alabama Claims, mais ne verse que 7 % environ de la somme demandée.

De plus, des membres du parlement soutiennent ouvertement l'Union, en particulier Richard Cobden, radical, libéral et anti-esclavagiste, qui prononce à la Chambre des communes des discours remarqués.

Bien qu'Alexander Cockburn, alors lord juge en chef d'Angleterre et du pays de Galles émet que le lancement de l’Enrica ne viole en rien l'acte de neutralité britannique, Russell et Palmerston sont forcés d'admettre publiquement que selon les clauses du British Neutrality Act, le CSS Alabama n'aurait pas dû être autorisé à prendre la mer.

Ce camouflet a pour conséquence que le gouvernement britannique empêche les chantiers de Birkenhead de lancer deux autres cuirassés commandés par un intermédiaire français, un certain M. Bravay ; il est trop évident qu'ils sont en fait destinés à renforcer la Confederate States Navy. Palmerston demande alors à l'Amirauté britannique d'offrir d'acheter les deux navires.

Palmerston, qui se méfie des nordistes[5], refuse catégoriquement d'envisager un quelconque dédommagement des armateurs nord-américains qui se plaignent des dégâts que leur ont infligés les corsaires sudistes. Ce n'est qu'après sa mort et le départ de son successeur John Russel que l'Angleterre, sous William Ewart Gladstone, accepte de dédommager en partie les États-Unis.

Les exigences américaines[modifier | modifier le code]

Charles Sumner mettant sa tête dans la gueule du lion britannique. Cette caricature parue dans l'édition du Harper's Weekly du devait être parlante pour les contemporains : Sumner court le risque de sacrifier sa forte popularité en Angleterre en soutenant de tout son charisme les exorbitantes réclamations américaines, dont il a un exemplaire en poche. Et pour empêcher le lion britannique de lui écraser la tête, il tient en outre un « ouvre-gueule » rappelant que les États-Unis ont vendu des armes à la France en guerre avec l'Allemagne, malgré leur déclaration de neutralité. En arrière-plan, l'homme politique américano-allemand Carl Schurz se frotte les mains.

Le sénateur de l'Union Charles Sumner, qui défend la cause américaine, demande en dédommagement la somme colossale de deux milliards de dollars américains, arguant que la Grande-Bretagne devait payer, non seulement pour les pertes matérielles causées par les corsaires qu'elle avait construit, mais aussi pour « cet autre dommage, immense, infini, qu'était la prolongation de la guerre ». Prolongation que Sumner estime à environ deux ans.

La revendication nord-américaine est soutenue aux États-Unis par un sentiment anti-britannique. En effet, après la guerre de Sécession, des soldats d'origine irlandaise, aguerris et bien armés, avaient pu se regrouper et s'organiser pour essayer à plusieurs reprises d'envahir le Canada, sans que le gouvernement ne se mobilise vraiment pour empêcher ces raids féniens. D'ailleurs, Sumner offre une alternative à la Grande-Bretagne, et propose de substituer à la somme d'argent la cession du Canada[6].

Sur le plan pratique, Samuel Taylor Suit (en) ouvre sa propriété nommée Suitland (près de Washington) aux réunions de négociations préalables aux délibérations de la cour d'arbitrage. L'hostilité entre les Britanniques et les Nord-Américains durera cependant pendant encore près d'un demi-siècle.

La cour d'arbitrage[modifier | modifier le code]

La cour d'arbitrage de Genève est composée des représentants du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande (Alexander Cockburn), des États-Unis (Charles Francis Adams, Sr.), du royaume d'Italie (Federigo Sclopis), de la Confédération suisse (Jakob Stämpfli), et de l'empire du Brésil (Marcos Antônio de Araújo).

La cour qui siège dans une salle de l'hôtel de ville de Genève, dès lors nommée salle de l'Alabama, préfère ignorer la « clause territoriale » concernant le Canada, et finit par décider que le montant des dédommagements serait de 15 500 000 dollars américains ( 331 millions actuels)[6],[7].

Cette décision est incluse dans les clauses du traité de Washington signé le et elle est officialisée à Genève le [8], et la somme accordée est réglée par le Royaume-Uni dans l'année.

Conséquences sur le plan législatif international[modifier | modifier le code]

L'affaire Alabama Claims est le premier recours à un arbitrage supra-national pour régler un différend entre États, et la cour réunie pour trancher ce cas jette alors les bases du droit international public.

En somme, la cour réunie pour résoudre l'affaire Alabama Claims est un précurseur de la Cour internationale de justice, organe de l'ONU.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Ephraim Douglass Adams, Great Britain and the American Civil War, New York, Russell & Russell, (lire en ligne)
  • Thomas Willing Balch, The Alabama Arbitration, Philadelphie, Allen, Lane & Scott, (lire en ligne)
  • Charles Cotesworth Beaman, The National and Private Alabama Claims and their Final and Amicable Settlement, Washington, W. H. Moore, (ISBN 1-4181-2980-1, lire en ligne)
  • Charles Synge Christopher Bowen, The Alabama Claims and Arbitration Considered from a Legal Point of View, Londres, (lire en ligne)
  • Adrian Cook, The Alabama Claims, Ithaca, N.Y., Cornell University Press,
  • James T. de Kay, The Rebel Raiders : The Warship "Alabama", British Treachery and the American Civil War, Londres, Pimlico, , 257 p. (ISBN 0-7126-6490-4, lire en ligne)

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Ils furent d'ailleurs le plus souvent construits en bois (ou en bois sur armature de fer, comme le CSS Shenandoah), afin de pouvoir trouver des ouvriers aptes à les réparer dans tous les ports du monde, ce qui n'était pas le cas à l'époque pour les coques en fer.
  2. C'est par lettre à Lord John Russel que le capitaine James Iredell Waddell rend formellement son navire, le corsaire CSS Shenandoah, le , en vue de Liverpool.
  3. Arthur Fremantle, dans son livre 3 mois dans les États du Sud fait état (en date du 1er mai 1863) de la préoccupation des Confédérés à ce sujet : « Le général Hardee (William Joseph Hardee) me demanda si Mr Mason (James M. Mason, émissaire du gouvernement confédéré en Grande-Bretagne) avait été (aussi) bien reçu en Angleterre (que je l'étais par les officiers confédérés) . Je répondis que oui, tout au moins par des personnes privées . ».
  4. Le roman La Case de l'oncle Tom, paru en 1852 en feuilleton, eut un tel succès qu'il fut le deuxième livre le plus vendu du XIXe siècle, derrière la Bible.
  5. Lord Palmerston craint, entre autres, que les Nordistes n'aident fortement les Fenians, qu'ils n'envahissent le Canada, etc.
  6. a et b Doris W. Dashew, "The Story of an Illusion: The Plan to Trade Alabama Claims for Canada," Civil War History, December 1969, Vol. 15 Issue 4, pp 332-348.
  7. David E. Shi, "Seward'S Attempt to Annex British Columbia, 1865–1869," Pacific Historical Review, May 1978, Vol. 47 Issue 2, pp 217-238.
  8. « 1872, l'arbitrage de l’Alabama », sur Genève internationale (consulté le ).

Annexes[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]