Afrique 50

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Afrique 50

Réalisation René Vautier
Sociétés de production Ligue de l'enseignement
Pays de production Drapeau de la France France
Genre documentaire
Durée 17 minutes
Sortie 1950

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution.

Afrique 50 est un documentaire français réalisé par René Vautier en 1950. Envoyé par la Ligue française de l’enseignement avec Raymond Vogel pour montrer la mission éducative conduite dans les colonies, le réalisateur s’aperçoit très vite de la dure réalité des colonies françaises.

Interdit pendant plus de 40 ans en France ce film est considéré comme le premier film anticolonialiste français.

Synopsis[modifier | modifier le code]

Afrique 50 est le premier film anticolonialiste français. À l’origine, il s’agit d’une commande de la Ligue française de l’enseignement destinée à montrer aux élèves la mission éducative menée dans les colonies françaises d’Afrique de l'Ouest. Mais, sur place, le réalisateur, âgé de 21 ans seulement, décide de témoigner de la réalité : le manque de professeurs et de médecins, les crimes commis par l’armée française au nom du peuple français, l’instrumentalisation des populations colonisées… Le film fut interdit pendant plus de 40 ans et valut à René Vautier plusieurs mois d’emprisonnement[1].

Résumé[modifier | modifier le code]

Le documentaire commence avec une description de la vie de tous les jours au Niger. Les hommes tissent leurs filets pour aller pêcher et les femmes s’occupent des tâches ménagères et des enfants. Les enfants sont ensuite présentés en montrant qu’ils passent la journée à jouer et à travailler dans les champs puisqu’ils ne vont pas à l’école. La raison est que seulement 4 % des enfants des colonies françaises vont à l’école, il s’agit du quota minimum pour l’administration française. Plusieurs villages n’ont pas d’écoles ou d’hôpitaux. Ces services sont seulement requis lorsque l’administration coloniale a besoin de comptable ou lorsqu’ils ont peur de manquer de main-d’œuvre à cause du taux de mortalité élevé. On observe aussi les actes de violence fait par les soldats français avec l’exemple d’un village en Côte d’Ivoire où le chef n’a pas été capable de payer les impôts dus à l’administration française. Le village fut complètement détruit par les soldats français qui ont incendié les maisons, abattu le bétail et tué les villageois. Le documentaire se penche ensuite sur les profits annuels des compagnies venues exploiter le territoire. Il s’agit de compagnies qui viennent puiser les ressources du continent pour un montant peu élevé dans le but d’aller vendre les ressources en France. On estime que les différentes compagnies comme la Société commerciale de l’Ouest africain et l’Africaine française volent plus de 40 millions de francs à la population africaine chaque jour. Les Européens se vantent du progrès qu’ils amènent en Afrique, mais ce progrès ne sert que l’homme blanc. Les barrages électriques ne sont en place que pour satisfaire les besoins des maisons blanches. C’est la population locale qui fait fonctionner le barrage, même s’ils n’en bénéficient pas. L’administration utilise la population locale comme force de travail au lieu d’investir dans des technologies qui aideraient le développement. Ils font cela, car c’est moins cher pour les compagnies. Plusieurs noirs avec un salaire de 50 francs par jour sont plus économiques que d’acheter une machine qui va faire le travail de 20 hommes. Le documentaire se termine avec une lueur d’espoir. Le peuple africain s’appuie sur la constitution française en demandant qu’on leur rende la terre qui leur a été volée par les compagnies qui sont venues exploiter le territoire, mais l’administration est raciste et corrompue, elle répond par la violence lorsque les populations locales ne font pas ce qu’elle veut. C’est pourquoi les Africains doivent combattre pour avoir une meilleure qualité de vie. Le film est présenté avec la voix off de René Vautier qui décrit la réalité africaine tout en dénonçant ceux qui sont responsables de l’exploitation du continent.

Controverse[modifier | modifier le code]

À la base, le documentaire avait pour but de montrer la vie réelle des paysans de l’Afrique coloniale française pour le compte de la ligue de l’enseignement. Le film devait être diffusé dans les écoles françaises pour montrer aux élèves comment les Africains vivent sous le régime français. Le réalisateur René Vautier en décide autrement, ayant remarqué les injustices et la souffrance que subissait la population africaine sous le régime français, il décide de faire un film pour dénoncer la France au lieu de la glorifier comme il a été demandé de le faire[2]. Il a commencé à filmer sans aucune notion de ce qu’était la mission colonialiste française. Il n’avait pas d’idée préconçue sur le sujet puisqu’il en avait seulement entendu parler à l’école et dès son arrivée, il a rapidement remarqué que la vie des Africains était très différente de ce qu’il avait appris dans les livres. Les choses qu’il voyait ne correspondaient pas du tout aux images montrées dans les écoles françaises[3]. Il a donc décidé de filmer la vraie réalité des paysans africains ce qui allait à l’encontre de sa mission originale qui était de glorifier la colonisation française[4]. Les autorités françaises ont rapidement tenté de le censurer en évoquant un décret de 1934 qui interdisait de filmer les colonies françaises sans la supervision d’un membre de l’administration sur place. Ce décret avait été mis en place par Pierre Laval, ministre des colonies de l’époque qui a été fusillé pour collaboration avec l’Allemagne nazie en 1945[5]. C’est d’ailleurs la violation de ce décret qui va lui valoir une condamnation d’un an à la suite de la sortie du film[6]. Il a donc commencé à filmer clandestinement pour montrer le travail de misère des populations locales pour seulement quelques francs par jour, le manque d’écoles pour les enfants, le manque d’hôpitaux pour soigner les malades et à quel point les compagnies françaises font de l’argent avec l’exploitation des ressources. Avec sa narration, René Vautier accuse et dénonce les responsables de l’exploitation du continent africain. Il n’a pas peur de nommer les différentes compagnies qui exploitent les ressources du continent africain et qui ne redonnent rien en échange, qui n’améliorent pas la vie des paysans africains en leur offrant des services comme l’école ou des hôpitaux[7]. C’est pourquoi le film est considéré comme le premier film anticolonialiste. Il décrit une réalité que peu de Français comprenaient dans les années 1950 et le fait que René Vautier ait fait de la prison à cause de ce film ne fait que de démontrer encore plus la controverse que ce film a causée. Le film est montré pour la première fois en France seulement en 1990, soit plus de 40 ans après son tournage. Il s’agit d’un documentaire de 17 minutes fait à partir de 17 bobines de film que René Vautier a sorti illégalement du ministère de l’Intérieur et qu’il a monté lui-même[3].Par la suite, le ministère des Affaires étrangères du gouvernement français a acheté les droits du film dans le but de le diffuser dans les anciennes colonies pour montrer qu’il existait déjà un sentiment anticolonial en France dès la fin de la Seconde Guerre mondiale[8].

Anticolonialisme[modifier | modifier le code]

Le documentaire est devenu sous la direction de René Vautier le contraire de ce qu’il était censé être. Il devait montrer à quel point les habitants de l’Afrique étaient heureux de vivre sous l’administration française. Après avoir combattu en France pendant la Seconde Guerre mondiale lorsqu’il était adolescent, René Vautier est devenu cinéaste dans le but de combattre les injustices d’une autre manière qu’avec les armes. Il s’est fait demander de montrer la vie réelle des Africains et c’est exactement ce qu’il a fait[9]. Le documentaire est un cri de réveil pour dénoncer les conséquences du colonialisme. Le film sert à montrer à la population française et celle du monde entier les conditions de vie dans lesquels les habitants de l’Afrique vivent encore en 1950. Après qu’il a été interdit en France, le film a été montré dans plusieurs pays de l’Union soviétique dans le but de dénoncer le colonialisme français et d’inspirer les jeunes Africains à lutter contre les pouvoirs coloniaux[6]. Afrique 50 dénonce d’abord et avant tout l’appauvrissement d’un continent pourtant rempli de ressource. Les images montrant la pauvreté des campagnes et des villages frappent le spectateur dès le début du visionnement. Il montre la misère dans laquelle les habitants d’un pays contrôlé par la France vivent. Il n’y a rien de glorieux et d’incroyable dans ce petit village qui est représenté comme étant une conséquence de l’impérialisme français[10]. René Vautier s’intéresse d’abord et avant tout à la vie quotidienne des Africains et comment l’influence française bouleverse celle-ci. L’impérialisme français n’a jamais apporté de progrès à la population locale, mais seulement à l’administration blanche du pays. La construction d’écoles et d’hôpitaux ne se fait que pour satisfaire les besoins des Français en place et non pour aider la population locale. Même chose avec l’exemple, dans le documentaire, du barrage hydro-électrique qui produit de l’électricité pour les maisons des familles de l’administration, mais qui n’alimente pas les villages noirs avoisinants puisqu’il n’y a pas de réseau électrique pour les villages. De plus, les turbines du barrage ne sont pas automatisées et ce sont des travailleurs noirs sous-payés qui doivent forcer de leurs mains pendant des heures chaque jour pour faire fonctionner le barrage pour ensuite être récompensés par seulement 50 francs par jour. La population est totalement exploitée par un groupe minoritaire qui ne veut pas améliorer son sort puisqu’ils sont satisfaits de cette main-d’œuvre bon marché. Qu’un homme se noie en faisant son travail, ils n’ont qu’à payer sa veuve 500 francs[11]. Pour René Vautier, qui a combattu dans la résistance française lors de la Seconde Guerre mondiale, il n’y avait pas vraiment de différence entre l’occupation allemande et l’administration coloniale des pays africains. Pour lui, tous les deux étaient des occupants. Cette réalisation a fait en sorte qu’il a voulu dénoncer le traitement de la population de l’Afrique-Occidentale française[5]. Ce film est donc le premier à lutter et à dénoncer la colonisation de l’Afrique par la France.

Influence[modifier | modifier le code]

Afrique sur Seine de Paulin Soumanou Vieyra est le premier court-métrage réalisé par des Africains en 1955. Il était toujours interdit d’aller filmer des images dans les colonies françaises, alors le réalisateur a demandé à René Vautier s’il pouvait utiliser des images d'Afrique 50 dans son film. René Vautier a accepté que les images qu’il avait tournées soient utilisées dans le film. Il a donc contribué au début du cinéma africain[3]. René Vautier ne s’arrête pas seulement dans les colonies françaises pour lutter contre les injustices, il participe aussi à la guerre d’Algérie où il va filmer plusieurs films comme avoir vingt ans dans l’Aurès avec lequel il va remporter le prix international de la critique au festival de Cannes en 1972[12]. Il va aussi s’attaquer à d’autre problème comme la pollution avec le film Marée noire, colère rouge où encore une fois René Vautier va devoir défendre son film face aux autorités françaises qui veulent censurer son message[13].Afrique 50 est maintenant un des films les plus importants dans l’histoire du mouvement anticolonial non seulement, car il est le premier, mais aussi par la force de ses images et la controverse qui l’entoure. Avec son interdiction et sa censure, le film montre le malaise qu’éprouve la France à expliquer ses actions dans ses colonies. L’exploitation de l’Afrique occidentale ne va pas s’arrêter à la suite de la présentation du film, elle va même devenir plus agressive sous la présidence de De Gaulle et de Pompidou[14].Le film inspire cependant une nouvelle forme de cinéma que René Vautier et plusieurs autres cinéastes vont explorer en confrontant les empires coloniaux avec des images fortes des conséquences que la colonisation a sur le territoire et la population locale

Fiche technique[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. Marie-José Sirach & Olivier Azam. René Vautier « le cinéaste français le plus censuré ». L'Humanité Magazine, n°806, 12 mai 2022, pp. 37-39
  2. Thomas Sotinel, « Mort de René Vautier : cinéaste combattant », Le monde,‎ 4 javier 2015 (://www.lemonde.fr/disparitions/article/2015/01/04/mort-du-cineaste-francais-rene-vautier_4549027_3382.html)
  3. a b et c René Vautier et Maria LOFTUS, « Entretien avec René Vautier », Présence Africaine, no 170,‎ , p. 56 (ISSN 0032-7638, lire en ligne, consulté le )
  4. Archives Numériques du Cinéma Algérien, « Entretien avec René Vautier », (consulté le )
  5. a et b François Bovier, Cédric Fluckiger et Elif Ugurlu, « Entretien avec René Vautier : les résonances d’Afrique 50 », Décadrages. Cinéma, à travers champs, nos 29-30,‎ , p. 166 (ISSN 2235-7823, DOI 10.4000/decadrages.806, lire en ligne, consulté le )
  6. a et b Claire Nicolas, Thomas Riot et Nicolas Bancel, « Afrique 50 : le cri anticolonialiste de René Vautier », Décadrages. Cinéma, à travers champs, nos 29-30,‎ , p. 12 (ISSN 2235-7823, DOI 10.4000/decadrages.785, lire en ligne, consulté le )
  7. Cécilia Gutel, « René Vautier, Afrique 50 », Lectures,‎ (ISSN 2116-5289, lire en ligne, consulté le )
  8. Christian Nadeau, « Que le bonheur soit la lumière : rené Vautier (1928-2015) », Ciné-Bulles, vol. 33, no 2,‎ , p. 39 (ISSN 0820-8921 et 1923-3221, lire en ligne, consulté le )
  9. taylo nomi, « Entretien avec Réné Vautier réalisateur du film: Afrique 50 », (consulté le )
  10. Claire Nicolas, Thomas Riot et Nicolas Bancel, « Afrique 50 : le cri anticolonialiste de René Vautier », Décadrages. Cinéma, à travers champs, nos 29-30,‎ , p. 14 (ISSN 2235-7823, DOI 10.4000/decadrages.785, lire en ligne, consulté le )
  11. Claire Nicolas, Thomas Riot et Nicolas Bancel, « Afrique 50 : le cri anticolonialiste de René Vautier », Décadrages. Cinéma, à travers champs, nos 29-30,‎ , p. 16-17 (ISSN 2235-7823, DOI 10.4000/decadrages.785, lire en ligne, consulté le )
  12. « ACCUEIL » (consulté le )
  13. François Bovier, Cédric Fluckiger et Elif Ugurlu, « Entretien avec René Vautier : les résonances d’Afrique 50 », Décadrages. Cinéma, à travers champs, nos 29-30,‎ , p. 167 (ISSN 2235-7823, DOI 10.4000/decadrages.806, lire en ligne, consulté le )
  14. (en) Steven Ungar, « Making Waves : René Vautier‘s Afrique 50 and the emergence of anti-colonial cinema », L'Esprit Créateur,‎ , p. 42

Liens externes[modifier | modifier le code]