Hanafisme

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Répartition des écoles juridiques dans l'islam contemporain.

Le hanafisme ou hanéfisme (en arabe : حنفي, Ḥanafī, Hanefi en turc) est la plus ancienne des quatre écoles religieuses islamiques sunnites (madhhab) de droit musulman et de jurisprudence (fiqh)[1].

Elle porte le nom du théologien et jurisconsulte Abou Hanifa an-Nou'man ibn Thabit (699-767), un tābi‘ de Koufa dont les opinions juridiques ont été sauvegardées principalement par ses deux élèves les plus importants, Abou Yoûsouf (735-798) et Mouhammad Al-Shaybânî (749-805). Les autres grandes écoles de la charia dans l’islam sunnite sont le malikisme, le chaféisme et le hanbalisme[2],[3].

En 2016, un concile, inauguré par le grand imam de l'Azhar, Ahmed el-Tayeb, rassemblant 200 personnalités sunnites du monde entier, s'est réuni dans le but de définir l’identité de ceux qui se font connaître comme « les gens du sunnisme » par opposition aux différents groupes considérés égarés. À l'issue de leurs travaux, les dignitaires sunnites sont convenus qu'au niveau du droit, les hanifites sont bien des gens du sunnisme[4],[5].

L’école hanafite est le madhhab avec le plus grand nombre de mouqallidoune (personnes faisant son taqlid) parmi les musulmans sunnites. Aujourd'hui, on estime qu'un tiers[6] à la moitié[7] de tous les musulmans du monde la suivent. Elle est prédominante dans les pays qui faisaient autrefois partie de l’Empire ottoman, de l’Empire moghol et des autres sultanats turciques d'Asie du Sud, du nord-ouest de la Chine et d'Asie centrale. À l'heure actuelle, le hanafisme est majoritaire dans les régions suivantes : Turquie, Balkans, Levant, Égypte, ouest de l’Irak, Sistan-et-Baloutchistan, Ciscaucasie, Tatarstan, Asie centrale, Afghanistan, Sous-continent indien et Xinjiang[6],[8],[9].

Historique[modifier | modifier le code]

L'école juridique hanafite est formée sous l'Empire des Abbassides et se développe à partir de la Turquie. C'est le système juridique de l'Empire Ottoman. C'est le rite officiel de l'empire abbasside[10],[11]. À l'époque de la régence d'Alger (XVIe siècle – 1830), il y avait à Alger un mufti malikite, mais aussi un mufti hanafite, qui bénéficiait de l'appui des autorités turques[12]. Le hanéfisme s'est répandu en Perse, en particulier dans la province du Khorasan[13].

L'œuvre d'Abū Hanifa étant en grande partie perdue, sa doctrine nous est connue principalement par le biais de son disciple ach-Chaybānī (m. 805), auteur en particulier de Zāhir ar-riwaya « Le meilleur de la tradition »)[10].

Doctrine[modifier | modifier le code]

Sources et méthodologie[modifier | modifier le code]

Les sources sont, par ordre d'importance :

  1. Le Coran : c'est la source première et les sources suivantes sont vues sous l'angle de celle-ci. Elles ne peuvent contredire le livre saint de l'islam.
  2. La sunna : le hadith pris en compte doit non seulement être authentique (sahîh) mais aussi être très répandu (mash'hour). Cette disposition sert à se protéger des hadiths faussement attribués à Muhammad, qui furent très présents là où peu de compagnon de Mahomet (sahaba) importants s'établirent, tels que Ali ou Ibn Mas'ud.
  3. Le consensus (Ijma') des compagnons : l'opinion unanime des sahaba sur un point donné non mentionné dans une source précédente prend le dessus sur toute opinion personnelle de tout juriste. Ce madhhab reconnaît aussi le consensus des savants musulmans comme valide en tout temps, fondé sur le hadith connu que la oumma ne se mettra jamais d'accord sur une erreur[14]. Ahmad rapporte un autre hadith qui fonde la légitimité du consensus : « J'ai demandé à Dieu de ne pas laisser ma communauté s'accorder sur une erreur, et Il m'a accordé cela »[15].
  4. L'opinion individuelle d'un compagnon : si des sahabas diffèrent sur un point, on se réfère à l'opinion qui convient le plus pour émettre la fatwa.
  5. Le Qiyas ou le raisonnement par analogie : dans les domaines où il n'y avait aucune preuve claire disponible, l'imam Abou Hanifa considérait son raisonnement égal à l'opinion d'un tabi'i, raisonnement fondé sur le qiyas que lui et ses élèves avaient établi.
  6. L'Istihsân (la préférence) : c'est en substance la préférence donnée à une preuve sur une autre car elle apparaît plus conforme à la situation, même si elle est en apparence moins pertinente qu'une autre. Ceci peut concerner le fait de donner préférence à un hadith spécifique sur un hadith général.
  7. La coutume locale ('Urf) : les coutumes locales entrent en jeu quand il n'y a pas d'injonctions religieuses disponibles. C'est ce principe qui est à l'origine de l'inclusion de certaines pratiques culturelles vues comme religieuses par un observateur extérieur.

Aussi appelée école de la libre opinion ou « rationaliste » (ashâb al-râ'y, par opposition aux traditionalistes, ashâb al-hadîth[16]), c'est la plus libérale des quatre écoles dans le sens où elle a recours à l'analogie (qiyas) pour déduire des règles non explicitées dans les sources premières et de son habitude à discuter des problèmes hypothétiques de fiqh (résoudre un problème avant qu'il ne se pose). Ce rite a été « manifestement influencé par les règles du droit romain de la tutelle et de la curatelle » [17]. Le hanéfisme peut être vu comme plus libéral aussi dans la mesure où il considère que Dieu ne peut pas imposer l'impossible : un commandement divin ne peut être au-dessus des forces du croyant[18].

C'est ainsi que les légistes de l'école hanafite ne récusent pas le talion entre Musulmans et dhimmis, alors que les autres écoles posent que le délit du sang ne peut être infligé au Musulman si sa victime est un esclave, un Juif ou un Chrétien. Arguant de l'infériorité des dhimmis, les autres écoles exigent « que le coupable ne soit pas d'une position sociale supérieure à celle de la victime ; c'est pourquoi le Musulman ne saurait être mis à mort pour avoir tué un infidèle, même si l'infidèle est le sujet [dhimmi] d'un prince musulman » (Nawawi)[19].

On prête à tort à cette école un éloignement à la science du hadith du fait qu'Abu Hanifah serait incompétent dans ce domaine, or son statut dans la science du hadith est soutenu par de nombreux spécialistes[20],[21].

À l’inverse, d’autres savants critiquent la méthode d'Abu Hanifa, à l'instar de l'Imam Bukhari (auteur du Jâmi'ul Sahih) qui critique en de nombreuses occurrences abu Hanifa pour s'éloigner des hadiths au profit de son raisonnement propre, ce qui vaudra plusieurs siècles après le savant chaféiste spécialiste du hadith des débats savants houleux entre ibn Hajar al-Asqalani et Badruddine Ayni[22]. Selon eux, le rite hanafite est celui qui se marginalise le plus dans ses différentes approches ; cela associé au manque des détails des raisonnements des ijtihadat (cas de jurisprudence) de ces derniers a conduit les hanafistes plus tardifs à conclure qu'Abu Hanifa adoptait des principes fondamentalement différents dans l'usage des hadiths, dont voici deux des hypothèses savantes des plus parlantes :

  1. Un hukm khâs (cas particulier) ne peut pas abroger un hukm 'âmm (règle en général).
  2. Un Khabar ahad (hadith isolé) ne peut pas contrevenir à un hukm qiyasi (opinion déduite à partir du Coran ou d'un hadith mutawatir soit un hadith parvenu par plus de 10 voies de transmission orale ininterrompues et strictement distinctes de la compilation de ce hadith jusqu'au Prophète)[23].

Du fait que le quatrième calife, 'Ali, transféra la capitale du califat à Koufa et que de nombreux sahaba (compagnons) s'y installèrent, l'on trouve beaucoup de hadiths transmis par ces derniers si bien que cette école allait être appelée l'« école de Koufa » ou bien l'« école d'Irak ».

Ainsi Ali ibn Abi Talib et Abdullah ibn Mas'ud sont les compagnons auxquels les hanafites se réfèrent le plus, de même que les gens de la maison (Ahl al-Bayt) avec qui Abu Hanifa put étudier comme Muhammad al-Baqir, Ja'far al-Sadiq, ou Zayd ibn 'Ali.

Il est établi qu'Abu Hanifa obtint sa connaissance de son maître Hammad ibn Abi Sulayman, qui succéda à Ibrahim an-Nakha'i, qui succéda à son oncle 'Alqamah ibn Qays an-Nakha'i, qui succéda à Abdullah ibn Mas'ud, envoyé à Koufa par le deuxième calife de l'islam 'Umar ibn al-Khattab.

Dispositions spécifiques[modifier | modifier le code]

L'école hanafite a des dispositions spécifiques en ce qui concerne le mariage, par exemple :

  • en ce qui concerne la dot dans le cadre du mariage par compensation, shigâr[24]
  • ainsi que pour ce qui concerne l'obligation d'entretien du foyer par le mari, ou nafaka: contrairement aux autres écoles, les hanafites écartent la possibilité pour l'épouse de réclamer le divorce en cas de non-respect de la nafaka ; toutefois, les codifications contemporaines des pays hanafites ont écarté cette règle, adoptant la règle générale autorisant la femme à requérir le divorce dans ce cas[25].

De plus, les hanafites considèrent que les femmes chrétiennes et juives mariées à des musulmans ne peuvent être soumises au li'ân, le serment d'anathème qui permet d'établir l'adultère de la femme. Pour celles-ci, l'adultère doit être prouvé par les déclarations de quatre témoins mâles, les hanafites s'appuyant ici sur le Coran (IV, 5)[26].

Le hanafisme est un peu plus indulgent que les autres maḏâhib dans la mesure où, en cas de récidives, le voleur ne peut pas subir plus de deux amputations[10].

Élèves et savants hanafites célèbres[modifier | modifier le code]

Classiques (jusqu'au XIIe siècle de l'Hégire)[modifier | modifier le code]

Le Hanafisme est présent en Tunisie, notamment parmi les descendants d'ottomans, l'Université Zitouna, à l'origine dévolue au malékisme, devient aussi un centre d'enseignement hanéfite dès le XVIe siècle ; Hussein Baroudi, les familles Bayram, Belkhodja, etc.

Contemporains (à partir du XIIIe siècle de l'Hégire)[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. (en) Ramadan, Hisham M., Understanding Islamic law : from classical to contemporary, AltaMira Press, (ISBN 0-7591-0990-7, 978-0-7591-0990-2 et 0-7591-0991-5, OCLC 62281866, lire en ligne), p. 24–29
  2. (en) Böwering, Gerhard, 1939-, Crone, Patricia, 1945-2015, et Mirza, Mahan,, The Princeton encyclopedia of Islamic political thought, Princeton University Press, , 704 p. (ISBN 978-1-4008-3855-4, 1-4008-3855-X et 978-1-78268-880-8, OCLC 820631887, lire en ligne), p. 289
  3. (en) « Sunni », sur [1] (consulté le )
  4. « Schisme en Islam : le Wahhabisme exclu du sunnisme », sur Metamag (consulté le )
  5. « Islamic conference in Chechnya: Why Sunnis are disassociating themselves from Salafists » Sep, 09 2016.

    « He stated: “Ahluls Sunna wal Jama’ah are the Ash'arites or Muturidis (adherents of Abu Mansur al-Maturidi's systematic theology which is also identical to Imam Abu Hasan al-Ash'ari’s school of logical thought). In matters of belief, they are followers of any of the four schools of thought (Hanafi, Shaf’ai, Maliki or Hanbali) and are also the followers of pure Sufism in doctrines, manners and [spiritual] purification. »

  6. a et b Jurisprudence and Law – Islam Reorienting the Veil, University of North Carolina (2009)
  7. Sami Awad Aldeeb Abu-Sahlieh, Religion et droit dans les pays arabes, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, , 585 p. (ISBN 978-2-86781-525-6 et 2-86781-525-8, OCLC 470722777, lire en ligne), p. 41
  8. (en) Uhlig, Siegbert. et Bausi, Alessandro., Encyclopaedia Aethiopica, Wiesbaden, Harrassowitz, 2003-2014, 846 p. (ISBN 3-447-04746-1, 978-3-447-04746-3 et 3-447-05238-4, OCLC 52774892, lire en ligne), p. 997–99
  9. (en) Ahmad, Abu Umar Faruq, 1959-, Theory and practice of modern Islamic finance : the case analysis from Australia, BrownWalker Press, , 324 p. (ISBN 978-1-59942-517-7, 1-59942-517-3 et 978-1-59942-520-7, OCLC 457010516, lire en ligne), p. 77–78
  10. a b et c Hervé Bleuchot, Droit musulman. Chap. II, section I, §5, Presses universitaires d’Aix-Marseille, (lire en ligne)
  11. Dina Charif Feller, La garde (hadana) en droit musulman et dans les droits égyptien, syrien et tunisien, Droz, (lire en ligne), p. 20
  12. Charles-André Julien, Histoire de l'Algérie contemporaine 1. La conquête et les débuts de la colonisation (1827-1871), Paris, PUF, 1964 (3e édition, 1986 (ISBN 2130361900), p. 16).
  13. Hervé Bleuchot, Droit musulman : Tome 1, chap. II, section II, §4, 91, Presses universitaires d’Aix-Marseille, coll. « Droit et religions », (ISBN 978-2-8218-5332-4, lire en ligne)
  14. « Le Consensus », sur La maison de l'islam, (consulté le )
  15. (en) Muhammad Nabeel Musharraf, The Waraqat of Imam al-Juwaynī, Australian islamic library (lire en ligne), p. 68, note 91
  16. François-Paul Blanc, Le Droit musulman, Dalloz, , 2e éd., 128 p., p.21.
  17. Blanc 2007, p. 104.
  18. Roger Arnaldez, Fakhr al-Dîn al-Râzî: commentateur du Coran et philosophe, Vrin, (ISBN 978-2-7116-1571-1, lire en ligne), p. 69
  19. Bat Ye'or, Juifs et chrétiens sous l’islam : les dhimmis face au défi intégriste, Berg international, 1994, p. 69.
  20. Le statut de l'Imâm Abou Hanîfah r.a. dans la science du Hadith
  21. Le statut de l'Imâm Abou Hanîfah r.a. dans la science du Hadith (2)
  22. Doçent Doktor, Talat Sakallı, Hadis tartışmaları : ibn Hacer-Bedruddin Aynî. éditions Diyanet Vakfı yayınları. (ISBN 975-389-198-9). (Ankara, 1996)
  23. Pr. Muhammed Ebû Zehra, Ebû Hanîfe, pages 300 à 322. édition diyanet Vakfı yayınları . (ISBN 975-19-1869-3) (Istanbul, Turquie 2005). Traduit de l'arabe vers le turc par Osman Keskioğlu.
  24. Blanc 2007, p. 47.
  25. Blanc 2007, p. 58.
  26. Blanc 2007, p. 76-77.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]